Nous avons osé être libres, osons l'être par nous-mêmes et pour nous-mêmes ; imitons l'enfant qui grandit : son propre poids brise la lisière qui lui devient inutile et l'entrave dans sa marche. Quel peuple a combattu pour nous ! quel peuple voudrait recueillir les fruits de nos travaux ? Et quelle déshonorante absurdité que de vaincre pour être esclaves. — Jean-Jacques Dessalines, Acte d'indépendance d'Haïti (1804)
Poèmes, pamphlets, lettres ouvertes, allocutions, récits de vie : dès la fin du xviiie siècle, aux États-Unis et en Haïti – les deux premières nations indépendantes de l'ère des révolutions – des auteurs et autrices afro-descendantes ont théorisé, pensé et dénoncé l'esclavage, le colonialisme, le racisme et d'autres formes de dominations dans des textes d'une grande variété.
Bien avant W. E. B. Du Bois, Sarah Parker Remond, Sojourner Truth, Toussaint Louverture, Anténor Firmin ou encore Frederick Douglass ont notamment revendiqué un universalisme qui tienne compte des discriminations raciales et ont fait circuler l'exigence d'une égalité et d'une indépendance réelles. Remettant à l'honneur leurs noms, leur vie et leurs écrits, injustement méconnus, cette anthologie rassemble des extraits de textes traduits ou en langue française accompagnés de courtes notices et un texte introductif,
« Des sources anciennes pour un débat actuel ».
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Beaucoup considèrent W. E. B. Du Bois (1868-1963) comme le premier intellectuel noir de la diaspora africaine, et datent le début de l’épanouissement des littératures et arts noirs au mouvement de la « négritude » dans l’entre-deux-guerres ; d’autres croient que les intellectuels noirs, avant cette date, non parlé que d’esclavage. Pourtant, déjà à la fin du XVIIIe siècle, des auteurs et autrices noirs se sont engagés dans une réflexion critique transnationale en matière de race, de couleur et de discrimination. Du Bois lui-même ne manquait pourtant pas de reconnaître sa dette envers celles et ceux qui l’ont précédé.
Cette anthologie rassemble ainsi des textes écrits par des penseuses et penseurs noirs issus des États-Unis et de Haïti, nations dont la construction est liée respectivement à la Révolution américaine (1770–1780) et à la Révolution haïtienne (années 1790), où les questions de la race et de la couleur ont joué dès le départ un rôle central. En France, leurs noms, leurs parcours et leurs écrits sont encore largement méconnus.
Les textes rassemblés dans cette anthologie, précédés d’introductions retraçant brièvement la vie de l’auteur ou de l’autrice et ses idées, sont classés en cinq grandes parties : Traite, esclavage et colonisation ; Race, genre et préjugé ; Vie des communautés noires ; Révoltes, révolutions et indépendances ; Post-esclavage, histoire et mémoire.
Issus pour la plupart de populations esclaves émancipées au moment des révolutions américaine et haïtienne, ces penseuses et penseurs noirs ont été parmi les premiers à réfléchir à la question raciale et aux mécanismes du préjugé, parfois en se réappropriant des principes émancipateurs et universalistes issus des Lumières, mais aussi en jouant un rôle fondamental dans la création de nations modernes à Haïti, ou comme acteurs et actrices de mouvements de réforme sociale aux États-Unis.
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Revue de presse
Aligre fm (podcast), 13/05/2023
La Cause Littéraire, 07/07/2023
La galaxie des Clionautes, 09/07/2023
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Les auteurs
Cécile Roudeau est professeure en littérature américaine (États-Unis) à l’université Paris Cité. Sa recherche articule pratique littéraire et enjeux politiques dans la littérature américaine du long XIXe siècle. Son premier livre est paru en 2012 : La Nouvelle-Angleterre : politique d’une écriture. Elle s’intéresse désormais aux liens entre littérature, État et pratiques démocratiques aux États-Unis au XIXe siècle, au-delà du paradigme longtemps dominant qui a enrôlé la littérature dans la lutte entre démocratie et État.
Marie-Jeanne Rossignol est professeure en études américaines (États-Unis) à l’université Paris Cité. Elle est spécialiste de l’histoire des États-Unis avant la guerre de Sécession et en particulier de l’antiesclavagisme. Son intérêt pour Haïti date de sa thèse, publiée sous le titre Le Ferment nationaliste. Aux origines de la politique extérieure des États-Unis (1789-1812) (1994). Avec Claire Parfait, elle a traduit et édité Le Récit de William Wells Brown, esclave fugitif, écrit par lui-même (2012). Son dernier ouvrage paru s’intitule Noirs et Blancs contre l’esclavage. Une alliance antiesclavagiste ambiguë aux États-Unis, 1754-1830 (2022).
Professeure en études diasporiques africaines à Yale University, Marlene L. Daut est l’autrice de Tropics of Haiti: Race and the Literary History of the Haitian Revolution in the Atlantic World, 1789-1865 (2015) et Baron de Vastey and the Origins of Black Atlantic Humanism (2017). Elle a également coridigé, avec Grégory Pierrot et Marion C. Rohrleitner, Haitian Revolutionary Fictions: An Anthology (2022). Son prochain livre, une histoire intellectuelle d’Haïti, est sous contrat avec les presses universitaires de Caroline du Nord.
Michaël Roy est maître de conférences en études américaines (États-Unis) à l’université Paris Nanterre et membre junior de l’Institut universitaire de France. Il est l’auteur de Textes fugitifs. Le récit d’esclave au prisme de l’histoire du livre (2017) et De l’antiesclavagisme à l’abolition de l’esclavage. États-Unis, 1776-1865 (2018). Il a codirigé, avec Marie-Jeanne Rossignol et Claire Parfait, Undoing Slavery: American Abolitionism in Transnational Perspective (1776-1865) (2018) et dirigé Frederick Douglass in Context (2021).Photo © Ariel Figueroa