Cas unique dans la littérature française, Paul Morand s’est identifié au destin de l’Europe. « Rien de ce qui est européen ne doit m’être étranger » écrit-il dans son roman Champions du monde. Il ne se remettra jamais des ravages de la Grande Guerre. Les recueils de nouvelles, Ouvert la nuit, Fermé la nuit, L’Europe galante et le roman Lewis et Irène dessinent une fresque des Années folles, avec en arrière-plan les conséquences du traité de Versailles. Son engagement de diplomate fit de lui un européiste soucieux de repenser l’Europe sous l’angle du libre-échange. Sa légende d’écrivain cosmopolite ne saurait faire oublier sa période noire, dévoilée dans son Journal de guerre Londres-Paris-Vichy 1939-1943. Outre son adhésion au nationalisme antisémite du régime de Pétain, ce Journal révèle ses liens avec « l’Europe nouvelle » d’Hitler. Morand incarne la déception de l’Européen de l’entre-deux-guerres. Il a détruit ce qu’il avait contribué à bâtir, à savoir l’espérance de pacification planétaire née à la fin de la Grande Guerre. Ce retournement tragique problématise la lecture d’une œuvre, centrée sur l’idée d’Europe et de ses conflits au cours du XXe siècle. Enrichi de documents inédits, cet ouvrage explore des portraits d’Europe chez un écrivain controversé mais néanmoins reconnu pour la virtuosité de son style. Morand fait ainsi réfléchir sur le passé, le présent et l’avenir de l’Europe.
Gil Charbonnier est Professeur de littérature française du XXe siècle à l’Université d’Aix-Marseille. Ses travaux pluridisciplinaires portent sur le cosmopolitisme, les origines intellectuelles de l’Union européenne et les liens entre droit et littérature.