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Le nuage en littérature et dans l’image fixe (fin XVIIIe-XXIe s.) : suspension, condensation

Le nuage en littérature et dans l’image fixe (fin XVIIIe-XXIe s.) : suspension, condensation

Ce projet d’ouvrage collectif fait suite à la journée d’étude qui s’est déroulée à l’Université de Poitiers (Laboratoire FoReLLIS) le 13 avril 2022, organisée par Margaux Coquelle-Roëhm – en présence d’Anouchka Vasak (réseau « Perception du climat »), Henri Scepi (Univ. Sorbonne Nouvelle), Luce Lebart, Dominique Moncond’huy (Univ. Poitiers), Sylvain Soussan (Musée des nuages). 
 
De Goethe à Bachelard en passant par Baudelaire, le nuage a constitué pour le poète, le philosophe et l’artiste un objet de rêverie autant qu’une métaphore poétique à partir de laquelle éprouver le mouvement des formes dans leur rapport au temps. Il est à la croisée des discours scientifiques, littéraires et des pratiques artistiques, mais trouve un intérêt nouveau dans un contexte marqué par le changement climatique et la prise en compte de nuages créés par l’homme (homogenitus) par l’Atlas international des nuages en 2017.

Sa représentation pose tout d’abord la question de la nomination, préoccupation qui fut celle du pharmacien (chemist) Luke Howard – premier scientifique sans doute après Lamarck à offrir une description et une classification des nuages. Il s’agit aussi d’un geste de poète qui arrache les formes à l’indistinction en leur donnant un nom. La méditation sur le nuage offre ainsi une interrogation sur le signe.

En littérature, on explorera la portée réflexive du nuage. Par son caractère évanescent, il constituerait une métaphore pour penser la forme en mouvement et la circulation d’un énoncé. Chez Roubaud, ce motif métapoétique s’avère opérant pour rendre compte de la « permanence dans le changement » qui caractérise pour lui l’objet-poème. Ce dernier, et tout particulièrement la forme du sonnet – s’accommoderait de fluctuations mémorielles à la manière d’un nuage aux contours mouvants.

Il s’agira par ailleurs d’explorer sa fonction esthétique : comment dire et représenter ce qui échappe à la perception immédiate ? Au-delà de la poésie, on sait que la modernité a fait du nuage un motif particulier de réflexion sur la représentation. Dans Modern Painters, Ruskin consacre un chapitre au « service des nuages » qui est selon lui la caractéristique principale de la modernité picturale (Turner) et propose la formule de cloudiness. Cette dernière sera reprise par Hubert Damisch, qui dans Théorie du nuage (Damisch 1972), fait du « nuagisme » une notion propre à éclairer toute l’histoire de la peinture et particulièrement le paysage moderne. Damisch souligne en outre une convergence objective au début du XIXe entre « les travaux des météorologues et certaines productions poétiques ou picturales » (Damisch, 1972, 268) – notamment les sky studies de Constable.

Simple composante d’un ciel pictorialiste, le nuage devient en photographie l’objet d’expérimentation d’Alfred Stieglitz. Il pose la question du temps de prise et du recours à une pratique sérielle pour rendre compte de la durée et du mouvement dans l’image fixe (Guilbard 2022). L’artiste et écrivaine Dorothy Norman a rapporté un échange entre Stieglitz et un regardeur, concernant l’une des photographies d’Equivalents :

L’homme : Est-ce de l’eau qui est photographiée ?

Stieglitz : Quelle différence cela fait ?

L’homme : Mais c’est de l’eau qui est photographiée ?

Stieglitz : Je vous dis que ce n’est pas important.

L’homme : D’accord, mais alors, c’est une image du ciel ?

Stieglitz : Il se trouve que c’est une image du ciel. Mais je ne comprends pas en quoi cela est important (Stieglitz 1984, 9). 

Il s’agit donc d’interroger son statut d’image. Comme l’écrit Anouchka Vasak, « penser météore » est un modèle épistémologique « à bords fluents » (Serres 1980). Ce serait reconnaître « ce presque rien, furtif et mobile » (Vasak 2017). La représentation du nuage rendrait ainsi compte d’un paradoxe puisque l’image fixe suspend un état et condense « différents moments temporels » (Vasak 2012, 51). L’épaisseur du temps serait perçue à travers le changement. C’est dire si le nuage est phénomène de condensation, autant physique que temporel.

Axes de réflexions :

-       Croisement arts / sciences : classifications des nuages, en particulier envisagées au prisme des rapports texte/image

-       Littérature : le nuage comme motif réflexif, tout particulièrement en poésie.

