Au commencement, il y a cette idée de l’homme moderne qui, devenu à lui-même sa propre origine, s’endort en révoquant le dehors et en fixant en lui le monde. Un siècle plus tard, il y a ces personnages dont les cauchemars débordent sur la veille, au sein d’un monde rendu étranger, inhabitable.
Partant d’une telle mise en miroir, cet essai qualifie un certain « sentiment apocalyptique » propre au monde contemporain laïc, mais qui fait écho aux apocalypses coloniales. Or, si l’apocalypse n’est que la fin d’un monde, celles de l’Occident contemporain semblent dépouillées de l’eschatologie nécessaire pour en faire une voie de transition. C’est enfin la pensée moderne elle-même qui paraît inapte à penser les passages.
Ce livre tente de donner une réponse littéraire aux impasses du rationalisme en mettant en évidence la capacité de la poétique à produire une pensée du seuil et de l’entre-deux, entre le rêve et la veille, le réel et l’imaginaire, la vie et la mort, soi et l’autre, l’humain et l’autre qu’humain.
Entre la décadence de la civilisation perse chez l’Iranien Sadegh Hedayat, la perte du désert chez le Libyen touareg Ibrahim al-Koni et la mort de l’avenir chez le Français Antoine Volodine, les romans dont cet essai propose l’analyse donnent à voir des définitions autres du monde, de l’individualité et des relations entre sujets, humains ou autres qu’humains (animaux, esprits, anges, hybrides, etc.).
Nous appelons « cosmopoétique » cette façon de refaire monde pour un individu qui, énigme à lui-même, se conjugue à l’environnement, se redéfinit et se déchiffre dans la tangence de l’invisible.