
Cette journée d’étude s’inscrit dans le prolongement de l’ouvrage publié en 2023, Gérard Philipe le devenir d’un mythe, et se situe également dans le cadre du projet de centre de créations et de résidences prévu dans la maison d’Anne et Gérard Philipe, en cours de restauration à Cergy.
Comment faire vivre aujourd’hui l’héritage de Gérard Philipe et Anne Philipe ? Comment concevoir une « recyclerie » de leurs œuvres aussi bien littéraire que théâtrale ou cinématographique, voire discographique ?
De quelle manière pourrait-on aujourd’hui prolonger l’esprit de ce couple d’artistes, leur conception d’une culture pour tous et notamment comment concevoir des « théâtres populaires » contemporains, pour les adultes comme pour la jeunesse ? Quelles formes de « recyclerie » d’une voix comme celle de Gérard Philipe peuvent être inventées pour faire que les élèves accèdent à la poésie et s’y engagent de façon créative ? Comment faire revivre les lettres très émouvantes reçues par les nombreux admirateurs et admiratrices de Gérard Philipe ?
Ces réflexions et propositions seront accompagnées d’un extrait du spectacle à partir d’archives de la Maison Jean Vilar à Avignon et d’une lecture de la correspondance reçue par G. Philipe.
Programme de la journée
8h45-9h : accueil
9h-9h15.Violaine Houdart-Merot et AMarie Petitjean (CY Cergy Paris Université, UMR Héritages) : présentation de la journée.
9h15-10h. En ouverture, extrait de : « Jouer avec les fantômes » - une transmission d’interprète à interprète."
Mise en scène Anne Monfort ; interprétation : Antoine Cailloux, Claire Chambon, Romane Djedjiga, Matteo Pereira et Philippe Bertrand, élèves-comédiens au CNSAD.
Suite à la commande que le CNSAD nous a faites, à une metteuse en scène (Anne Monfort) et une dramaturge (Laure Bachelier-Mazon), de travailler à partir des archives de Jean Vilar et de sa troupe, nous avons inventé une forme à partir d’archives - sonores, écrites (lettres, notes). Nous témoignerons de ce travail qui articule hier et aujourd’hui, du compagnonnage entre de jeunes interprètes et des interprètes dont ne reste que des témoignages partiels, une voix enregistrée, quelques notes, des photos. Comment le jeu se transmet-il, de générations en générations ?
Présentation suivie d’un échange, mené par Marion Chénetier-Alev (ENS) avec la metteuse en scène et les comédiens et comédiennes présents.
10h-10h40. Régine Delamotte (Normandie Université, laboratoire Dylis) : Gérard Philipe, passeur de poésie ?
(Communication précédée de l’écoute d’un extrait du « Bateau ivre » lu par G. Philipe)
Comment redonner vie et exploiter, entre autres auprès d’un public scolaire, les enregistrements de Gérard Philipe ? La petite fenêtre que je propose d’ouvrir, au titre de notre « recyclerie », pose la question : « Gérard Philipe, passeur de poésie ? », autrement dit : « Dans quelle mesure une voix mythique peut-elle être mise au service de la transmission de la poésie ? ». Gérard Philipe fut, à son époque, le comédien, l’acteur, qui a le plus enregistré pour le grand public et pour les enfants. Ce corpus est immense. À lui seul, l’enregistrement de poèmes constitue une œuvre en soi. Mon projet consiste à « mettre l’enregistrement par Gérard Philipe de la poésie française en regard d’enregistrements contemporains pour explorer et comprendre comment sa mise en voix est reçue aujourd’hui. » Pour notre journée, je m’en suis tenue à une pré-enquête exploratoire pour laquelle j’ai choisi trois poèmes : Heureux qui comme Ulysse de Joachim du Bellay, Liberté de Paul Éluard, Le bateau ivre d’Arthur Rimbaud. Mon premier critère de choix, des poèmes et des poètes enseignés du primaire au lycée. Mon deuxième, des époques, des formes et des complexités référentielles variées. Mon troisième, des longueurs différentes : un court (un sonnet), un long et un très long pour permettre aux mises en voix de se déployer. Mon quatrième, des voix masculines. Mon cinquième, la qualité de diction : ce sont Yves Gasc pour Du Bellay, Guillaume Gallienne pour Éluard, Cédric Zimmerlin pour Rimbaud, tous ont enregistré pour la Comédie Française. J’ai renoncé à des lectures à la fois de femmes et d’hommes, une entreprise trop lourde à mettre en œuvre en l’état de ma recherche. En revanche, cette différence est conservée dans la réception des poésies. J’ai donc mis à contribution selon un protocole réglé des hommes et des femmes d’âges, de milieux, de métiers divers. Les résultats m’ont permis de mettre à jour des lignes de fracture, d’indiquer et de mettre en débat des pistes pour la suite.
