Au fondement de l’œuvre de Brian Evenson, il y a une fracture : celle d’un prêtre mormon qui rompt avec sa communauté. Dans ses nouvelles (« La langue d’Altmann », « Contagion », « Windeye ») et ses romans (La Confrérie des mutilés, Inversion, Immobilité), se rejoue ainsi son rejet du mormonisme, dessinant les contours d’un gothique postmoderniste.
L’univers de cet auteur américain contemporain est cruel et troublant, nous menant au cœur d’un territoire de l’étrange où la violence le dispute à l’absurde pour créer ce que l’on pourrait nommer une « esthétique du malaise ». En mettant en déroute nos horizons d’attente, le texte d’Evenson met en crise le partage entre réel et fiction, et nous confronte à l’angoisse de la perte du sens.
Ces textes qui défaillent sont le lieu de dissonances, signes de l’inintelligibilité d’un monde qui a perdu sa cohérence fragile. Ils nous invitent au cœur d’un désert moral dans lequel rougeoie l’effroi du sacré. Dans leur violence figurale, ces textes inaugurent une nouvelle relation à la langue et au sensible en conditionnant une réception particulièrement affective du lecteur en proie à l’effondrement de ses repères moraux, herméneutiques et existentiels.
Nawelle Lechevalier-Bekadar est agrégée d’anglais et maîtresse de conférences en littérature américaine contemporaine à l’université Bretagne-Sud. Elle a déjà consacré de nombreux articles à l’oeuvre de Brian Evenson et co-dirigé le premier ouvrage collectif sur l’auteur paru en 2021 aux Presses universitaires de Rennes (Brian Evenson. L’empire de la cruauté).