Il y a une paradoxale virtuosité dans le frôlage de catastrophes en tous genres, physiques ou psychiques : la gaffe qu’on était sur le point de faire, la bévue retenue juste à temps, la dégringolade piteuse évitée de justese, le rétablissement acrobatique in extremis… Dans L'art du déséquilibre (Minuit), Évelyne Grossman s'attache aux déséquilibristes — de Beckett à Joyce et Artaud, de Goya à Miriam Cahn, de Paul B. Preciado à Nastassja Martin — qui font de la chute sans cesse frôlée un mode d’existence. Mais qu'est-ce qui distingue le déséquilibriste du casse-cou intrépide ou du raté ordinaire se morfondant dans ses échecs répétés ? Sans doute pas la résilience, mais plutôt la vitesse, l’esquive, le léger mouvement de travers qui soudain ouvre de nouvelles perspectives.
(Photo : Cie Les Sœurs Bacane, ©Didier Noghéro)