
Éditer la poésie (XIXe–XXIe siècle). Histoire, acteurs, modes de création et de circulation. Avec Marie-Paule Berranger & Marie Frisson (Sorbonne nouvelle)
Séance 3, 13 mars 2025, 16h-19h
Marie-Paule Berranger, « Desnos est-il un cas d’école ? »
On ne trouve pas souvent le mot « livre » dans les poèmes de Robert Desnos, pour lequel la poésie est affaire de « voix ». Certainement la parole entendue et fredonnée lui paraissait le meilleur des supports, de la poésie comme de l’amour. Il n’en a pas moins pris soin de quelques beaux recueils, comme The Nights of loveless nights, C’est les Bottes de sept lieues cette phrase : « je me vois », Corps et biens. Plus tard, Le Bain avec Andromède, Calixto, Contrée, État de veille, prouvent son attachement à la forme du recueil – et les nombreuses tables dans ses archives avec repérages des poèmes sélectionnés pour chaque livre en gestation montrent qu’une course contre l’oubli s’est engagée pour lui dès avant son arrestation, mais il était déjà interné lorsque sortit le recueil qui devait assurer sa postérité, Chantefables et Chantefleurs. Paradoxalement – ou pas – Desnos, à la fois peintre et poète, a réservé Le livre secret de Youki à celle qu’il aimait, sans le faire imprimer, et l’on notera que l’un des plus beaux livres d’artiste publié en 1974 sous son nom et celui de Joan Miró, Les Pénalités de l’Enfer ou les Nouvelles-Hébrides, est une fabrication posthume de la galerie Maeght.
Quelles ont été les conditions de la patrimonialisation de l’œuvre de Desnos ? qu’est-ce qui fait sa fragilité aujourd’hui ? En essayant de répondre à ces questions, on montrera que Robert Desnos illustre de façon exemplaire quelques lois de la survie éditoriale des poètes du XXe siècle. Le rôle éclairé des ayants droit, le relais universitaire, la publication de recueils posthumes et de quelques beaux fac-simile, la constitution et le dépôt d’un fonds d’archives documenté, les éditions scolaires ont pérennisé l’œuvre en la structurant. Que devient-elle au temps de la dématérialisation ? entre les archives numérisées et les publications kilométriques de poèmes sur des blogs inégalement sensibles à l’écriture de poésie se jouent les fortunes et infortunes de celui qui a souvent pensé sombrer « corps et biens ».
Marie-Paule Berranger, professeure émérite de littérature française du XXe siècle à l’Université Sorbonne nouvelle, travaille depuis sa thèse (1984) sur le surréalisme, les genres littéraires (Dépaysement de l’aphorisme, José Corti, 1987 ; Poésie en jeu, Bordas, 1989 ; Les petits genres de la poésie moderne, PUF, 2004), l’histoire et la poétique du surréalisme (« Une pelle au vent dans les sables du rêve ». Écritures surréalistes, en collaboration avec Michel Murat, P.U.L, 1992 ; Le Surréalisme, Hachette, 1998). Elle a publié en novembre 2024 une Anthologie des écrits des femmes surréalistes chez Gallimard (coll. « Poésie »).
Ses livres, éditions critiques et articles portent principalement sur Blaise Cendrars, Philippe Soupault, André Pieyre de Mandiargues, Frédéric Jacques Temple et Robert Desnos (Commentaire de Corps et biens, Gallimard, 2010), auquel elle a consacré dans le cadre de l’UMR THALIM deux journées d’étude : Robert Desnos, Regards sur les archives numérisées, publié en 2022 sur Fabula https://doi.org/10.58282/colloques.7581, et Poètes en correspondances : Robert Desnos, publié en 2023 sur https://www.archives-desnos.fr – le site pour l’étude des archives numérisées de Robert Desnos en cours d’élaboration.
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Fouad El-Etr, « La Délirante, contre vents et marées », entretien avec Marie Frisson
Fouad El-Etr est un poète et éditeur libanais, né en 1942. Il est le fondateur de la revue de poésie La Délirante (en 1967, à Paris), qui a réuni dans ses numéros, jusqu’en 2000, textes et illustrations : Borges, Brodsky, Cioran, Paz, Schéhadé, etc.., aux côtés de Bacon, Balthus, Barthélémy, Botero, Rouan, Pelayo ou Szafran. « La Délirante » est également le nom de la maison d’édition qu’il a dirigée à partir de 1973, et qui constitue une collection de livres rares et d’ouvrages de bibliophilie. Dans L’Escalier de la rue de Seine, paru en 2024 aux éditions de L’Atelier contemporain, il évoque cette aventure éditoriale, mais aussi son amitié avec Sam Szafran. Il a lui-même publié des traductions (de l’anglais, de l’italien et du japonais) et des recueils de poésie (Comme une pieuvre que son encre efface, 1977 ; Là où finit ton corps, 1983 ; Arraché à la nuit, 1987 ; Entre Vénus et Mars, 1993 ; Le Nuage d’infini, 1995). Il a récemment fait paraître un roman aux éditions Gallimard : En mémoire d’une saison des pluies (2021).
Marie Frisson est spécialiste de littérature moderne et contemporaine, notamment des pratiques poétiques de langue française, jusque dans leurs réalisations éditoriales. Elle s’intéresse aux formes et aux genres poétiques, particulièrement au prosimètre, mais également au dialogue de l’écriture poétique avec les arts. Elle prépare actuellement une édition des œuvres poétiques (vers et prose) d’André Gide pour Classiques Garnier. Elle est membre du Bureau de la Société des Lecteurs de Francis Ponge et de l’équipe éditoriale de La Fabrique pongienne sous la direction de Benoît Auclerc (dernière parution avec OpenEdition à l’hiver 2024).
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Pour suivre cette séance en ligne, écrire à : serge.linares@sorbonne-nouvelle.fr