Histoire publique et bande dessinée : actualité et potentialités des écritures et des usages de l’histoire en bande dessinée (Perpignan - Blois - Bruxelles - Tours)
Cycle de journées d’études 2023-2025
Face à l’objet qu’est l’histoire, les auteurs de bande dessinée ont multiplié les approches. Pascal Ory en a défini deux, majeures et toujours d’actualité : la bande dessinée historique, où l’histoire est un décor exotique et un prétexte aux aventures des personnages, et la bande dessinée historienne, attentive à la véracité des faits et au sens de l’histoire - avec toutes les nuances et les circulations qui existent entre ces catégories poreuses.
Si un tournant du récit d’aventure historique est amorcé par les éditions Glénat dans les années 1970-1980, avec les magazines Circus (1975) puis Vécu (1985), la bande dessinée historique est désormais entrée dans une troisième phase : des auteurs et autrices explorent ainsi de nouvelles voies graphiques et narratives (recherches du côté de la non-fiction, dont le reportage documentaire, expérimentations de la bande dessinée pédagogique, etc.). Nombre d’entre eux contribuent à une écriture de l’histoire où la mise en fiction s’enrichit d’une attention à la véracité ou, à défaut, à la vraisemblance historique, s’inspirant des pratiques disciplinaires des historiens. Ils saisissent ainsi le matériau complexe qu’est le passé pour réfléchir à son sens et l’actualiser dans le présent, dans une perspective fréquemment politisée, voire militante. Dans un processus similaire à celui que connaît la bande dessinée documentaire, le choix par les auteurs de thèmes témoignant d’un intérêt pour les périodes de crises et de retournements (la guerre d’Algérie, la Révolution de 1789, Mai 68, etc.) et la politisation du discours attirent l’attention des médias, des universitaires et des lecteurs, et participent au débat public français. Cette dynamique fait fortement écho à celle, d’ampleur internationale, qui se développe dans le champ de la public history, l’histoire publique.
L’émergence de ce qui s’impose aujourd’hui comme une pratique culturelle autant que comme une discipline universitaire est encore timide en France, en dépit de la création de Masters universitaires comme celui de l’université Paris Est-Créteil, mais en développement exponentiel dans de nombreux autres pays. Elle interroge les usages publics et politiques de l’histoire et incite à une réflexion, d’une part, sur la communication de l’histoire au public par la médiation culturelle des savoirs historiens, d’autre part sur la production de la mémoire historique par le public lui-même, qui dans de nombreux endroits exprime la volonté de prendre part à la définition des mémoires collectives qui marquent les vies et les espaces qu’ils partagent. Elle questionne également le rôle des historien.nes dans les espaces, de plus en plus nombreux, où l’histoire est vécue, façonnée, renouvelée. Ils ont là, dans cette histoire publique, un rôle de passeurs : ils ne sont plus les seuls producteurs et garants de l’histoire mais peuvent accompagner des groupes de citoyens cherchant à saisir, produire et valoriser des pans de leur histoire, aux échelles de leur quartier, leur ville, leur pays.
Dans cette perspective, ces journées d’études proposent d’interroger les manières dont la bande dessinée participe au processus public et collectif d’appropriation des mémoires et des héritages. À titre d’exemple, on peut penser à des projets éditoriaux comme la série L’histoire dessinée de la France (La Découverte/La revue dessinée) qui apparie un auteur de bande dessinée souvent relativement néophyte en histoire et un historien souvent néophyte en écriture de bande dessinée, ou encore à la série Spirou reprise par Émile Bravo, L’Espoir malgré tout, qui campe Spirou et Fantasio en résistants durant la Seconde Guerre mondiale. Cette tétralogie donne actuellement lieu à une exposition au Mémorial de la Shoah à Paris, intitulée « Spirou dans la tourmente de la Shoah » (9 décembre 2022 au 30 août 2023). Elle retrace, par l’intermédiaire du jeune groom, ce que signifiait vivre en Belgique durant la guerre, et interroge incidemment la manière dont la bande dessinée peut dire l’histoire et contribuer à sa compréhension et à son appropriation. Elle permet également d’interroger les modalités de participation de la bande dessinée au processus public d’appropriation et de questionner les usages par les institutions culturelles (musées d’art, d’histoire, mémoriaux) de la bande dessinée. Plus largement, comment l’histoire est-elle considérée, construite et transmise lorsqu’elle n’implique pas directement le concours d’historien.ne, lorsque l’historien.ne y joue un rôle de consultant ? Serait-il possible d’aller plus loin, en s’inspirant de certains projets d’histoire publique ?
