Colloque international organisé par la Société des études voltairiennes
Voltaire et les passions
Paris, 18-19 juin 202
Sorbonne Université, Maison de la recherche, salle D040
L’enquête sur le traitement, par Voltaire, de la question des passions invite à effectuer une traversée de l’intégralité de son œuvre dont l’ampleur est sans doute intimidante. On s’en tiendra à suggérer quelques aspects de la réflexion qui peuvent être abordés et croisés dans les communications, en fonction des corpus retenus.
Les pistes que l’on va esquisser ne visent pas à segmenter les pans de l’œuvre mais bien plutôt à attirer l’attention sur des aspects du problème qui ne sauraient être strictement corrélés à l’un – à l’exclusion d’autres – des segments que l’on n’indique ici qu’à titre d’illustration.
La question soulève d’abord un problème de définition et doit être inscrite dans un héritage philosophique qui invite à situer le discours voltairien par rapport aux penseurs du siècle précédent qu’il a lus et dont il a parfois annoté les textes dans les exemplaires conservés dans la bibliothèque de Ferney. C’est d’abord le cas de Descartes qui, dans son Traité des passions (1649), propose une typologie des passions (« primitives » vs « particulières ») et, dans le cadre d’une philosophie dualiste, appréhende les passions au niveau de l’interaction du corps et de l’âme. Mais c’est aussi le cas de Spinoza, qui, notamment dans l’Éthique (1677), développe une pensée moniste et esquisse une géométrie des passions au sein d’une théorie générale des affects.
Un nouveau contexte de la réhabilitation générale des passions a aussi progressivement pris consistance, dans la première moitié du XVIIIe siècle, qui laisse derrière elle le rigorisme moral pessimiste de la tradition religieuse, ainsi que l’idée de corruption liée au péché originel, pour identifier dans les passions les ressorts de la sociabilité humaine. En privilégiant l’examen de la tension entre passions et actions, il s’agirait ainsi d’apprécier les propositions théoriques que formule Voltaire en particulier dans des textes « philosophiques », opuscules et ouvrages alphabétiques, propositions qui ouvrent encore sur une saisie de la dimension anthropologique de cette question.
On peut s’intéresser en outre à la manière dont les passions, en tant qu’elles entrent potentiellement en conflit avec l’exercice d’une raison dépassionnée, sont invoquées dans l’ordre des discours. On songe par exemple aux textes polémiques qui tendent à réduire la portée du discours antagoniste au produit d’une logique passionnelle, dont le discours de Voltaire est à l’évidence lui-même loin d’être exempt. S’agissant des textes pamphlétaires, on pourra alors s’interroger sur le statut de la haine comme argument voltairien mais aussi, dans les discours d’autres auteurs et autrices, comme élément caractérisant le registre polémique voltairien.
Mais il s’agira aussi d’explorer la manière dont, dans le cadre des affaires (Calas, Sirven, La Barre) dans lesquelles il s’est fortement impliqué, Voltaire mobilise la question des passions pour rendre compte des mécanismes conduisant à l’erreur judiciaire, à commencer par le phénomène de l’émotion des esprits corrélé à l’analyse du fanatisme en tant que manifestation d’une intolérance en acte.
On pourra encore prêter attention aux arguments mettant en jeu les passions dans le discours historique de Voltaire, en tant qu’ils peuvent être érigés en principes explicatifs de chaînes de causalités, en particulier dans les grandes sommes historiques constituant un panorama trans-séculaire (l’Essai sur les mœurs, que prolongent Le Siècle de Louis XIV et le Précis du siècle de Louis XV), mais aussi dans les monographies consacrées à Charles XII, roi de Suède, et à Pierre-le-Grand, tsar de Russie. Dans quelle mesure les passions sont-elles considérées comme des moteurs de l’action politique ? On rejoint aussi par là le questionnement sur de possibles corrélations entre événements privés et publics. On pourra, en outre, s’interroger sur le rôle que jouent les passions non seulement dans la dynamique des événements historiques racontés, mais également dans les réactions des lecteurs et lectrices, dont Voltaire entend, comme il l’affirme, « remuer les passions », rompant définitivement avec les modèles historiographiques qu’ont pu représenter Mézeray ou Daniel, dont Voltaire a lu et critiqué les histoires de France.
Une troisième piste pourrait envisager la place et les fonctions des dynamiques passionnelles dans les œuvres de fiction. Comment les passions entrent-elles dans les ressorts d’une intrigue, au sein d’une épopée (La Henriade) ou de son envers parodique (La Pucelle), ou encore au sein des « romans philosophiques », regroupés sous cette étiquette dans certaines des collections successives des œuvres publiées du vivant de Voltaire, où les répertoires classiques des paradigmes passionnels cèdent la place à une représentation plus plastique des passions liées aux expériences du corps sensible des personnages.
Quant au corpus du théâtre, une attention spécifique pourrait être apportée aux fonctions dramatiques des passions. Outre l’examen de ressorts passionnels dans les intrigues des pièces, la réflexion conduit, au-delà de considérations fonctionnalistes, à une interrogation de nature esthétique, qu’il faudrait faire dialoguer avec les théorisations contemporaines de la finalité du théâtre (et notamment du drame), à commencer par celles formulées par Diderot à la fin des années 1750 et immédiatement contestées par Rousseau dans la Lettre à D’Alembert sur les spectacles (1758).
À plus large échelle, s’agissant de la tragédie, il s’agirait de s’interroger sur la manière dont Voltaire se positionne, dans ses écrits théoriques mais peut-être d’abord dans sa conception dramatique et sa pratique dramaturgique, par rapport à l’héritage aristotélicien : y a-t-il, dans l’œuvre de Voltaire, une pensée singulière de la catharsis ?
Les propositions de communications peuvent être adressées conjointement à Olivier Ferret (olivier.ferret[at]univ-lyon2.fr) et à Gianni Iotti (gianni.iotti[at]unipi.it) jusqu’au 15 janvier 2026.
Les textes issus de ces communications, dès lors qu’ils auront reçu l’approbation de son comité de lecture, seront publiés en 2027 dans le numéro 27 de la Revue Voltaire.