Appel à communications
« Le pèlerinage musical en Europe durant le long XIXe siècle »
Colloque international
Université libre de Bruxelles – 22-23 mai 2025
Août 1876. La petite bourgade franconienne de Bayreuth accueille un millier de voyageurs en provenance d’Allemagne, d’autres pays européens et d’Amérique du Nord pour le premier festival wagnérien. Wagner avait d’abord imaginé un théâtre éphémère, destiné à être brûlé après l’exécution complète de la Tétralogie. Son projet, confronté aux réalités commerciales de son époque, devait cependant connaître un autre sort avec la construction d’un théâtre, le Festspielhaus, dont l’édification est rendue possible grâce au mécénat de Louis II de Bavière et de ses admirateurs à travers le monde. La ville de Bayreuth n’était, cependant, pas préparée à l’afflux important de visiteurs, contraints de lutter pour trouver de quoi manger et où se loger. C’est avec le succès grandissant du festival, en grande partie liée à l’exclusivité des représentations de Parsifal et à la mystique entourant la personne de Wagner après sa disparition en 1883, que les infrastructures touristiques se développent au fur et à mesure. Bayreuth devient alors un lieu de pèlerinage musical global grâce à la publicité effectuée par les agences de voyage internationales et les sociétés wagnériennes.
Ce colloque prend le festival de Bayreuth comme point de départ pour interroger un phénomène gagnant en ampleur au dix-neuvième siècle : le pèlerinage musical, qui demeure, à ce jour, peu étudié comparé au pèlerinage littéraire et artistique. Dès la première édition, de nombreux voyageurs vers Bayreuth se décrivent comme des « pèlerins » amenés à faire des sacrifices sur le plan physique ou financier pour assouvir leur passion, mais le sens fort, religieux du mot, est exacerbé par le niveau d’attention demandé par Wagner à son public ainsi que par le contexte fin de siècle propice à la religion de l’art. Ce vocabulaire mystique, de même que les dispositifs immersifs du théâtre de Bayreuth (obscurité de la salle, fosse sous la scène désignée par Wagner sous le nom d’« abysse mystique » et double proscenium), rendent cette expérience de voyage unique. Elle se distingue ainsi du tourisme musical ou du voyage de formation scientifique. L’exemple de Bayreuth invite à explorer en amont et en aval d’autres cas afin d’établir une histoire du pèlerinage musical couvrant le long XIXe siècle. Cette histoire mettra l’accent sur plusieurs composantes :
1°/ la géographie des stations de pèlerinages : L’un des buts de ce colloque est de faire apparaître les figures de compositeurs et d’interprètes, ou les morceaux musicaux, en tant qu’objets de dévotion, que l’on interrogera par rapport au phénomène de la construction de canons et de lieux de mémoire officiels (statue, maison-musée, plaque commémorative, tombeau) ou privés (nouvelle station érigée par un voyageur à contre-courant de ceux qui sont établis). L’héroïsation de la figure de Beethoven ainsi que le culte international de Wagner encouragent les manifestations de dévotion aux compositeurs.
2°/ le vocabulaire du religieux et des émotions : Les cas que nous chercherons à étudier doivent explicitement comporter cette rhétorique et faire allusion aux « reliques », au « pèlerinage », aux « fidèles » et au « culte », entre autres termes issus du registre sacré. Ils peuvent susciter, chez les voyageurs, des comparaisons entre lieux du pèlerinage musical et des lieux de pèlerinage religieux tels la Mecque ou Lourdes. L’enjeu est de saisir l’évolution du vocabulaire de la réception et de déterminer la spécificité de ces expériences musicales appréhendées comme un pèlerinage par rapport, notamment, à l’écoute dans un salon ou dans une salle de concert classique.
3°/ l’inscription dans une collectivité qui se pense comme une communauté d’auditeurs et de lecteurs (ceux d’une revue fédératrice, de partition sur des lieux) dans un jeu complexe de résistance au tourisme. La recherche de former ou d’intégrer une communauté de happy few promet l’inclusion sociale dans une entreprise collective d’édification, non sans paradoxe. Certains pèlerins, avides de distinction, manifestent en effet leur opposition à ce collectif, protestant contre la dimension snob et mondaine de tels rassemblements.