10h40-10h50. Échanges avec la salle.
10h50-11h: pause
11h-11h45. Marion Chénetier-Alev (Études théâtrales, ENS), Atelier d’écoute de la voix de Gérard Philipe. Transmettre un patrimoine vocal
Atelier d'écoute de la voix de Gérard Philipe, de manière à faire prendre conscience de ce qu'on peut entendre dans des voix d’acteurs. L’atelier portera sur quelques archives vocales de G. Philipe et d'autres acteurs, pour essayer de cerner, par comparaison, ce que recouvre la notion de "voix mythique" ou ce qui constitue le caractère exceptionnel d'une interprétation.
Sera également évoqué, en lien avec le spectacle présenté en fin de journée, l’intérêt que peut avoir, pour des comédiens d'aujourd'hui, le fait de s'emparer de ce patrimoine vocal.
11h45-12h. Échanges avec la salle.
12h-12h30. Julia Gros de Gasquet (comédienne, Sorbonne Nouvelle), Les voix minuscules : lettres d’admirateurs et admiratrices de Gérard Philipe
Dans le fonds des archives privées de Gérard Philipe, léguées à la cinémathèque française par Anne-Marie-Philipe en 1990, à la mort de sa mère Anne Philipe, un dossier conserve 75 courriers d’admirateurs et admiratrices, reçus par Gérard Philipe tout au long de sa carrière, plus précisément entre 1942 et 1959. Ce dossier intrigue d’abord par sa qualité matérielle : il est fait de lettres aux écritures soignées, accompagnées de dessins, de cartes…Ce fonds a déjà fait l’objet d’une lecture à la bibliothèque de la cinémathèque française. La lecture à haute voix de certaines de ces lettres confirme l’impression d’une théâtralité de ces voix minuscules au regard de la star à laquelle elles sont adressées. Les lettres construisent en filigrane des figures de spectateurs et de spectatrices profondément touchants et émouvants.
Elles viennent parfois de très loin, et notamment de ces pays qui sont alors des colonies ou protectorats français telle l’Indochine ou la Tunisie, qui sont en train, dans cette décennie des années 1950, d’acquérir leur indépendance. L’admiration pour Gérard Philipe trouve ici une lecture plus politique, autour de la fascination pour la culture de la puissance coloniale. Ces lettres impressionnent par l’expression d’un besoin d’idéal, besoin d’un dépassement des frontières de l’ordinaire et de l’extériorisation des émotions profondes.
Nous nous proposons de faire entendre ces voix au cours d’un atelier de trois heures qui s’ouvrirait à une rencontre publique de 20 mn autour de la mise en lecture de ces lettres. Proposé à un public d’amateurs et amatrices de tous âges, il n’y a pas de pré-requis pour cet atelier, seulement l’envie de lire à haute voix.
L’atelier commencera par un échauffement physique et vocal. Les lettres qui auront été envoyées aux participants et participantes à l’avance, seront ensuite abordées dans un travail d’élucidation des émotions qu’elles révèlent, à travers leur registre de langue, leurs références, leur lien avec la grande histoire. Puis, le travail de lecture à haute voix sera abordé par chaque participant, qui sera guidé et accompagné dans l’exploration d’une lettre qu’il aura choisie.
12h35-12h45 : échanges avec la salle.
