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Appels à contributions
Pour un Scarron poète (Rouen)

Pour un Scarron poète (Rouen)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Yohann Deguin)

Appel à communication

Journée d’étude

 Pour un Scarron poète

 Université de Rouen, le 31 mai 2024

Organisée par Yohann Deguin et Pierre Lyraud

 Propositions à adresser pour le 30 octobre 2023

Scarron tend encore aujourd’hui à être réduit au Roman comique et, dans le meilleur des cas, au Virgile travesti. La variété de son œuvre versifiée, une des plus riches du XVIIe siècle, remise tout récemment en lumière par la publication anthologique du Recueil de quelques vers burlesques par Claudine Nédelec et Jean Leclerc (Classiques Garnier, 2021) mérite pourtant une étude serrée, à laquelle cette journée d’étude souhaiterait apporter une contribution.  Plusieurs voies ont été tracées dans les dernières décennies : celle par exemple d’Alain Génetiot, étudiant la diversité de la gamme lyrique du poète et permettant de là à décloisonner l’étiquette par trop généralisante de « burlesque[1] » ; celle de Jean Leclerc, étudiant sous divers angles le corpus des travestissements scarroniens en vers, pour y relire à nouveau frais le geste parodique, par lequel l’immense érudition du poète articule une chaîne de réseaux linguistiques et stylistiques et intègre des « sources » qu’il remotive[2] ; celle, également, de Claudine Nédelec[3], replaçant Scarron dans la constellation des poètes burlesques pour y suivre les ambiguïtés et refuser les facilités. S’inscrivant dans ces travaux à plusieurs titres fondateurs, la journée d’étude pourra suivre les axes suivants, sans s’y réduire :  

1. les genres pratiqués par Scarron : de la poésie galante à l’épître chagrine, de l’ode héroïque ou héroï-comique à la satire morale, le poète expérimente et éprouve les formes à sa disposition. Si la poétique de l’épître en vers commence à être bien analysée (tout récemment encore par Anna Rolland[4]) qu’en est-il par exemple de la pratique scarronienne du sonnet[5] ou de la chanson ? Quelles innovations, quelles ruptures, ou au contraire quelles traditions poétiques Scarron met-il en œuvre ? Quel rapport Scarron poète entretient-il exactement avec ses devanciers, Marot, Régnier ou Saint-Amand ? Quelle position est la sienne dans un champ qui établit de nouvelles normes en même temps qu’il y résiste ?

 2. les récurrences stylistiques ou rhétoriques : d’un point de vue rhétorique, la persistance du genre judiciaire, parodié dans de nombreux poèmes, mériterait une étude à part, de même que l’éloge lyrique. Peut-on, plus généralement, identifier sinon des stylèmes du moins des faits de style de l’écriture poétique scarronienne ? Qu’en est-il par exemple de la récriture des invocations aux Muses ouvrant autant les parodies héroïcomiques que les poèmes polémiques, et plus généralement de la pratique de l’apostrophe dans cette poésie éminemment communicationnelle ?  Qu’en est-il encore de la pratique de l’épithète chez ce poète parfois proche des Grands Rhétoriqueurs ou de la pratique lexicographique de Scarron, si remarquable, comme l’a montré Takeshi Matsumura[6] ?  Au croisement d’une réflexion générique et stylistique, on pourra s’interroger également, suivant la voie de Karine Abiven, sur l’appartenance de la poésie scarronienne, en son versant le plus polémique, à un style collectif ou à un style historique bien déterminé, correspondant au moment discursif du « burlesque[7] ». 

 3. la logique des recueils : quels principes président à la composition en recueil ? quelles logiques compositionnelles, commerciales[8], voire politiques les caractérisent ? On pourra par exemple étudier la fluctuation de « l’œuvre » de Scarron, faite de gestes d’attribution et de désattribution, depuis le Recueil de quelques vers burlesques de 1643 paru chez Quinet, mais également, comme l’a montré récemment Laurence Giavarini, la « fonction littérarisante[9] » du nom « Scarron » dans le corpus des Mazarinades. 

 4. la pratique parodique : comme le note Jean Leclerc, en une conclusion qui forme programme, « il faut considérer l’apport des nombreux relais dans l’analyse de l’œuvre de Scarron et, à cet égard, envisager la possibilité d’une recherche systématique, stylistique et thématique, qui viendrait compléter la connaissance des sources et enrichir le commentaire du texte[10]. » Quels relais savants entre Virgile et son travestissement sont repérables ? Quelle est la mesure des innovations linguistiques de Scarron, et les déplacements significatifs (dégradation des figures royales, modulation des tons, introduction d’une culture matérielle toute autre, etc.) qu’il opère ?

