Actualité
Appels à contributions
Le consentement au crible de la littérature de l’ère #MeToo : enjeux et perspectives

Le consentement au crible de la littérature de l’ère #MeToo : enjeux et perspectives

Publié le par Marc Escola (Source : Aude Laferrière)

Le consentement au crible de la littérature de l’ère #MeToo : enjeux et perspectives

Parmi les « crises » qui ont secoué la dernière décennie, figurent les nombreux scandales sexuels portés sur la place publique à l’échelle internationale et nationale, par les médias et les réseaux sociaux. Le plus marquant d’entre eux demeure, sur fond d’affaire Harvey Weinstein, le séisme #MeToo qui a permis de libérer la parole des femmes victimes d’agressions ou de violences sexuelles et de créer un climat d’écoute sans précédent.

L’impact de #MeToo, qui marque un changement d’époque, n’est ainsi pas seulement sociologique et politique, il est aussi éditorial. Certes, le monde du livre n’a pas attendu la popularisation de ce mouvement à partir d’octobre 2017 pour livrer des confessions intimes dénonçant ce type de violences – si l’exemple des textes sur l’inceste de Christine Angot vient immédiatement à l’esprit[1], mentionnons aussi la publication en 2016 de La Consolation de Flavie Flament. Mais depuis trois ans, dans le sillage du Consentement de Vanessa Springora publié en janvier 2020, dont on sait l’électrochoc qu’il a créé, se sont multipliés les témoignages de femmes, journalistes, sportives, mannequins, s’élevant contre des hommes qui ont abusé d’elles à un moment de leur vie, profitant de leur ascendant hiérarchique, de leur emprise morale ou économique, et auxquels elles n’ont pas pu, pas su ou pas osé dire non. Parmi ces témoignages, citons Zone grise de Loulou Robert (Flammarion, 2020), Un si long silence de Sara Abitbol (Plon, 2020), Impunité d’Hélène Devynck (Seuil, 2022). Autant de témoignages autobiographiques que la critique étiquette par défaut «témoignage » ou « récit littéraire », «essai », « document » ou, aidée par l’éditeur, « roman », par un abus générique commode voire réducteur assimilant travail d’écriture, littérarité et fictionnalisation.

La notion de « consentement » est désormais placée sur le devant de la scène médiatique et littéraire, ainsi que l’attestent la publication récente de l’essai de Jennifer Tamas, Au non des femmes. Libérer nos classiques du regard masculin[2], ou encore le séminaire « Le consentement. Histoire, représentations, conceptualisations », proposé à l’Université d’Orléans[3] par Laélia Véron et Gaël Rideau.

Passer le consentement au crible de la littérature de l’ère #MeToo appelle, pour mieux appréhender l’importance et la complexité du phénomène, une réflexion interdisciplinaire visant à en dégager les enjeux et les perspectives sur les plans esthétique, juridique, sociologique, et politique. Afin que cette réflexion puisse s’élaborer dans le cadre d'un ouvrage collectif, plusieurs axes de questionnement pourront être envisagés. En voici une liste, non exhaustive :

·       Quelle(s) représentation(s) du phénomène et de l’emprise, son corrélat étroit, la littérature donne-t-elle ? La littérature parvient-elle à éclairer « l’obscurité du consentement »[4] ? Pour ce faire, quels moyens formels, stylistiques la littérature mobilise-t-elle ? 
·       Pour les autrices (car il s’agit toujours d’autrices) de récits autobiographiques, on pourra, entre autres, se demander comment elles ont pu prendre la parole là où la parole (consentante) a précisément manqué[5]. Comment sont-elles parvenues, littéralement et littérairement, à retrouver voix au chapitre ? 
·       En outre, comment ont-elles fait face à la gageure de « faire résonner l’indicible du trauma »[6] ? Comment se manifeste ce « pouvoir insurrectionnel de la langue »[7] nécessaire à dire ce trauma ?
·       Si le consentement sexuel concerne presque toujours des récits de femmes, comment est représenté le point de vue masculin sur le consentement ? Qu’en est-il de la production littéraire masculine ? 
·       Quelles formes littéraires sont mobilisées pour représenter la complexité de la notion de consentement ? Comment cette représentation met-elle au défi le démon de la catégorie littéraire ou péri-littéraire ? 
·       Quel(s) impact(s) la littérature a-t-elle sur la société ? Et inversement, quel(s) impact(s) la société a-t-elle sur la littérature qui la réfléchit ? 
·       Quelles vertus possède l’écriture ? A-t-elle une vertu reconstitutive, déculpabilisante et partant, reconstructrice[8] ? Endosse-t-elle une visée herméneutique ou exploratoire en offrant un éclairage incarné, sensible du consentement qui, comme le rappelle Cl. Leguil est un cum-sentire ? En dénonçant « la banalisation des violences sexuelles qui ont fait du langage une arme contre les violences patriarcales »[9], comment acquiert-elle une force polémique ?
·       Comment l’écriture défend-elle une posture éthique, qu’il s’agisse de proposer la possibilité d’une scalarisation (« une échelle de gravité »[10]) du consentement, qui ne saurait se réduire à la « binarité sexe légitime/sexe non consenti »[11], ou, tout au contraire, de mettre sur la sellette la fameuse « zone grise », une étiquette qui ne serait que l’alibi des v(i)oleurs d’innocence jouissant en toute impunité d’une culture du viol socialement admise et non punie par un appareil législatif jugé inique et défaillant ? 
·       À ce titre, la littérature a-t-elle la capacité et le pouvoir de faire évoluer la législation[12] et la société ? Comment joue-t-elle un rôle éducatif, en prévenant et en sensibilisant ? 
·       Enfin, en quoi le consentement sexuel touchant la sphère de l’intime revêt-il une dimension éminemment politique que réverbère la littérature de l’ère #MeToo ? 
 