-       Peinture : rapport à l’œuvre (esquisse préférée à l’œuvre achevée) et aux techniques utilisées (aquarelle, dessin, peinture à l’huile)

-       Photographie : rôle de la photographie dans les classifications, prise en charge de la durée par l’image fixe ou la série, techniques photographiques (sensibilité des émulsions) permettant de reconstituer ou capter le nuage. 



Les propositions d’articles (une demi-page, 500 mots maximum), accompagnées d’une brève bio-bibliographie, sont attendues pour le 30 juin à l’adresse suivante : margaux.coquelle-roehm@hotmail.fr. Une réponse sera donnée dans un délai de deux semaines.

Après acceptation par le comité de lecture, les articles (35000 à 40000 signes, espaces et notes comprises) seront attendus pour le 21 octobre.



Comité scientifique
-       Anouchka Vasak

-       Margaux Coquelle-Roëhm

-       Dominique Moncond’huy

-       Henri Scepi

Bibliographie indicative
Audeguy, Stéphane, La Théorie des nuages, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2007.

Baudelaire, Charles, La Passion des images. Œuvres choisies, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 2021.

Damisch, Hubert, Théorie du nuage. Pour une histoire de la peinture, Paris, Seuil, 1972.

Goethe, « La forme des nuages selon Howard », dans L. Howard, Sur les modifications des nuages. (Suivi de) Goethe, « La forme des nuages selon Howard », traduit par Anouchka Vasak, Paris, Hermann, coll. « Météos-Documents », 2012, p. 215‑234.

Guilbard, Anne-Cécile, « Introduction », Cahiers FoReLLIS, 2022, « La vitesse dans l’image fixe », En ligne : https://cahiersforell.edel.univ-poitiers.fr:443/cahiersforell/index.php?id=1226.

 Hamblyn, Richard, L’Invention des nuages. Comment un météorologue amateur a découvert le langage du ciel, traduit par Gerald Messadié, Paris, JC Lattès, 2003.

Howard, Luke, Sur les modifications des nuages. (Suivi de) Goethe, « La forme des nuages selon Howard », traduit par Anouchka Vasak, Paris, Hermann, coll. « Météos-Documents », 2012.

Pinna, Giovanna, « Météorologie poétique : les nuages chez Goethe », J. Pigeaud (dir.), Nues, nuées, nuages. Entretiens de la Garenne Lemot, Rennes, PUR, coll. « Interférences », 2016, p. 39‑50.

Roubaud, Jacques, Ciel et terre et ciel et terre, et ciel. John Constable, Charenton-le-Pont, Flohic, coll. « Collection Musées Secrets », 1997.

Scepi, Henri, Baudelaire et le nuage, Genève, La Baconnière, coll. « Langages », 2022.

Serres, Michel, Hermès V. Le Passage du nord-ouest, Paris, Minuit, coll. « Critique », 1980.

Stieglitz, Alfred, Beyond a portrait, photographs, New York, Aperture, 1984.

Vasak, Anouchka, 1797, pour une histoire météore, Paris, Anamosa, 2022.

Vasak, Anouchka, « Essai sur Luke Howard », dans L. Howard, Sur les modifications des nuages. (Suivi de) Goethe, « La forme des nuages selon Howard », traduit par Anouchka Vasak, Paris, Hermann, coll. « Météos-Documents », 2012, p. 11‑84.

Vasak, Anouchka, « Cumulus, cirrus, stratus. Histoire et fortune de la classification de Howard », Géographie et cultures, no 85, 2013, p. 9‑34.

Vasak, Anouchka, « Penser météore », Communications, no 1, 2017, vol. 101, p. 7‑20.

Vasak, Anouchka, « Peindre les nuages, de l’aube des Lumières au crépuscule du Romantisme », Revue de l’art, no 210, 2020.

Wat, Pierre, Constable, entre ciel et terre, Paris, Herscher, coll. « Le musée miniature », 1995.

Wat, Pierre, Constable, Paris, Hazan, 2002.

Wat, Pierre, Turner menteur magnifique, Paris, Hazan, 2010.

Weber, Anne-Gaëlle, « La forme des nuages : science et poésie au tournant des XVIIIe et XIXe siècles », Revue de littérature comparée, no 3, 2016, vol. 359, p. 271‑290.

« Equivalent, 1926 | Musée de la Photographie », En ligne : https://www.museedelaphotographie.com/en/exhibitions/american-territories/sky-earth/article/equivalent-1926 consulté le 18 février 2023.