12h45-14h. Déjeuner
14h-14h30. Marie Bernanoce (université Grenoble Alpes, UMR Litt&Arts), Un théâtre pour la jeunesse élitaire pour tous
Travaillant depuis trente ans sur les écritures théâtrales jeunesse, j’ai été amenée à formuler une hypothèse à la fois esthétique et philosophique : l’adresse à la jeunesse et, mieux, le rapport à la jeunesse, au « bloc d’enfance » défini par Deleuze et Guattari dans le sillage de Bachelard, a construit une part du répertoire théâtral contemporain capable de dépasser la difficulté à faire de la poésie après Auschwitz pensée par Adorno au sortir de la seconde guerre mondiale. D’une grande richesse esthétique, les écritures théâtrales contemporaines croisant la jeunesse pensent un rapport au monde et au théâtre qui trouve ses racines dans la pensée d’un « théâtre élitaire pour tous » défendue par Vitez, Vilar et tant d’autres dont Gérard Philippe. Et ce mouvement a généré des œuvres puissantes, créatives, encore trop peu connues, qui défendent en actes poétiques un humanisme d’aujourd’hui dont il semble que nous ayons grand besoin, lecteurs, comédiens, metteurs en scène, enseignants. Après avoir présenté l’histoire de la création de ce répertoire, je me propose de présenter quelques-uns de ses grands univers d’auteurs et d’autrices sous l’angle conjoint de leur engagement esthétique.
14h30-14h45. Échanges avec la salle.
14h45-15h15. Violaine Houdart-Merot (CY Cergy Paris Université, UMR Héritages), Recyclages contemporains de formes théâtrales populaires
Qu’en est-il aujourd’hui du rêve d’un théâtre véritablement « pour tous », défendu et mis en œuvre par Jean Vilar et, à ses côtés, par Gérard Philipe qui a beaucoup contribué au succès du Théâtre National Populaire à ses débuts ? Ce rêve est-il mort ? Faut-il, à la suite de la socio-historienne Marjorie Glas, s’en tenir au constat que l’art a « chassé le populaire », que la vocation sociale du théâtre a été marginalisée, au profit de la seule innovation esthétique et d’un « entre-soi social » ?
N’existe-t-il pas en France des compagnies, des lieux qui réinventent un idéal populaire, à partir de formes théâtrales nouvelles et de relations au public qui font de lui un acteur à part entière ? Quelles formes de médiation, d’éducation populaire ? avec quels enjeux politiques ?
Cette réflexion s’appuiera sur une enquête dans différents lieux et artistes, parfois peu visibles, qui revendiquent une dimension « populaire », recyclant d’une manière ou d’une autre l’héritage de Jean Vilar et Gérard Philipe, parfois en allant bien au-delà, malgré un contexte institutionnel et culturel qui a bien changé.
15h15-16h15. Échanges et pause
16h15-16h45. AMarie Petitjean (CY Cergy Paris Université, UMR Héritages), Le « moment Philipe » dans la recyclerie patrimoniale
À partir de ce que nous disent à la fois les biographes, les témoins et les archives, au sujet de l’implication du couple Philipe dans la vie artistique et culturelle de leur époque, cette communication cherchera à caractériser la manière dont peut se concevoir la recyclerie de grands repères patrimoniaux au service d’un projet tourné vers l’avant-garde artistique et le renouveau culturel. L’hypothèse qui conduira l’analyse est l’identification d’un « moment Philipe » caractéristique de l’après-guerre, mais dont l’esprit aurait été majoritairement délaissé dans les décennies suivantes. L’étude, qui cherchera à dégager des orientations pour notre moment contemporain, se place dans le cadre général d’un projet de centre de créations et de résidences tremplin dans la maison d’Anne et Gérard Philipe, en cours de restauration à Cergy.
16h45-17h15. Échanges avec la salle et perspectives de la journée.
Visuel: Gérard Philipe dans « Les épiphanies » de Henri Pichette -1947- © Photographie Henri George – BnF, département des Arts du spectacle, NEG-PHO-4 (467)