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#MeToo français dans le cinéma et les médias. Contribution à la fabrique d’un objet de recherche universitaire (Université Sorbonne Nouvelle, Paris)

#MeToo français dans le cinéma et les médias. Contribution à la fabrique d’un objet de recherche universitaire (Université Sorbonne Nouvelle, Paris)

Publié le par Marie Berjon (Source : Thomas Pillard)

Appel à contributions pour le colloque international organisé à l’occasion des 10 ans de Genre en séries

https://journals.openedition.org/ges/ 

#MeToo français dans le cinéma et les médias

Contribution à la fabrique d’un objet de recherche universitaire

 

Créée en 2015, la revue Genre en séries s’est donnée pour but d’explorer la manière dont le genre traverse les cultures médiatiques. Son ambition a d’emblée été de « participer à l’appropriation, tardive pour les études médiatiques et audiovisuelles, de ces approches et outils d’analyse par le champ universitaire français » en analysant collectivement « les questions de pouvoir, de structure sociale et de normes à l’œuvre dans les cultures médiatiques. »

Deux ans plus tard, l’émergence de #MeToo puis ses multiples déclinaisons et ramifications – telles que #MeToo Inceste[1] ou #MeToo Gay – au sein et en dehors de Hollywood, à une échelle internationale (Chandra et al. 2021, Cavalin et al. 2022), ne font que confirmer l’urgente nécessité de mettre au jour et de constituer en véritable objet de recherche les rapports et mécanismes de domination, de harcèlement, d’agression, d’emprise et de violence à l’œuvre de longue date dans le milieu du cinéma et, plus largement, des médias.

Cette nécessité a été en partie entendue, en particulier au sein de l’industrie cinématographique et de la recherche anglo-saxonnes où une prise de conscience salutaire a donné lieu à de nouvelles régulations professionnelles, tandis que des projets scientifiques au long cours avaient déjà été initiés, en amont de la déflagration #MeToo, afin notamment d’objectiver les conditions de travail des femmes en combinant les méthodes de l’analyse statistique et de l’histoire orale[2]. 

Force est pourtant de constater que, du côté des instances de création et de diffusion des œuvres comme de la recherche universitaire prenant celles-ci pour objet, beaucoup reste à faire en France, où le statut même du cinéma comme « Art » a des conséquences encore tangibles tant sur les discours et les représentations que sur les pratiques et les mentalités : c’est au regard de telles logiques de hiérarchisation et de légitimité culturelle que le #MeToo français est à situer.

À l’heure où nous écrivons, les courageuses prises de parole successives de Judith Godrèche et de nombreuses autres professionnel·les des milieux français de l’art et de la culture, mais aussi de victimes plus anonymes ou perçues comme moins « légitimes » et souvent moins écoutées (Souffrant 2022), à l’image de certaines candidates de téléréalité (Villanova 2024), luttent pour se faire entendre et contribuer à des changements effectifs des modes de production, de coopération, de travail et de vivre ensemble. D’autres prises de parole ont précédé celle de Godrèche, dont un roman autobiographique paru en 1995 évoquait déjà les violences subies, et « l’affaire Depardieu » n’est pas le premier scandale qui éclate au sein du cinéma français[3]. Ces deux couvertures médiatiques marquent en revanche une date en ce qu’elles parviennent à donner suite et élargir la timide brèche ouverte par « l’affaire Polanski ». 

Plus précisément, cette brèche a été ouverte lorsque Roman Polanski renonça à présider les César en 2017 suite à une pétition réclamant sa destitution. Pour la première fois, une institution cinématographique française a dû plier sur ce terrain face à une mobilisation féministe entraînant une réaction de l’opinion publique. Mais aucune remise en question du milieu professionnel n’a suivi. La nouveauté des cas Godrèche et Depardieu est dès lors de réellement mettre à mal l’omerta et l’impunité (au moins sur le terrain médiatique, dans l’attente de suites juridiques récemment exigées avec force), en donnant une ampleur inédite à la dénonciation publique de dérives systémiques qui relèvent de logiques culturelles, très françaises, de distinction bourdieusienne ainsi que d’exclusion des femmes de la position de sujet (Coquillat 1982 ; Burch & Sellier 1998 ; Krakovitch & Sellier 2001).