Ce sont toutes ces questions que nous souhaiterions poser, en déployant la réflexion selon quatre thématiques qui recoupent particulièrement les enjeux liés aux rapports entre la bande dessinée et l’histoire publique. Elles donneront lieu à quatre journées d’études, à raison d’une par semestre :
Journée d’étude 1. Bande dessinée, mémoires traumatiques et héritages clivants.
Mémorial du camp de Rivesaltes – 17 novembre 2023
Les trauma studies constituent aujourd’hui un champ particulièrement développé des études sur la bande dessinée, en permanence alimenté par le grand nombre de bandes dessinées explorant les thématiques du trauma, des héritages clivants et des conflictualités mémorielles. L’exemple fondateur en est Maus d’Art Spiegelman, publié en 1980. Pour autant, les trauma studies ont jusque-là privilégié le prisme autobiographique, laissant souvent de côté la question des traumas collectifs. Cette journée d’études aura donc pour but de considérer cette production (imprimée mais également numérique, qu’on pense par exemple à Anne Frank au pays du manga, BD documentaire interactive diffusée par Arte) et la bibliographie scientifique qui s’y rapporte sous l’angle de la relation à l’histoire publique. Quelles connaissances peuvent-elles apporter à la collectivité et aux individus ? Comment peuvent-elles participer à la construction du regard sur les mémoires traumatiques, aider les lecteurs à se les approprier, à les partager ? Enfin, comment peuvent-elles participer à leur enseignement ?
Que peuvent-elles apporter d’une connaissance et d’un regard sur les mémoires traumatiques, dans le but de leur donner une juste place, de se les approprier, de les partager, de les enseigner ?
Journée d’étude 2. Bandes dessinées biographiques, autobiographiques, mémoires
Maison de la BD de Blois - 3 mai 2024
Le genre de la bande dessinée biographique historique est en pleine expansion depuis quelques années, et prend des directions diverses dont il s’agira d’étudier les modalités et les tensions. D’une part, le biopic historique prend modèle sur la biographie historique classique, perpétuant le schéma de valorisation des « grands hommes » et de la « vie extraordinaire » (à travers une série comme Ils ont fait l’histoire, Fayard/Glénat) ou au contraire le contestant. D’autre part, après trois décennies de développement de l’autobiographie dessinée, la bande dessinée développe également une culture de l’ordinaire, du quotidien, du banal, qui tient aussi aux écritures de l’intime. Cette journée d’études aura donc pour but d’interroger cette production tenant à l’écriture d’une histoire collective s’incarnant dans des expériences individuelles. Il s’agira également d’observer comment la bande dessinée peut inquiéter certaines des constructions épistémologiques des sciences humaines (la sociologie, l’histoire de l’art…), en perpétuant ou en contredisant certaines constructions disciplinaires (le topos de l’artiste en génie incompris, par exemple).
Journée d’étude 3. Bande dessinée et utopies sociales, mouvements contestataires et contre-cultures.
