Plurilinguisme et circulation des savoirs, des imaginaires, des compétences.
Quelles dynamiques, quelles vulnérabilités ?
Appel à communications
La 7ème édition des Assises européennes du plurilinguisme aura lieu à Paris, les 20, 21 et 22 mai 2026, après plus de vingt ans de la première édition (Paris, octobre 2005).
Dans L’économie du 20e siècle, l’économiste, historien et philosophe français François Perroux déclarait que « nous ne possédons pas une théorie d’ensemble, cohérente et utilisable, de ce que je propose de nommer l’« effet de domination » » (Perroux, 1961 : 27).
Pourquoi parler des rapports de domination alors qu’il s’agit de traiter de la circulation des savoirs, des imaginaires et des compétences en rapport avec la diversité des langues ? Quand il y a circulation, déplacement, transfert, il y a des différences de niveau, ce qui signifie que les savoirs, les imaginaires, les compétences n’émergent pas partout en même temps et de la même façon, ce qui engendre différences, déséquilibres et conflits potentiels.
Ainsi, plutôt que de considérer la domination comme un mal, et de se lancer dans une quête à l’égalité sans issue, mieux vaut la considérer comme un fait qui conditionne toute vie personnelle et sociale et qui trouve sa régulation dans la vie sociale. Dès lors, la circulation des savoirs, des imaginaires et des compétences devient intelligible.
Une autre dimension fondamentale pour comprendre la circulation des savoirs, des imaginaires et des compétences, est la dimension linguistique. Elle est généralement négligée en raison du préjugé monolingue.
Dans une optique monolingue, on imagine l’information véhiculée par une langue unique. C’est la vision théorique du marché et de la concurrence pure et parfaite dans laquelle la langue est juste « ce qui sert à communiquer »1, et ce que l’on communique, c’est de l’information. Donc plus la langue est homogène et comprise par tous, mieux circule l’information. Dès lors que la culture est elle-même ramenée à de l’information, il n’est d’aucun intérêt d’avoir, d’utiliser, de travailler avec plusieurs langues.
À cette vision marchande, on peut opposer celle du terroir, de la communauté et des différences irréductibles car considérées comme relevant de l’essence d’un contexte, d’un lieu. Dans cette optique, il n’y a pas d’échange ; il n’y a que de l’entre-soi, une auto-identification dans la non-reconnaissance de l’autre, négation de l’altérité, la diversité étant perçue comme menace et cet individualisme identitaire ou identitariste conduisant à la reproduction à l’infini du même. Cette vision est un monolingue différent, mais un monolinguisme quand même.
Entre ces opposés, il y a l’identité dynamique qui se construit dans le rapport à l’autre et à son environnement. La diversité est vécue comme richesse et non comme danger, le monde est perçu comme infinité à découvrir et non comme une limite à circonscrire. C’est mieux connaître sa langue en découvrant d’autres langues. C’est la vision du plurilinguisme.
La domination n’est pas un phénomène univoque. La supériorité par la force, militaire, ne donne pas forcément la supériorité culturelle.
S’agissant du champ géographique, celui-ci n’a pas de limite. Quand Heinz Wismann voit dans Nietzsche le plus français des philosophes allemands, on est dans le champ.
Qui dit domination, dit fatalement vulnérabilité. D’un point de vue synchronique, la voie est totalement ouverte aux phénomènes tournant autour de l’insécurité linguistique, des identités en question et de la cohésion sociale, de plus en plus menacée.
Un élève qui entre au collège sans avoir acquis à l’école primaire les fondamentaux qui lui permettront de suivre une scolarité normale est placé dans une situation d’insécurité linguistique ou de fragilité qui risque de lui peser toute sa vie. Cela met en évidence la « centralité de la langue », au sens que donne à ce concept Tullio De Mauro (De Mauro, 1975), à savoir que si tout ne se réduit pas au langage, l’acquisition du langage est néanmoins au cœur du système, ce qu’a méconnu toute une génération de pédagogues. On grandit avec la langue et l’on se construit très largement par la langue.
Le champ est très ouvert. L’éducation plurilingue et interculturelle est selon nous un facteur décisif de réduction de l’insécurité linguistique et de renforcement de la cohésion sociale.
La dimension éducative, de la maternelle à l’enseignement supérieur, est fondamentale à plus d’un titre parce que l’École est un lieu de transmission, de socialisation, d’ouverture à l’autre et d’émancipation. L’enseignement supérieur n’est pas en reste en tant que lieu d’approfondissement des connaissances, de spécialisation, de professionnalisation, de recherche, d’élaboration et de circulation des savoirs et des idées et d’internationalisation, en même temps que d’enracinement dans un territoire.
Une attention particulière doit être attachée aux alliances interuniversitaires que l’on désigne aujourd’hui comme « universités européennes ».
D’autres dimensions sont à prendre en considération sans qu’il soit nécessaire de les développer ici, par exemple les dimensions technologique, géopolitique et géolinguistique. Une attention toute particulière est néanmoins à consacrer à la mobilité des individus, des cultures et des compétences.
