Traduction de Paolo Bellomo, avec le concours de Cécile Raulet-Descombey
L’habitude veut que le goût soit le sens par lequel nous connaissons la beauté et jouissons des belles choses. Derrière l’imperturbabilité apparente de cet adage, Agamben met à nu l’ampleur, tout sauf rassurante, d’une fracture qui divise sans appel le sujet.
À la jonction entre l’acte de connaissance et l’expérience du plaisir, entre la recherche d’une vérité et la jouissance du beau, le goût semble être lié à un savoir que l’on ne sait pas et à un plaisir dont on ne jouit pas.
Dans la nouvelle perspective tant esthétique qu’économique ouverte par Agamben, se dessine une complicité inquiétante entre homo æstheticus et homo œconomicus et prend forme, dans toute sa fragilité, la question fondamentale de la théorie de la connaissance : qui est le sujet du savoir ? Quisait ?
Il en ressort aussi, et ce par l’entremise d’Éros, une ode à la philosophie, dans laquelle l’« amour du savoir » ne peut qu’être aussi un « savoir d’amour », où le goût scelle l’enchevêtrement irrévocable de connaissance et plaisir, de savoir et jouissance.
Giorgio Agamben est l’une des figures majeures de la philosophie de la seconde moitié du XXe siècle et du début du XXIe. Dans le sillage de Michel Foucault, mais aussi de Walter Benjamin ou d’Hannah Arendt, il a mené une série d’enquêtes généalogiques sur les notions de « dispositif » et de « commandement », élaboré les concepts de « désoeuvrement », de « forme de vie » ou encore de « pouvoir destituant ». Il a notamment développé le concept d’« état d’exception » comme paradigme du gouvernement dans sa grande œuvre de philosophie politique Homo Sacer (Seuil, 1997-2015), par laquelle il a marqué un tournant dans la pensée politique contemporaine.