Ces spécificités du cinéma français sont donc à interroger, documenter, historiciser par rapport à d’autres arts et médias (télévision, journalisme, littérature, théâtre, etc.) et à d’autres contextes nationaux, comme les États-Unis. Il importe, dans cette optique, que le monde universitaire en général – milieu non exempt de violences sexistes et sexuelles, comme l’ont illustré différentes affaires récentes – et les sciences humaines sociales en particulier, contribuent au débat public et à l’examen collectif de ces pratiques – genrées, artistiques, culturelles, médiatiques, institutionnelles – historiquement perpétrées dans un silence complice. Relire des œuvres désormais perçues comme problématiques en les contextualisant apparaît, par ailleurs, comme un impératif pour constituer et transmettre une mémoire vive, vigilante.

Pour ces raisons, à l’occasion des 10 ans de Genre en séries, nous souhaitons, comme d’autres disciplines avant nous[4], investir ce terrain en lien avec les sociétés savantes représentatives des études de cinéma et audiovisuel, mais aussi les collectifs et associations professionnelles et de la société civile. Dans le prolongement de chantiers de recherche récemment ouverts[5], nous invitons la communauté des chercheur·euses en SHS à explorer les multiples enjeux, questions et défis que posent le #MeToo français, à l’occasion d’un colloque international prévu à Paris en novembre 2025.

Toute proposition de communication ou de participation sous toute forme (table ronde, workshop, témoignage, etc.) sera étudiée de façon sérieuse, bienveillante et solidaire par le comité scientifique constitué des membres de la revue et de spécialistes des questions de genre appliquées au cinéma et aux médias. Nous proposons toutefois, à titre indicatif, quatre axes de réflexion privilégiés dont nous pensons qu’ils peuvent contribuer à éclaircir les logiques et zones d’ombres du #MeToo français :

-       Histoire

o   Histoire culturelle et orale des formes de domination induites par les conditions de travail

o   Évolution de la réception des cas et des discours médiatiques au fil du temps

o   Écritures de l’histoire du cinéma français, avant et après #MeToo

o   Relectures et transmissions contemporaines d’œuvres au prisme de #MeToo

o   Mise en perspective des articulations entre représentations à l’écran et rapports de pouvoir (et abus) hors caméra ; questions d’intersectionnalité

-       Médias

o   Points communs et différences d’un milieu médiatique à un autre

o   Témoignages et débats publics relatifs aux VSS

o   Traitement médiatique des affaires, scandales, polémiques et controverses

o   Importance médiatique et hiérarchie culturelle

o   La critique de cinéma à l’épreuve de #MeToo

-       Transnational

o   Importance des valeurs qui structurent le goût « légitime » d’un milieu audiovisuel et/ou d’un pays à un autre

o   Différences et spécificités historiques, culturelles, juridiques, socioéconomiques et industrielles

o   Différences et évolutions de réception de certains cas internationaux (Allen, Kinski, Polanski, Weinstein, Le Dernier Tango à Paris, etc.)

-       Institutions et publics

o   Polémiques et controverses ayant émaillé l’histoire des institutions françaises (CNC, Cinémathèques, César, Festivals, etc.)

o   De quelles valeurs les institutions se doivent-elles d’être les garantes ? 

o   Réaction/action/inaction des institutions du cinéma face aux VSS

o   Mobilisations citoyennes, associatives, militantes

o   Dialectique milieu(x) professionnel(s)/public(s)

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[1] Signalons, à ce sujet, la journée d’études organisée par l’IRCAV le 16 septembre 2022 : https://ircav.fr/event/metooinceste-regards-pluriels-sur-une-campagne-de-mobilisation/ 


[2] Citons à titre d’exemple le projet « Calling the Shot : Women and Contemporary Film Culture in the UK », dont l’objet était d’étudier le travail des femmes et les obstacles auxquels elles sont confrontées dans l’industrie du cinéma au Royaume-Uni, par le biais d’une analyse statistique détaillée des films britanniques de 2000 à 2015. Le harcèlement sexuel a émergé comme un thème constant des entretiens menés avec 50 femmes travaillant dans six rôles clés de la production cinématographique. https://callingtheshots138740090.wordpress.com 


[3] Souvenons-nous à cet égard du soutien d’une large partie du cinéma d’auteur vis-à-vis de Jean-Claude Brisseau au début des années 2000.