4°/ les récits : genres et fonctions : Le pèlerinage musical est une construction reposant sur un discours du sacré utilisé dans un cadre esthétique. Il ne s’agit donc pas d’envisager le phénomène en tant que tel, mais de le comprendre à travers ses représentations, au moyen d’une analyse des discours de l’époque, qu’ils soient littéraires ou journalistiques, ou qu’ils soient de l’ordre de la sphère privée. Ces types de récits variés invitent à s’interroger sur leur genre, leur lieu de diffusion, notamment médiatique, et fonction. Le récit de pèlerinage relève-t-il de la critique musicale ? du récit de soi ? de la chronique de voyage ?
Ce colloque se veut interdisciplinaire et réceptif aux approches méthodologiques différentes : études littéraires, histoire culturelle, musicologie historique, fandom studies et autres études sociologiques seront les bienvenues pour peu qu’elles croisent les axes précisés ci-dessus. Sans exclure totalement les études sur le cas Wagner qui est déjà bien documenté, nous privilégierons les études de cas sur d’autres compositeurs ou interprètes.
Le colloque se tiendra à l’Université libre de Bruxelles les 22 et 23 mai 2025.
Les participant·es seront appelé·es à publier leur communication dans les actes du colloque.
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Bibliographie indicative
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- Bolderman, Leonieke, Contemporary Music Tourism A Theory of Musical Topophilia, Londres, Routledge, 2020.
- Carassus, Émilien, Le Snobisme et les lettres françaises de Paul Bourget à Marcel Proust, Paris, Armand Colin, 1966.
- Dallen, Timothy, et al (dir.), Tourism, Religion and Spiritual Journeys, Londres, Routledge, 2006.
- Desclaux, Jessica, Barrès en mouvement, Genève, Droz, 2023.
- Diaz, José-Luis (dir.), Le Magasin du XIXe siècle, n°7 « La Machine à gloire », Paris, Champ Vallon, 2017.
- Edwards, Philip, Pilgrimage and Literature, Cambridge, Cambridge University Press, 2005.
- Gaboriaud, Marie, Une vie de gloire et de souffrance. Le mythe de Beethoven sous la Troisième République, Paris, Classiques Garnier, 2017.
- Gibson, Chris et John Connell (dir.), Music and Tourism On the Road Again, Clevedon, Channel View, 2005.
- Hartford, Robert, Bayreuth: The Early Years, Cambridge, Cambridge University Press, 1981.
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- Leblanc, Cécile, Wagnérisme et création en France (1883-1889), Paris, Honoré Champion, 2005.
- MacCannell, Dean, The Tourist: A New Theory of the Leisure Class, With a New Introduction, Berkeley, CA, University of California Press, 1999.
- Meyer, Christian, Le musicien et ses voyages, Berlin, Berliner Wissenschafts-Verlag, 2003.
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- Schneider, Corinne, La musique des voyages, Paris, Fayard, 2019.
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- Turner, Victor et Edith Turner, Image and Pilgrimage in Christian Culture. Anthropological Perspectives, New York/Oxford, Columbia University Press, 1978.
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- Veynaire, Sylvain, Panorama du voyage (1780-1920), Paris, Les Belles Lettres, 2012.
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Informations pratiques :
Les communications auront une durée de 20 à 30 minutes. La durée finale sera annoncée en fonction du nombre de participants.
Elles devront se faire en français.
Pour soumettre une proposition, veuillez envoyer les informations suivantes à l’adresse adeline.heck@ulb.be (un accusé de réception vous sera adressé).
- Nom du·de la participant·e et affiliation(s) éventuelle(s)
- Titre de la communication
- Résumé de la communication (entre 2000 et 3000 signes, espaces compris)
- Courte bibliographie
- Biobibliographie du·de la participant·e (max 1000 signes espaces compris)
Date limite pour les soumissions : 30 septembre 2024
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Comités scientifique et organisateur :
Laurence BROGNIEZ (Professeure, Philixte – Université libre de Bruxelles)
Jessica DESCLAUX (Chargée de recherches FNRS – Université catholique de Louvain)
Valérie DUFOUR (Professeure, LaM – Université libre de Bruelles et Maître de recherche FNRS)
David EVANS (Professeur – University of St Andrews)
Adeline HECK (Chargée de recherches FNRS, Philixte/LaM – Université libre de Bruxelles)
Christophe PIRENNE (Professeur – Université de Liège).