Appel à communications pour le colloque de Post-Scriptum :
La Littérature comme aller-vers : pour une épistémologie littéraire extra-humaine
Université de Montréal, Québec, Canada, 25-26 avril 2024
Concevoir les liens qui unissent littérature et pensée, c’est nécessairement inscrire la réflexion sous le signe du mouvement, dans la mesure où le littéraire permet, par un travail de l’imaginaire, de décloisonner le territoire du pensable, de l’étendre. Par la littérature, la pensée peut se libérer, fuser et se départir des catégories et des concepts qui, jusqu’alors, la circonscrivaient, la conditionnaient. Telle une poussée hors de soi, l’expérience littéraire nous arrache à nos positions et propulse qui y prend part au-delà de ces frontières qu’on croyait immuables.
Nous envisageons ce colloque comme l’opportunité de réfléchir collectivement à la puissance épistémique du littéraire, soit à sa capacité de mettre en mouvement la pensée; de convoquer au sein de l’espace du pensable des enjeux qui dépassent, notamment, les modalités d’une réflexion ceinte par les strictes limites de l’expérience empirique.
En ce sens, cet aller-vers du littéraire peut être envisagé sans substantif, comme une expérimentation, comme l’à-venir d’un travail en laboratoire, comme un saut exploratoire, comme un bond par lequel l’esprit se projette vers une forme d’irreprésentable et/ou d’impensé auquel il se confronte.
La littérature, qui peut donner forme à un impensé, auquel elle assigne un corps langagier, permet de pénétrer l’espace du pensable tout en conservant cette part négative qui caractérise traditionnellement l’expérience littéraire. On peut penser au travail de Valère Novarina qui cherche à figurer ce qui se dérobe, à incarner sous une forme nécessairement arbitraire des idées qui s’estompent sans disparaître; à celui de Frankétienne qui, dans L’Oiseau Schizophone (1998), cherche par une écriture empreinte d’une « insaisissable étrangeté » (Martelly 2016, 174) à restituer le réel, mais surtout à le transcender.
L’aller-vers peut aussi être conçu comme une projection, comme un geste spéculatif. Grâce à un travail de l’imaginaire, l’esprit se projette vers des mondes possibles (ou impossibles), s’élevant par le fait même au-delà des contraintes du présent, re-définissant les frontières du territoire qui lui était assigné. Léonora Miano dans Rouge Impératrice (2019) imagine une Afrique futuriste vers laquelle se ruent les Européens fuyant leur continent en ruine. Angela Carter nous donne à voir avec The Infernal Desire Machines of Doctor Hoffman (1972) un monde au sein duquel une machine diabolique matérialise les désirs des habitants d’une petite ville. The Thing Itself (2015) d’Adam Roberts met en scène un monde où des individus seraient parvenus à faire l’expérience de la chose en soi kantienne. Les fictions littéraires deviennent ainsi des supports heuristiques qui permettent de contextualiser des idées abstraites (Rumpala 2015), elles procèdent d’un travail de modélisation (Swirski 2007) qui offre une structure à des idées qui ne sauraient s’incarner autrement.
Les pistes de réflexions que voici ne sont qu’un maigre échantillon des possibilités qu’offre la littérature comme aller-vers, idée qu’il s’agit d'interroger dans sa dimension épistémologique et non strictement identitaire. Elles incluent, notamment :
L’expérience littéraire comme manière d’interroger très concrètement les modalités de notre engagement dans le monde. Dans quelle mesure l’expérience littéraire nous offre-t-elle un lieu privilégié à partir duquel problématiser nos manières d’habiter le monde?
La littérature comme un espace au sein duquel il devient possible pour la pensée de résister aux assignations sociales et à toutes formes de normativité (Butler, Preciado). La pensée littéraire peut se faire fluide, se soustraire aux catégories qui structurent d’ordinaire nos schémas de réflexion. De quelle manière se manifeste cette fluidité et que permet-elle qui ne serait pas possible autrement
La littérature comme un aller-vers l’autre qui se décline selon de nouvelles modalités. La littérature permet de transcender, sur le plan de la pensée, certains rapports de force et de domination (d’Eaubonne). Comment s’articulent les liens entre l’expérience littéraire et la pensée décoloniale?
La capacité du littéraire à faire surgir sur l’avant-scène le vivant dans toutes ses déclinaisons. La littérature nous permet de penser autrement les formes de vie qui participent du vivant et nous invite par le fait même à interroger le regard porté sur celles-ci (Haraway, Despret). Quelles sont les implications conceptuelles de ce regard nouveau généré par l’expérience littéraire?