Lors de ces Assises, il nous semble souhaitable de déployer la réflexion sur plusieurs axes, liste non limitative :
- L’éducation
- La recherche
- Les médias et l’édition
- Le numérique éducatif
- La formation des formateurs
- Le développement durable
- La conscience européenne
- La relation Europe-Afrique
- Les espaces linguistiques
- Les mobilités des individus et des compétences
Sur ces axes peuvent être déployées diverses problématiques données ici à titre indicatif :
Économie des connaissances et économie des langues :
- nature asymétrique de toute relation linguistique
- langues et création de valeur
- économie des échanges linguistiques
- théories des emprunts linguistiques
- théories de la traduction : l’influence de la langue source sur la langue cible
- asymétries linguistico-culturelles et créativité
- économie de la traduction et de l’édition scientifique
- langues dominantes, langues dominées, langues visibles, langues invisibles, apprentissage additif, apprentissage soustractif
- patrimoine, langues minorées et questions d'hybridité linguistique
- théorie de la transculturation et développements
- diasporas et migrations transnationales : déterritorialisation et reterritorialisation
- mobilité, employabilité et entrepreneuriat
Psycholinguistique, didactique et pédagogie
- pratiques plurilingues et cognition
- théories de la complexité et du chaos dans la perspective de l’hybridité linguistique
- éducation plurilingue et interculturelle
- mise en question des politiques éducatives monolingues et assimilationnistes des migrants
- la question des enseignements bi-plurilingues en Afrique, en Haïti, etc.
- mise en question de l’habitus monolingue dans l’alphabétisation scolaire
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Dates clés
Lancement de l’appel : août 2025
Date limite de dépôt de propositions : 20 décembre 2025
Notification des propositions retenues : 15 février 2026
Inscription des intervenants et participants non intervenants : 15 février 2025
Publication du pré-programme : 30 avril 2025
Date limite de remise des textes intégraux des communications : 31 juillet 2026, maximum 10 pages format A5 ou 20 000 caractères espaces compris. (un modèle est fourni en ligne en annexe aux normes de publication).
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Modalités pratiques
Dates : 20-22 mai 2026
Lieux : Paris.
Répondre à cet appel sur le site dédié (fr, de, en, es, ro) :
https://assises.observatoireplurilinguisme.eu/accueil
assises@observatoireplurilinguisme.eu
Indications pratiques
Les communications orales seront limitées à 15 mn. Des présentations sous forme de diaporama seront possibles.
Les résumés des propositions de communication (note d’une demi-page maximum ou 2000 caractères espaces compris) devront être déposés sur la plate-forme avant le 20 décembre 2025.
Ces résumés seront utilisés pour la sélection des candidatures et pour la publication des pré-actes dans le dossier du participant.
Les textes en vue de publication seront produits dans le délai de deux mois après la manifestation et déposés sur le site dédié en utilisant le modèle d’article téléchargeable sur ce dernier (voir « normes de publication »).
Restauration :
Hébergement : non assuré (hôtels recommandés)
Droit à l’image : la manifestation sera enregistrée et éventuellement photographiée ou filmée. Les personnes qui ne souhaitent pas pouvoir être reconnues sur photo ou vidéo sont priées de le signaler aux organisateurs.
Droits d’inscription (intervenants et participants)
- Inscription en ligne obligatoire (à partir du 15 février 2026)
Jusqu’au 30 avril 2026
Au-delà du 1er mai 2026
Intervenants
135 €
170 €
Participants, accompagnateurs
70 €
100 €
Etudiants
35 €
60 €
Participants en distanciel
70 €
70 €
Masterants et doctorants des universités partenaires
Gratuit dans la mesure des places disponibles
Gratuit dans la mesure des places disponibles
Les intervenants sont invités à s’inscrire sur l’annuaire des chercheurs et équipes de recherche sur le plurilinguisme et la diversité linguistique et culturelle mis en place par l’OEP, le réseau POCLANDE, l’ACAREF et l’OPA (https://annuaire.observatoireplurilinguisme.eu/)
Actes
Le dossier du participant comportera des pré-actes comprenant les résumés des communications.
Les actes seront disponibles sur le site de l’OEP en version numérique et papier dans des délais qui dépendront essentiellement du délai de remise des textes par les intervenants.
Ils feront l’objet ultérieurement d’une publication sous forme d’ouvrage.
Régime linguistique
Langues des Assises : français, espagnol, allemand, anglais, italien.
Les séances en plénière seront interprétées en au moins deux langues, le choix final dépendant des langues des communications et des compétences linguistiques des participants.
Il est fortement recommandé, en cas de présentation par diaporama, que les diapositives soient en une langue différente de celle employée à l’oral.
Normes de publication : rubrique spécifique à consulter sur le site des Assises
Partenaires co-organisateurs
O.E.P.
