L’Université Ain Shams (Faculté des Lettres) et les Réseaux REREF (réseaux égyptiens de la recherche en français), en partenariat avec l’IFE (l’Institut français en Égypte) ont le plaisir de vous inviter à participer au colloque international
« Penser, représenter, traduire les frontières »
le 19 et le 20 février 2024
Argumentaire et axes
« Tout objet se définit par une limite, qui le distingue d'un dehors et le fait exister. C'est toujours sur une frontière qu'existe et que prend sens la relation entre l'identité et l'altérité, que « l'autre » commence à exister pour « moi » ou pour « nous ». »
La géopolitique des frontières a un double aspect humain comme tracé, et naturel. Selon l’Encyclopaedia Universalis, « le mot « frontière » a pour origine l’ancien adjectif « frontier », qui dérive de « front » et signifie littéralement « faire face » ou « être voisin de » ». Le mot implique donc contiguïté et confrontation à la fois. Les frontières sont là pour être respectées, mais aussi pour être franchies, voire transgressées. La frontière naturelle, comme l’océan, sépare, mais, comme le dit Jankélévitch (Le Pur et l’Impur), par là même « fait communiquer ». C’est aussi, celle qui, le plus souvent est traversée par les émigrés clandestins, essayant d’échapper au contrôle des douanes. La frontière n’est cependant pas toujours transgressée par les plus faibles, mais également par la force, créant dans le territoire ainsi conquis des frontières entre les nouveaux maîtres du pays et les colonisés.
Au cours des dernières décennies, paradoxalement marquées par le phénomène de la globalisation, les frontières se sont refermées pour celles et ceux, désormais indésirables, qu’ils soient travailleurs, étudiants, demandeurs d’asile, enfants ou conjoints d’étrangers. Parallèlement à ce phénomène d’autant plus manifeste qu’il est devenu objet de surenchère politique, d’autres frontières moins visibles se sont constituées à l’intérieur de l’espace mondial. Raciales, ethniques ou religieuses, elles définissent des lignes de partage que la reconnaissance tardive des discriminations et la montée de revendications minoritaires ne permettent plus d’ignorer. En effet, de nos jours le nombre de murs, barrières ou clôtures a été multiplié. De nouveaux murs ne cessent d’être construits. Comment penser l’apparent paradoxe entre, d’une part, une incitation permanente et généralisée à la mobilité, une tendance à l’ouverture des frontières et, d’autre part, la militarisation des frontières et les mesures de lutte contre l’immigration clandestine ?
Peut-on imaginer un monde sans frontière, un espace libre, tel qu’il se profile par exemple dans Désert de Le Clézio. Mais une telle vision d’un monde libre, i.e. sans frontières, est-elle possible? Est-elle viable dans le monde d’aujourd’hui, traversé par ce «cosmopolitisme forcé», selon Michel Agier des pandémies, mais aussi de phénomènes tels le terrorisme, ou par des organismes ne connaissant pas de frontières ?
D’autre part, cette tentative de dépasser les frontières et de les abolir ne mènerait-t-elle à l’uniformisation des cultures et à la perte de l’identité ? Thèmes traités par des écrivains comme le Nigérien Chinua Achebe avec son protagoniste du Sentier des Morts (1972) et le Sénégalais Cheich Hamidou Kane dans L’Aventure ambiguë (1961)
Confrontation encore plus problématique lorsque deux cultures différentes sont perçues à des niveaux de développement inégal, exprimées par des langues différentes. Pensons au barbare dans le monde grec, perçu barbare, en fonction de sa « culture », non de sa race.
Les frontières géographiques, spatiales, donc, ne sont-elles pas aussi des frontières du temps ? Lorsque deux civilisations, à des moments différents de leur développement se trouvent confrontées, frontières temporelles des décalages horaires….
Mais les frontières, autrement conçues, pensées, représentées ne peuvent-elles devenir une source d’enrichissement, d’apports, d’échanges ? Ou faut-il s’en tenir au dualisme scissionniste de cette pensée de Pascal, combien révélatrice d’un autre schème de pensée : « Plaisante vérité qu’une rivière borne ! Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà ! »
Ne peut-on penser la frontière comme défi qui amène à son franchissement ? Penser à « l’homme pont », qui établit des médiations. Penser aussi à tout genre de textes qui assurent le passage du loin au proche, de l’inconnu au connu, du familier à l’étranger, … comme le développe D.H. Pageaux dans L’œil en main, pour une poétique de la médiation.
D’autre part, les frontières sont aussi une réalité humaine, sociale et individuelle. Les frontières sociales impliquent des lignes de démarcation dans la société, parfois subtiles, entraînant, cependant des rapports de force et obligeant les plus faibles à des stratégies, comme le « passing », par exemple, permettant de contourner ce rapport de force, de l’inverser….