Cette idée d’aller-vers convie également des réflexions portant sur le concept d’utopie. Comment se profile, à travers la littérature, de nouvelles structures sociales, politiques, etc.? Quelle est la portée épistémique de ces représentations ?
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Nous encourageons les contributions en recherche et recherche-création; celles-ci peuvent être en français ou en anglais. Les propositions de communication, d’un maximum de 300 mots, devront être envoyées au plus tard le 12 février 2024 à l’adresse suivante : redaction@post-scriptum.org. Elles devront être anonymisées et accompagnées d’un second fichier contenant le nom, l’université d’attache, l’adresse courriel de l’auteur.ice, une courte bio-bibliographie et le titre de la communication proposée. Les propositions feront l’objet d’une évaluation à l’aveugle par le comité de lecture.
Il y aura publication des actes de colloque.
Veuillez noter que les frais de transport et d’hébergement ne seront pas pris en charge par la revue. Aucuns frais de participation au colloque ne seront demandés aux participant.e.s.
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Calendrier
(Nouvelle date) 12 février 2024 : date limite pour l’envoi des propositions
Fin février 2024 : décision du comité
25-26 avril 2024 : colloque en présentiel à l’Université de Montréal
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Bibliographie
BUTLER, Judith. Humain, inhumain. Le travail critique des normes. Entretiens. Paris, Amsterdam, 2005.
CARTER, Angela. The Infernal Desire Machines of Doctor Hoffman. New York, Penguin Books, 1994 [1972].
D’EAUBONNE, Françoise. Les bergères de l’Apocalypse. Paris, Des femmes, 2022 [1977].
DESPRET, Vinciane. Autobiographie d’un poulpe et autres récits d’anticipation. Arles, Actes Sud, 2021.
FRANKÉTIENNE. L’oiseau schizophone. Paris, Jean-Michel Place éditeur, 1998 [1993].
HARAWAY, Donna J. Staying With the Trouble. Making Kin in the Chthulucene. Durham, Duke University Press, 2016.
MARTELLY, Stéphane. Les jeux du dissemblable. Folie, marge et féminin en littérature haïtienne contemporaine. Montréal, Nota Bene, 2016.
MIANO, Léonora. Rouge impératrice. Paris, Grasset, 2019.
PRECIADO, Paul B. Dysphoria Mundi. Le son du monde qui s’écroule. Paris, Grasset, 2022.
ROBERTS, Adam. The Thing Itself. London, Gollancz, 2015.
RUMPALA, Yannick. « Littérature à potentiel heuristique pour temps incertains ». Dans Méthodos, no. 15, 2015. [En ligne : https://doi.org/10.4000/methodos.4178]
SWIRSKI, Peter. Of Literature and Knowledge. Explorations in Narrative Thought Experiments, Evolution, and Game Theory. London, Routledge, 2007.
Crédits image : Image tirée de « L’espace céleste et la nature tropicale, description physique de l’univers », préface de M. Babinet, dessins de Yan’ Dargent © Public Domain, from the British Library’s collections, 2013.
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Literature as “Going-Beyond”: for an Extra-Human Literary Epistemology
Grasping the links between literature and thought necessarily means inscribing reflection under the sign of movement, insofar as the literary makes it possible, through the work of the imagination, to decompartmentalize the territory of the thinkable, to extend it. Through literature, thought can free itself, go beyond itself, breaking free of the categories and concepts that have until then circumscribed and conditioned it. The literary experience, like a thrust out of oneself, tears us from our positions and propels those who take part in it beyond what were once thought to be immutable boundaries.
We see this conference as an opportunity to reflect collectively on the epistemic power of the literary, that is, on its capacity to set thought in motion, to summon into the space of the thinkable issues that go beyond the modalities of a reflection girded by the strict limits of empirical experience.
In this sense, this literary to-ing and fro-ing can be thought of without a noun, as an experiment, as the future of laboratory work, as an exploratory leap by which the mind projects itself towards a form of unrepresentable and/or unthought of with which it is confronted.
Literature, insofar as it enables us to give form to an unthought, to which it assigns a linguistic body, enables us to enter the space of the thinkable, while retaining that negative element that traditionally characterizes the literary experience. We might think of Valère Novarina’s work, which seeks to represent that which is elusive, to embody in a necessarily arbitrary form ideas that fade without disappearing; or Frankétienne’s L'Oiseau Schizophone (1998), whose writing is imbued with an “elusive strangeness” (Martelly 2016, 174) in restoring and/or transcending reality.
