Revue
Nouvelle parution
Littératures classiques, n° 114 :

Littératures classiques, n° 114 : "Les premiers âges du bizarre (XVIe-XVIIIe s.)"

Publié le par Marc Escola (Source : Jean-Philippe Grosperrin)

Quelle parenté existe-t-il entre le roi Pantragruel, le duc d’Albe (dans une page de Gracián), la princesse de Clèves (celle du roman), Madame Palatine (vue par Saint-Simon) et Mme de La Carlière (chez Diderot) ? Entre Pindare, l’Alceste de Molière, un Pantalon « boute-en-train » chez Goldoni et la musique de Rameau ? Entre un tapis turc de Tabourot, un hermaphrodite (dans une île ou à Venise), un enfant né sans sexe, le songe d’Athalie, un bilboquet selon Marivaux, Zélie chez Mme de Genlis et l’Eugénie « tragique » de Sade ? Entre un essai de Montaigne, un conte de fées forgé par Mme de Murat, l’Histoire véritable de Montesquieu, la stratégie de Rienzi retracée par Du Cerceau, un costume d’opéra, la dissection d’un crâne, le Don Giovanni de Mozart et un roman de Jean Paul ? 

Tel se dessine un empire du bizarre entre Renaissance et Révolution. Car le bizarre fut florissant avant le siècle de Balzac, Poe et Baudelaire. Du XVIe au XVIIIe siècle, la bizarrerie émerge et s’installe dans les discours et dans les œuvres, avec une richesse de significations ou de représentations qui se trouve ici sondée en mêlant littérature, philosophie, fiction théâtrale, réflexions sur l’art ou sur les mots. Se dessinent, au cours de ces trois siècles, des évolutions importantes dans les fonctions qualifiantes et critiques du mot, non sans paradoxes. Montaigne, la scène baroque, Molière, Marivaux, Saint-Simon, Diderot : à chacun son bizarre ? Au-delà d’une valeur originelle de bigarrure, elle-même ambivalente (prisée ou écartée), le bizarre interroge le rapport à la norme, à la transgression, à l’hétérogénéité, à la surprise. Sans se confondre avec l’extravagance, la bizarrerie porte avec elle des vertus à la fois intellectuelles et esthétiques. Source d’inquiétude et de délectation, le bizarre apparaît comme un principe dynamique, et peut-être comme la face cachée de l’âge classique.

Sommaire

Jean-Philippe Grosperrin : Le bizarre et les bizarres. De Montaigne à Jean Paul

Contours du bizarre

Patrick Dandrey : Une anthropologie médico-morale du bizarre. La bigarrure et l’extravagance, d’Aristote à Molière

Sylvia Giocanti : Juger du bizarre : la bigarrure et l’étrange dans Les Essais de Montaigne

Michèle Rosellini : De l'extravagance à la bizarrerie : un changement de paradigme littéraire au cours du XVIIe siècle

Le bizarre comme instrument critique

Mathieu de La Gorce : Le bizarre polémique. Fiction allégorique et parodie du discours savant dans la Mappe-Monde Nouvelle papistique (1566)

Philippe Chométy : « Nous sommes tous plus ou moins bizarres ». Pour une lecture du Discours sur l’antipathie, et sur la bizarrerie (1691) de Frain du Tremblay 

Gilles Siouffi : La bizarrerie de l’usage selon les remarqueurs sur la langue française (XVIIe-XVIIIe siècle)

Séductions du bizarre

Christelle Bahier-Porte : Un « petit monstre » au « nom bizarre » : Le Bilboquet de Marivaux

Jean-Philippe Grosperrin : Le bizarre malgré lui ? Houdar de La Motte

Marc Hersant : Une collection de bizarreries : les Mémoires de Saint-Simon

Michel Delon : Bizarre Neveu (Diderot, Goethe, Gautier, Proust)

Le bizarre sur la scène

Jean-François Lattarico : La bizarrerie en scène. Remarques sur un personnage allégorique dans l’opéra vénitien du XVIIe siècle

Liliane Picciola : De l’insoutenable bizarrerie espagnole à l’ostracisme de la comedia

Michel Noiray : « Bizzarra è inver la scena ». Les Don Giovanni irréguliers de Mozart et de ses prédécesseurs

Appendice

Joseph Addison : Rêve d’un Anglais, sur la dissection du cerveau d’un petit-maître, et du cœur d’une coquette

Jean-Philippe Grosperrin : Les premiers âges du bizarre : une bibliographie