Sur le plan psychique, le jeu entre la censure et le désir implique une ligne de démarcation imposée par la censure, constamment remise en question par le désir.
Les frontières peuvent parfois transcender le monde des hommes, lorsqu’elles scindent l’univers entre deux mondes, sensible et intelligible, visible et invisible, réel et imaginaire, comme nous pouvons le percevoir dans Les baliseurs du désert, film du Tunisien Nasser Khémir.
Dire frontière n’exclut pas l’entre-deux à la fois coupure (ou frontière) et lien relationnel, entre deux individus, deux races, deux langues, l’entre-deux, qui, selon Daniel Sibony, est à la fois coupure (ou frontière) et lien relationnel, entre deux espèces, deux langues….
Comment peut-on penser, représenter, les frontières ? Ne faut-il pas une langue pour percevoir le monde ? C’est là où intervient la médiation, parfois problématique de la traduction, phénomène frontalier, sorte de pont. En effet, n’est-elle pas souvent une forme de réception qui constitue, donc, un accès privilégié à une créativité autre ? Mais n’est-elle pas aussi une frontière ?
Si la traduction est un transfert, la culture est donc une frontière dans le sens métaphorique du terme. On y suppose une frontière entre les systèmes de représentation. La traduction, transfert de sens, par-delà la frontière des langues, peut- elle faire disparaître la frontière linguistique ?
La frontière en tant que facteur de division ou de liaison, de passage ou de restriction est aussi susceptible d’être interrogée en fonction de la notion d’intermédialité, « comme un entre-jeu complexe des médias » . Un média peut être une photographie, un poème, un film, une pièce radiophonique, un clip, une série télévisée, ou tout autre support médiatique, donc aussi bien un texte. Le préfixe inter souligne l’idée de la primauté de la relation et du mouvement entre médias par rapport à la spécialisation, au cloisonnement et à l’isolement. Si elle se rapproche de l’intertextualité, l’intermédialité s’en démarque pourtant, d’après Muller, en dépassant la recherche sur la littérature pour s’ouvrir sur les interactions et les interférences entre plusieurs médias. L’approche intermédiatique se distingue également par l’intérêt qu’elle porte à la matérialité du média, au transfert de ses matériaux et de ses fonctions sociales dans les processus de déplacement et de traversée des frontières médiatiques.
L’on peut postuler, également, d’autres modalités de transgression des frontières linguistiques ou discursives, telles que l’intermédialité, ou le métissage des genres littéraires.
La frontière est donc une réalité aussi bien sociale et politique que langagière et discursive, dont il convient d’analyser le fonctionnement.
Les contributions pourront focaliser l’attention sur les pratiques, les idées, les langues, les cultures, les interactions entre elles, dans le but de contribuer à souligner comment l’on peut, au XXIème siècle penser, représenter les frontières, comment les traduire ou les franchir.
Il s’agira de proposer des approches ayant rapport aux frontières entre classes, sexes ou groupes ethniques, langues. Cet appel à contributions vise une redéfinition culturelle, métaphorique, symbolique, linguistique, intermédiatique et traductologique des frontières, une nouvelle manière de penser, de représenter et traduire les frontières ou de jouer avec elles : études culturelles, littéraires linguistiques, traduction, psychanalyse, analyse de discours, pragmatique, argumentation, sémiotique, journalisme, arts, et médias, sans oublier le numérique qui envahit notre quotidien.
Sont attendues des propositions, qui rappellent, confrontent, traduisent les pensées et les représentations de la frontière en soulignant et en analysant leurs potentialités visuelles et narratives, textuelles et iconiques, symboliques et matérielles, artistiques et numériques, tout en focalisant sur les axes suivants :
I- Les frontières et l’humain:
1- Comme ligne de démarcation (géopolitique)
- Les frontières entre le propre et l’étranger, entre le même, l’identique à soi et l’autre, entre les maîtres (du pays, du territoire) et les subalternes (Can the Subaltern speak, de Gayatri Spivak), entre le clandestin vs l’étranger ou le voyageur muni de papiers autorisant son passage.
- Entre le centre et la périphérie
- Les frontières comme gardiennes de la « pureté », contre le risque de l’« impureté », couple conceptuel, longuement traité par Jankélévitch, dans son essai éponyme, Le Pur et l’impur, donc, dans cette perspective, contre le mélange, l’hybride et le métissage…
2- Les frontières comme seuil social
- Comme liminalité (expression de l'anthropologue V. Turner, qui signifie que les impétrants du rituel sont en situation marginale par rapport aux règles et obligations sociales «normales »).