Bruxelles – octobre 2024
Comment la bande dessinée peut-elle faire mémoire des utopies, des luttes et des expérimentations sociales, notamment collectives, qu’elles soient contemporaines ou tirées de l’histoire ? Du conte L’âge d’or de Cyril Pedrosa et Roxanne Moreil (Dupuis, 2018), qui s’inspire des Béguines du Moyen Âge, au récit sociologique La communauté [entretiens] d’Hervé Tanquerelle et Yann Benoît (Futuropolis, 2010), qui retrace l’histoire d’un groupe cherchant à fonder un modèle communautaire émancipé de la société de consommation après 1968, en passant par Les mauvaises gens d’Étienne Davodeau (Delcourt, 2005), les auteurs de bande dessinée se font les chroniqueurs des luttes et des tentatives d’émancipation de modèles sociaux dominants. À rebours du thème de la première journée d’étude sur les mémoires traumatiques, il s’agira d’interroger ces récits historiques qui cherchent à inventorier des luttes et des mouvements qui s’écrivent quasiment au présent, autant qu’à réactualiser le passé, voire à l’ériger en modèle et en projet pour un futur collectif attractif.
Journée d’études 4. L’histoire comme patrimoine partagé : la question des origines dans la bande dessinée.
Université de Tours - mars 2025
Cette dernière journée d’études aura pour but d’étudier la question des origines dans la bande dessinée historique. Que peut-elle dire des origines du monde et de l’humanité autant que de la pluralité d’origines des événements, qu’ils soient provoqués ou subis ? Comment montrer la Préhistoire ? Comment expliquer, par exemple, un événement aussi complexe et considérable que la Première Guerre mondiale ? Par ailleurs, qu’en est-il de la question des origines de l’être humain dans la bande dessinée ? Comment la préhistoire est-elle représentée ? De Rupestre ! (2011) travail collectif sur l’art pariétal paléolithique, à Penss et les plis du monde de Jérémie Moreau (2019), les auteurs produisent des récits divers et originaux sur nos origines communes, identifiant ou fantasmant des similitudes entre nous, lectrices et lecteurs contemporains, et nos lointains ancêtres. On pourra également interroger l’usage de la bande dessinée par les institutions culturelles, notamment les musées et sites archéologiques, la discipline archéologique ayant été pionnière dans la collaboration avec des auteurs de bande dessinée. La collection fondée en 2015 entre le musée du Louvre et les éditions Futuropolis s’avère également intéressante. La série, qui repose sur le principe de la carte blanche, a donné lieu à des albums explorant la quête des origines, les oublis de la mémoire et la sédimentation des couches temporelles à travers le prisme du musée comme lieu et comme concept. C’est le cas, par exemple, de Temps glaciaire de Nicolas de Crécy, album qui ouvre la collection, ou de Les sous-sols du révolu de Marc-Antoine Mathieu.
Avec la participation du C2DH, centre de recherche en histoire publique de l’université du Luxembourg.
Chaque proposition devra s’inscrire dans un des quatre axes exclusivement, pour des communications d’environ 45 minutes. Les propositions de 500 mots accompagnées d’une bio-bibliographie sont à adresser à Christophe Meunier (christophe.meunier@univ-orleans.fr) et à Margot Renard (margot.renard@ugent.be) avant le 5 juin 2023. Vous serez informé.e de la sélection le 3 juillet 2023.
Comité d’organisation :
Margot Renard (UGent)
Christophe Meunier (UOrléans)
Laurent Gerbier (UTours)
Eric Villagordo (UPaul-Valéry-Montpellier)
Virginie Martel (UQAR)
François Boutin (UQAR)
Céline Sala-Pons (Mémorial du camp de Rivesaltes)
Bruno Genini (Maison de la BD de Blois)
Comité scientifique :
Sylvain Lesage (ULille)
Maaheen Ahmed (UGent)
Thomas Cauvin (ULuxembourg)
Fabrice Preyat (FRS-FNRS-ULB)
Sylvain Venayre (UGrenoble-Alpes)
Julie Gallego (UPau-Pays de l'Adour)
Philippe Marion (ULouvain-la-Neuve)