 5. le dialogue prose / vers : peu de contacts encore ont été établis entre les différentes parties de du corpus de l’auteur, méritant pourtant des études plus transversales : qu’en est-il de la violence et de son écriture, par exemple ? Est-elle le principe d’une dégradation comique, ou le signe, davantage, d’une inquiétude irrépressible sur le devenir du corps ? Qu’en est-il des persistantes figures de la ruse, du mensonge, de la pratique de l’auto-commentaire non seulement dans le roman, mais dans toutes les œuvres, avec leurs scénographies propres ?  Qu’en est-il de l’images de la nudité ou de la pauvreté dans tout le corpus ? De telles analyses permettraient de mieux cadastrer ce qu’on peut appeler l’imaginaire scarronien. 

 6. Le contexte sociopolitique de l’œuvre : les travaux de Hubert Carrier[11], discutés par Christian Jouhaud, ont mis en évidence le « moment » des mazarinades, en éclairant leurs conditions de possibilité et les phénomènes de récurrence générique. On pourra, en observant la diffusion des pièces poétiques attribuées à Scarron, leur circulation et les réseaux dans lesquels elles apparaissent et sont éventuellement commentées, tenter de définir, de cartographier l’action du poète et de son œuvre poétique. Au sein de quelle société évoluent-ils ? Au gré de quelles protections, de quelles clientèles ? Quelles résistances rencontre le poète dans son entreprise littéraire et le cas échéant politique, et quels moyens met-il en œuvre afin de déjouer ces résistances ? Dans quelle mesure la réputation, la position du poète au sein ou en marge de certains cercles entre-t-elles en jeu dans la construction de son œuvre poétique ?

 La journée d’étude – qui pourra prendre la forme d’un colloque en fonction des propositions reçues – aura lieu le 31 mai 2024, à l’université de Rouen (Mont-Saint-Aignan). Les propositions de communication sont à adresser à Yohann Deguin (yohann.deguin@univ-rouen.fr) et Pierre Lyraud (pierre.lyraud@umontreal.ca) pour le 30 octobre 2023.

[1] Alain Génetiot, « Scarron poète lyrique », Cahiers de l’AIEF, n°63, 2011, p. 135-151 ; id., Les Genres lyriques mondains (1630-1660). Étude des poésies de Voiture, Vion d’Alibray, Sarasin et Scarron, Genève, Droz, 1990. 
[2] Jean Leclerc, L’Antiquité travestie et la vogue du burlesque en France (1643-1661) [2008], Paris, Hermann, 2014. 
[3] Claudine Nédelec, Les États et les empires du burlesque, Paris, Honoré Champion, 2004. 
[4] Anna Rolland, « Le compliment en ses excès. Sur quelques passages de l’Épître chagrine au Maréchal d’Albret de Paul Scarron (1659) », Exercices de rhétorique [Online], 20 | 2023, Online since 03 March 2023, connection on 12 July 2023. URL: http://journals.openedition.org/rhetorique/1499. Voir également Marcel Simon, « Les Épistres chagrines de Scarron », Littératures Classiques, vol. 18, 1993, p. 173-184. 
[5] Voir les travaux de Georges Margouliès, « Scarron et Lope de Vega », Revue de littérature comparée, 1928, p. 511-515 ; id., « Scarron sonnettiste et ses modèles espagnols », Revue de littérature comparée, 1933, p. 137-138.
[6] Takeshi Matsumura, « Sur quelques mazarinades attribuées à Paul Scarron. Remarques lexicographiques », Fracas, n° 13, 2014, consultable en ligne : http://mazarinades.org/2014/11/sur-quelques-mazarinades-attribuees-a-paul-scarron-remarques-lexicographiques/#footnote_78_476
[7] Karine Abiven, « Le moment discursif des barricades d’août 1648 : quelle interprétation des récurrences dans le discours sur l’événement ? », Cahiers de Narratologie [Online], 35 | 2019, Online since 03 September 2019, connection on 15 July 2023. URL: http://journals.openedition.org/narratologie/9264; DOI: https://doi.org/10.4000/narratologie.9264.
[8] Anne Fouqué-Legros, Tony Gheeraert, Miriam Speyer, Les Recettes du succès. Stéréotypes compositionnels et littérarité au XVIIe siècle, dans Colloques Fabula, URL : https://www.fabula.org/colloques/sommaire8913.php.
[9] Laurence Giavarini, « Les mazarinades, le nom de Scarron et le fait littéraire », dans Libelles en quête d’auteurs ? Numéro dirigé par Karine Abiven, Delphine Amstutz, Alexandre Goderniaux, Adrienne Petit, Pratiques et formes littéraires 16-18, en ligne, 2023.
[10] Jean Leclerc, « Scarron et la réécriture de Virgile, ou les relais d'une narration burlesque », Littératures classiques, vol. 74, 2011, p. 107-124.
[11] Hubert Carrier, Les Muses guerrières. Les Mazarinades et la vie littéraire au milieu du XVIIe siècle, Paris, Klincksieck, 1996.