[4] Plusieurs thèses ont initié cet investissement : 

- en Lettres : Mathilde Hinault, « L’écriture du viol de 1945 aux années #MeToo : une histoire de luttes » (Université Sorbonne Nouvelle, depuis 2022) ; Pauline Schwaller, « Réécrire les mythes grecs à l’ère #MeToo : entre phénomène littéraire et phénomène de société » (Université de Lorraine, depuis 2023).

- en Sciences de l’information et de la communication : Laure Beaulieu, « Une rédaction face à #Metoo. Appropriations des idées féministes et évolutions des normes et pratiques journalistiques » (Université Sorbonne Paris Nord, depuis 2018) ; Warda Khemilat, « De #Metoo au Plan d’action national contre les violences sexuelles et sexistes. Analyse localisée d’un phénomène médiatique transnational » (Université Côte d’Azur, depuis 2018). 

- en Études anglophones : Mariette Lalire, « Représentations et sexualités féminines : comprendre l’impact du mouvement #MeToo sur les séries télévisées britanniques et américaines » (Université Paul Valéry-Montpellier, depuis 2020).

- en Sciences juridiques : Martin Paumelle, « Contribution à l’analyse du traitement pénal des auteurs d’infractions à caractère sexuel : réflexion au regard du principe d’utilité » (Université de Caen Normandie, soutenue en 2022) ; Lucie Longuet, « Les réceptions des politiques de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans l’enseignement supérieur : une étude comparée » (Université Côte d’Azur, depuis 2021).

Signalons aussi, en SIC, le colloque « Médias et VSS. Informer, dénoncer, sensibiliser » organisé en avril 2023 : https://www.sfsic.org/wp-inside/uploads/2023/03/colloque-medias-violences-sexistes-et-sexuelles_programme_fr_num.pdf 


[5] Nous pensons en particulier au projet ANR « Female Filmmakers and Feminism in the Media (FEMME) » : https://anr-femme.univ-lemans.fr ainsi qu’au projet AVISA « Historiciser le harcèlement sexuel » : https://avisa.huma-num.fr/ 

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Les propositions en français ou en anglais (argumentaire de 500 mots accompagné d’une brève notice biographique) sont à adresser d’ici au 10 décembre 2024 à genreenseries@gmail.com">genreenseries@gmail.com, en mettant svp en copie la direction de la revue (thomas.pillard@sorbonne-nouvelle.fr">thomas.pillard@sorbonne-nouvelle.fr et gwenaelle.le-gras@u-bordeaux-montaigne.fr">gwenaelle.le-gras@u-bordeaux-montaigne.fr). Une réponse sera donnée le 1er février 2025 par le comité d’organisation. Le colloque est prévu sur deux jours en novembre 2025 (dates à préciser) à Paris, dans les locaux de l’Université Sorbonne Nouvelle. Il donnera lieu à une publication scientifique collective sous la forme d’un numéro spécial de la revue Genre en séries.

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Comité d’organisation :

Fanny Beuré (Université de Lorraine)

Mélanie Boissonneau (Université Sorbonne Nouvelle)

Gwénaëlle Le Gras (Université Bordeaux Montaigne)

Maureen Lepers (Université Sorbonne Nouvelle)

Alexandre Moussa (Université de Poitiers)

Thomas Pillard (Université Sorbonne Nouvelle)

Jules Sandeau (Université Paul-Valéry Montpellier 3)

Célia Sauvage (Université Sorbonne Nouvelle)

 

Comité scientifique : 

Olivier Alexandre (CNRS/Centre Internet et Société)

Laurence Allard (Université de Lille)

Bérénice Bonhomme (Université Bordeaux Montaigne)

Teresa Castro (Université Sorbonne Nouvelle)

Hélène Fleckinger (Université Paris 8 Vincennes – Saint-Denis)

Réjane Hamus-Vallée (Université d’Évry Paris-Saclay)

Mary Harrod (Université de Warwick)

Pierre Katuszewski (Université Bordeaux Montaigne)

Kira Kitsopanidou (Université Sorbonne Nouvelle)

Mélanie Lallet (Université Catholique de l’Ouest)

Delphine Letort (Université du Mans, porteuse du projet ANR FEMME)

Marie-Christine Lipani (Université Bordeaux Montaigne)

Cristelle Maury (Université Toulouse – Jean Jaurès)