AUF
UPLEGESS
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Comité d’organisation
- Giovanni Agresti, Agence universitaire de la francophonie
- François-Xavier d’Aligny, Observatoire européen du plurilinguisme
- Jean-Claude Beacco, Université Paris Sorbonne Nouvelle
- Cécile Brossaud, présidente de l’UPLEGESS
- Anne Bui, Observatoire européen du plurilinguisme
- Christos Clairis, Université Paris Descartes
- José Carlos Herreras, Université Paris Cité
- Pascale Prax-Dubois, Université Paris 8
- Christian Tremblay, Observatoire européen du plurilinguisme
Comité scientifique
- Olga Anokhina, CNRS
- Jean-Claude Beacco, Université Sorbonne Nouvelle
- Cécile Brossaud, UPLEGESS, Intitut polytechnique de Paris
- Christos Clairis, Université Paris Descartes
- Jean-Marc Delagneau, Université du Havre
- Pierre Frath, Université de Reims
- José Carlos Herreras, Université Paris Cité
- Isabelle Mordellet-Roggenbuck, Université de Freiburg
- François Rastier, CNRS
- Christian Tremblay, président OEP
- Jean-Philippe Zouogbo, président du réseau POCLANDE
Bibliographie
Voici quelques références bibliographiques qui ont inspiré le présent appel à communication :
Agresti, J, Zouogbo, J.Ph. (dir.), Vox populi, vox regni:passions solidarités et développement social en terrain multilingue, Ed. de l’Observatoire européen du plurilinguisme, 2023, 276 p.
Arjakovsky A. (dir.), 2016, Histoire de la conscience européenne, Salvator, 512 p.
Bachir Diagne S., 2014, Comment philosopher en islam ?, Ed. Philippe Rey/Jimsaan, 149 p.
Bachir Diagne S., 2022, De langue à langue, Albin Michel, 172 p.
Caccia F., Ramirez B., Tassinari L., 2010, La transculture et ViceVersa : hier, aujourd’hui, demain, Tryptique, 214 p.
Citot V., 2022, Histoire mondiale de la philosophie, Une histoire comparée des cycles de la vie intellectuelle dans huit civilisations, PUF, 503 p.
Daniel J.-M., 2021, 2023, Histoire de l’économie mondiale, des chasseurs-cueilleurs aux cybertravailleurs, Ed. Taillandiers, 443 p.
Droit R.-P., 2021, Un voyage dans les philosophies du monde, Albin Michel, 332 p.
Herrendschmidt C., 2007, Les trois écritures, langue, nombre, code, Gallimard NRF, 505 p.
Jullien F., 2008, De l’universel, de l’uniforme, du commun et du dialogue entre les cultures, Fayard, 262 p.
Koyré A., 1957, 1962 (ed. fr), Du monde clos à l’univers infini, PUF, 349 p.
Malinowski B., 1944, 1968, Une théorie scientifique de la culture, Maspéro
Moller V., 2019, Les sept cités du savoir, Comment les plus grands manuscrits de l’Antiquité ont voyagé jusqu’à nous, Payot, 329 p.
Ortiz F., 1940, Contrapunteo cubano del tabaco y el azucar, Caracas: Biblioteca Ayacucho, 1978, 465 p.
Perroux F., 1961, L’économie du vingtième siècle, PUF, 598 p.
Perroux F., 1969, « Indépendance » de l’économie nationale et interdépendance des nations, Aubier-Montaigne, 302 p.
Renn J., 2022, L’évolution de la connaissance, Repenser la science pour l’Anthropocène, Les Belles Lettres, 728 p.
Sédar Senghor L., 1962, « La langue française, langue de culture », dans revue Esprit
Sédar Senghor L., 1983, « La culture africaine », dans Revue des Sciences morales et politiques
Stiegler B., 2021, Nietzsche et la vie, Gallimard, 441 p.
De Mauro T., 1975, Dieci tesi per una scuola democratica, https://giscel.it/dieci-tesi-per-leducazione-linguistica-democratica/
Tremblay, Ch., L’impératif plurilingue, Ed. de l’Observatoire européen du plurilinguisme, 2022, 514 p.
Were V. O.; Zouogbo, J.-Ph. (dir.) (2024), Développement durable : Amplifier les langues. Valoriser les cultures. Impliquer les populations. Sviluppo sostenibile: promuovere le lingue. Valorizzare le culture. Working with populations, Editions des archives contemporaines, Francia, ISBN: 9782813004406, 400 pagine, doi: https://doi.org/10.17184/eac.9782813004406
Wismann H., Judet de La Combe P., 2003, L’avenir des langues, Le Cerf, ?? p.
Wismann H., 2012, Penser entre les langues, Albin Michel, 313 p.
Wismann H., 2024, Lire entre les lignes, Albin Michel, 491 p.
1Expression extraite d’un document pédagogique de la Cité internationale de Villers-Cotterêts, ce qui montre que le ver se cache parfois là où on l’attend le moins.