The “going-beyond” can also be conceived as a projection, a speculative gesture. Thanks to the work of the imagination, the mind projects itself towards possible (or impossible) worlds, thereby rising above the constraints of the present, redefining the boundaries of the territory assigned to it. Léonora Miano’s Rouge Impératrice (2019) imagines a futuristic Africa towards which Europeans fleeing their ruined continent are rushing. Angela Carter’s The Infernal Desire Machines of Doctor Hoffman (1972) depicts a world in which a diabolical machine materializes the desires of a small town’s inhabitants. Adam Roberts’ The Thing Itself (2015) builds a world in which individuals are able to experience the Kantian thing-in-itself. Literary fictions thus become heuristic supports that enable abstract ideas to be contextualized (Rumpala 2015). They proceed from a work of modeling (Swirski 2007) that offers a structure to ideas that could not otherwise be embodied.
The following avenues for reflection are just a sample of the perspectives available for this idea of literature as a way “going-beyond”, which we wish to examine in its epistemological rather than strictly identity-based dimension. They include, in particular :
Literary experience as a very concrete way of questioning the modalities of engaging with the world. To what extent does literary experience offer us a privileged space from which to problematize our ways of inhabiting the world?
Literature as a space in which it becomes possible for thought to resist social assignments and all forms of normativity (Butler, Preciado). Literary thought can become fluid, evading the categories that ordinarily structure our thought patterns. How does this fluidity manifest itself, and what does it enable that would not otherwise be possible?
Literature as a way of going towards the other which can take new ways. Literature's forms/ways of thinking enable us to transcend certain relations of power and domination (d’Eaubonne). How are the links between literary experience and decolonial thought articulated?
The ability of literature to bring to the fore the living in all its forms. Literature enables us to think differently about the forms of life that make up the living, and thereby invites us to question the way we look at them (Haraway, Despret). What are the conceptual implications of this new gaze generated by literary experience?
This idea of “going beyond” also invites reflection on the concept of utopia. How do new social and political structures come to existence through literature? What is the epistemic scope of these representations ?
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We welcome proposals from research and creative research, in French or English. Potential participants must send their 300-words proposals by February 12, 2024 at : redaction@post-scriptum.org. Proposals must be sent in two distinct files : in the first file, you must include the title of your proposal and the proposal text itself. In the second file, you must include your name, your institution, your email address, a short biography, and the title of your proposal. Proposals will undergo a blind review by the reading committee.
Conference proceedings will be published.
Please note that travel and accommodation expenses will not be covered by the journal. No conference fees will be charged to participants.
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Calendar
(New date) February 12, 2024: deadline for submissions
End of February 2024: committee decision
April 25-26, 2024: in-person conference at Université de Montréal
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Bibliography
BUTLER, Judith. Humain, inhumain. Le travail critique des normes. Entretiens. Paris, Amsterdam, 2005.
CARTER, Angela. The Infernal Desire Machines of Doctor Hoffman. New York, Penguin Books, 1994 [1972].
D’EAUBONNE, Françoise. Les bergères de l’Apocalypse. Paris, Des femmes, 2022 [1977].
DESPRET, Vinciane. Autobiographie d’un poulpe et autres récits d’anticipation. Arles, Actes Sud, 2021.
FRANKÉTIENNE. L’oiseau schizophone. Paris, Jean-Michel Place éditeur, 1998 [1993].
HARAWAY, Donna J. Staying With the Trouble. Making Kin in the Chthulucene. Durham, Duke University Press, 2016.
MARTELLY, Stéphane. Les jeux du dissemblable. Folie, marge et féminin en littérature haïtienne contemporaine. Montréal, Nota Bene, 2016.
MIANO, Léonora. Rouge impératrice. Paris, Grasset, 2019.
PRECIADO, Paul B. Dysphoria Mundi. Le son du monde qui s’écroule. Paris, Grasset, 2022.
ROBERTS, Adam. The Thing Itself, London, Gollancz, 2015.
RUMPALA, Yannick. « Littérature à potentiel heuristique pour temps incertains ». In Méthodos, no. 15, 2015. [Online : https://doi.org/10.4000/methodos.4178]
SWIRSKI, Peter. Of Literature and Knowledge. Explorations in Narrative Thought Experiments, Evolution, and Game Theory. London, Routledge, 2007.
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Image credits : Image from "L'espace céleste et la nature tropicale, description physique de l'univers", preface by M. Babinet, drawings by Yan' Dargent © Public Domain, from the British Library's collections, 2013.