- Les frontières sociales entre un groupe social et l’autre, impliquant la présence du tiers (impersonnel, observateur neutre, selon Bernhard Walfendels)
3- Les frontières de la vie psychique : la censure et le désir, l’inconscient et la conscience…
4 – Les frontières entre le visible et l’invisible, entre le sacré et le profane.
II- Les frontières et les signes :
1- Représenter les frontières dans la littérature, mais surtout les franchir :
- par la médiation symbolique : la littérature de voyage, le roman épistolaire, les formes de l’écriture intime qui traverse les frontières du moi …
- par la médiation culturelle : les écrits de vulgarisation, la critique littéraire ou artistique, la pensée comparative, les dialogues interculturels ...
2- Les frontières linguistiques :
- Frontière et identité discursive
- Frontières linguistiques entre discours politique, scientifique, religieux, de vulgarisation…
- La ponctuation comme frontière, les marges ; les marges proprement dites et les parenthèses, les tirets, frontières entre l’essentiel et l’accessoire….
- L’implicite comme frontière entre le dit et le non-dit (verbal, non verbal et paraverbal).
3- L’intermédialité comme lieux de passage, moyen de franchir les frontières.
- L’intermédialité qui suppose une fusion de plusieurs médias en un seul et la création de nouveaux produits intermédiatiques (par exemple le ciné-roman, le pop art …)
- La représentation d’un média par un autre (Comment et pourquoi le roman postmoderne par exemple met-il en récit la musique dans les œuvres d’Echenoz ou de Christian Gailly, entre autres ?)
- La circulation de formes entre médias et le réemploi de techniques appartenant à un média par un autre (les calligrammes).
4- La traduction, comme passeur de frontières
- La traduction phénomène frontalier : peut-elle former une frontière entre les cultures ? Peut-elle faire disparaitre les frontières linguistiques ?
- La traduction comme moyen de rapprochement de cultures.
- La retraduction comme retour à la frontière
- Gérer l’étrangeté linguistique à travers la traduction
Président du colloque :
Mme le Professeur Hanane Kamel,
Doyenne de la Faculté des Lettres
Vice-président du colloque :
Mme Maha Elewa
Chef du Département de Langue et Littérature françaises
De la Faculté des Lettres
Rapporteur du colloque :
Mme Hoda Abaza
Professeur au Département de Langue et Littérature françaises.
Principal conférencier :
M. le professeur Dominique Viart,
Enseignant-chercheur en littérature française contemporaine à l'Université Paris-Nanterre.
Dates importantes à retenir :
Date limite d’envoi des propositions de communication : 5 décembre 2023.
Réponse du comité scientifique : Le 15 décembre 2023.
Format des propositions :
Une page isolée comportant le nom, l’appartenance institutionnelle, le grade, le titre de la communication et les coordonnées de l’auteur (adresse professionnelle, adresse personnelle, adresse électronique et téléphone).
Sur une autre page un résumé de 15 à 20 lignes présentant le corpus étudié, les idées principales, l’axe de l’étude, et précisant la problématique et les notions essentielles. Trois mots clés devront également être mentionnées.
Les propositions de communication seront adressées à :
Membres du comité scientifique :
Prof. Abaza, Hoda (Faculté des Lettres, Université Ain Shams)
Prof. Bachir, Manal (Université Al-Azhar)
Prof. El Hakim, El Hakim (Faculté Alsun, Université Ain Shams)
Prof. Khalifa, Rania (Faculté Alsun, Université Ain Shams)
Prof. Mobarak, Salma (Faculté des lettres, Universitaire du Caire)
Prof. Nasr, Samah (Faculté des Jeunes Filles , Université Ain Shams)
Prof. Saafan, Mona (Université Helwan)
Prof. Safwat, Yomna (Faculté Alsun, Université Ain Shams)
Membres du comité d’organisation :
Abd Al-Latif, Laila (Faculté des lettres, Université Helwan)
Abd Al-Halim, Héba, (Faculté des Lettres, Université Ain Shams)
Akram, Tasnim (Faculté Alsun)
Foda, Hala, (Faculté des Lettres, Université Ain Shams)
Hassan, Nancy (Faculté des Jeunes Filles, Université Ain Shams)
Joseph, Julie (Faculté Alsun)
Pour toute information supplémentaire prière de contacter :
Julie Joseph : Juliejoseph600@gmail.com
Frais de participation pour les intervenants égyptiens : 600 L.E.S
Frais de participation pour les intervenants non égyptiens : 150 euros
Frais d’inscription pour les participants : 150 L.E.S