L’oubli a dévoré l’amour. Effacement de l’être aimé : voilà ce qu’il reste ici d’Albertine pour le Narrateur. Ce roman entame le solde de la Recherche. Proust y analyse les phénomènes de la rupture amoureuse et de l’épuisement de la relation sous le poids du temps. « Mademoiselle Albertine est partie » : le départ ouvre le travail du deuil. Aux tentatives de faire revenir l’être aimé, aux soupçons intermittents sur ce départ (pourquoi, avec qui ?) répond la résignation face à la mort redoutée d’Albertine. Et si elle était vivante ? L’amour, lui, ne l’est plus. L’oubli a déjà fait son travail. Voilà Albertine remplacée par le souvenir et le divertissement du voyage. Elle laisse le Narrateur face à lui-même, face à sa solitude, face à la nécessité d’exister autrement. Albertine disparue finit par être captive de l’oubli. L’emprisonnement dans une relation malheureuse n’est-il pas déjà une mort ? L’amour serait-il une impasse ? Ne resterait alors que la vie sociale et le cabinet de travail, qui seront l’issue du Temps retrouvé.
À travers cette superbe étude clinique de la rupture amoureuse, menée au moment du développement de la psychanalyse et de la théorie freudienne, Proust nous montre la force de l’oubli. Comme son contemporain Apollinaire, il nous murmure : « Ni temps passé / Ni les amours reviennent ».