Modalités de participation :

·       Un résumé d’environ 300 mots assorti d’une bio-bibliographie est à soumettre avant le 2 novembre 2023. 
·       L’acceptation des propositions par notre comité scientifique sera communiquée le 15 décembre 2023. 
·       Après acceptation de la proposition, le texte définitif des articles (30 000 signes, espaces comprises) devra être remis le 15 avril 2024. 
·       Après avis des relecteurs puis retour aux auteurs en juin 2024, les articles définitifs seront envoyés le 1er septembre 2024. 

Le volume donnera lieu à une publication (maison d’édition en attente de confirmation). 

Correspondance à adresser simultanément aux directrices de l’ouvrage, Karine Germoni et Aude Laferrière.

karine.germoni@sorbonne.ae

aude.laferriere@univ-st-etienne.fr


 
Ouvrages et documents de référence (liste non exhaustive):

Ouvrages théoriques (essais, articles…)

Fraisse Geneviève, Du consentement, Paris, Seuil, 2017.

Garcia Manon, La Conversation des sexes. Philosophie du consentement, Paris, Flammarion, coll. « Climats », 2021. 

Garcia Manon, On ne naît pas soumise, on le devient, Paris, Flammarion, coll. « Climats », 2018. 

Jouët Josiane, Numérique, féminisme et société, Paris, Presses des Mines, coll. « Sciences sociales », 2022.

Kaufmann Jean-Claude, Pas envie ce soir : le consentement dans le couple, Paris, Éditions LLL, 2020.

Leguil Clotilde, Céder n’est pas consentir. Une approche clinique et politique du consentement, Paris, PUF, 2021.

Le Magueresse Catherine, Les Pièges du consentement. Pour une redéfinition pénale du consentement sexuel, Donnemarie-Dontilly, Éditions iXe, 2021.

Merlin-Kajman Hélène, La Littérature à l'heure de #metoo, Paris, Ithaque, coll. "Theoria incognita", 2020.

Tamas Jennifer, Au non des femmes. Libérer nos classiques du regard masculin, Paris, Seuil, 2023. 

Théry Irène, Moi aussi. La Nouvelle Civilité sexuelle, Paris, Seuil, 2022.

Wong David, « 7 raisons pour lesquelles les hommes ne comprennent pas le consentement sexuel », Cracked, 2016.

Zenetti Marie-Jeanne, « Que fait #MeToo à la littérature ? », Revue critique de fixxion française contemporaine [En ligne], 24 | 2022, mis en ligne le 15 juin 2022, consulté le 02 mai 2023. URL: http://journals.openedition.org/fixxion/2148 ; DOI: https://doi.org/10.4000/fixxion.2148 

Zenetti Marie-Jeanne, « Littérature contemporaine : un "tournant documentaire” ? », dans Alexandre Gefen (dir.), Territoires de la non-fiction. Cartographie d’un genre émergent, Leyde, Brill/Rodopi, 2020, p. 148-163.

Documentaires                                                                                               

Dhilly Delphine, « Le consentement », Les Pieds sur Terre, France Culture, août 2017.

Dhilly Delphine et Grosjean Blandine, « Sexe sans consentement », Éléphant et Compagnie, 2018. 

Van Reeth Adèle, « Le consentement » (4 épisodes), Les Chemins de la philosophie, France culture, 2017.

Œuvres littéraires

Abitbol Sarah, Un si long silence, Paris, Plon, 2020.

Devynck Hélène, Impunité, Paris, Seuil, 2022.

Gaillard Audrey, Justaucorps, Paris, Seuil, 2021.

Kouchner Camille, La Familia grande, Paris, Seuil, 2021.

Perruchas Christophe, Sept gingembres, Arles, Éditions du Rouergue, 2020.

Robert Loulou, Zone grise, Paris, Flammarion, 2020.

Springora Vanessa, Le Consentement, Paris, Grasset, 2020. 

Tuil Karine, Les Choses humaines, Gallimard, 2019. 

Viel Tanguy, La Fille qu’on appelle, Paris, Éditions de Minuit, 2021.

Wallace Naomie, La Brèche, Montreuil, Éditions théâtrales, 2017.


[1] Dès 1995, avec la publication chez Fayard du roman Interview
[2] Paru en mars 2023 aux éditions du Seuil. 
[3] Séminaire Actualités de la recherche POLEN. 
[4] Cl. Leguil, Céder n’est pas consentir. Une approche clinique et politique du consentement, Paris, PUF, 2021.
[5] Id.
[6] Id.
[7] Id.
[8] A. Garapon, à propos d’une « justice intime », dans « Enjeux d’une justice de l’intime », Revue Esprit, janvier-février 2021, en ligne :  https://esprit.presse.fr/article/antoine-garapon/enjeux-d-une-justice-de-l-intime-43163
[9] M. -J. Zenetti, « Que fait #MeToo à la littérature ? », Revue critique de fixxion française contemporaine [En ligne], 24 | 2022, mis en ligne le 15 juin 2022 : http://journals.openedition.org/fixxion/2148 ; DOI : https://doi.org/10.4000/fixxion.2148 
[10] M. Garcia, La Conversation des sexes. Philosophie du consentement, Paris, Flammarion, coll. « Climats », 2021. 
[11] Id.
[12] Que l’on songe à l’impact de La Familia grande de Kouchner Camille, paru en janvier 2021, sur l’évolution des lois concernant le viol et l’inceste.