Raphaëlle Moine (Université Sorbonne Nouvelle)

Aurélie Pinto (Université Sorbonne Nouvelle)

Aurore Renaut (Université de Lorraine)

David Roche (Université Paul-Valéry Montpellier 3, co-porteur du projet ANR FEMME)

Giuseppina Sapio (Université Paris 8 Vincennes – Saint-Denis)

Geneviève Sellier (Université Bordeaux Montaigne)

Salima Tenfiche (Université Sorbonne Nouvelle)

Clémentine Tholas (Université Sorbonne Nouvelle)

Ginette Vincendeau (King’s College, Université de Londres)

 

Partenaires :

AFECCAV, Association Française des Enseignants et Chercheurs en Cinéma et Audiovisuel, https://www.afeccav.org 

AFRHC, Association Française de Recherche sur l’Histoire du Cinéma, https://afrhc.fr 

ANR Femme, « Female Filmmakers and Feminism in the Media », https://anr-femme.univ-lemans.fr 

AVISA, « Historiser le harcèlement sexuel », https://avisa.huma-num.fr 

BAFTSS, British Association of Film, Television and Screen Studies, https://www.baftss.org 

French Screen Studies, https://www.tandfonline.com/journals/rsfc21 

Hystérique*, Association féministe queer intersectionnelle de l’Université Sorbonne Nouvelle, https://www.instagram.com/associationhysterique/?hl=fr 

#MeTooMédia, https://www.metoomedia.org 

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Bibliographie

ANGOT Christine, L’Inceste, Stock, 1999.

BACQUÉ Raphaëlle & BLUMENFELD Samuel, Une affaire très française. Depardieu, l’enquête inédite, Albin Michel, 2024.

BUISSON Charlotte & WETZELS Jeanne, Les Violences sexistes et sexuelles, Que sais-je ?, 2022.

BURCH Noël & SELLIER Geneviève, « Cinéphilie et masculinité I./ Cinéphilie et masculinité II », Iris, n° 26, 1998, p. 191-206.

CAVALIN Catherine et al (dir.), Les Violences sexistes après #MeToo, École des mines, 2022.

CHANDRA Giti & ERLINGSDOTTIR Irma (dir.), The Routledge Handbook of the Politics of the #MeToo Movement, Routledge, 2020.

COQUILLAT Michèle, La Poétique du mâle, Gallimard, 1982.

DEVYNCK Hélène, Impunité, Seuil, 2022.

FILEBORN Bianca & LONELY-HOWES Rachel (dir.), #MeToo and the Politics of Social Change, Palgrave Macmillan, 2019

FRAPPAT Hélène, Le Gaslighting ou l’art de faire taire les femmes, Éditions de l’observatoire, 2023.

GODRÈCHE Judith, Point de côté, Flammarion, 2015.

KOUCHNER Camille, La Familia Grande, Seuil, 2021.

KRAKOVITCH Odile & SELLIER Geneviève (dir.), L’Exclusion des femmes. Masculinité et politique dans la culture au XXe siècle, Éditions Complexe, 2001.

LE BESCO Isild, Dire vrai, Denoël, 2024.

MELLUL Yaël & BOUVET Lise, Intouchables ? People, justice et impunité, Balland, 2018.

MERLIN-KAJMAN Hélène, La Littérature à l’heure de #MeToo, Ithaque, 2000.

MURAT Laure, Une révolution sexuelle ? Réflexions sur l’après-Weinstein, Stock, 2018.

SOUFFRANT Kharoll-Ann, Le Privilège de dénoncer, Éditions du Remue-Ménage, 2023.

SPRINGORA Vanessa, Le Consentement, Grasset, 2019.

VILLANOVA Constance, Vivre pour les caméras, JC Lattès, 2024. 

VINCENDEAU Ginette, ‘Daddy’s Girls, Oedipal narratives in 1930s French Films’, Iris, n° 8, 1989, p. 70-81. 

VINCENDEAU Ginette, ‘Fathers and Daughters in French cinema’, in Pam Cook and Philip Dodd (eds.), Women and Film: A Sight and Sound Reader, Scarlet Press, 1993, p. 156-163. [reprint of ‘Family Plots: The Fathers and Daughters of French Cinema’, Sight and Sound, vol. 1, n°11, 1992, p. 14-17]