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Pratiques et mises en question du réalisme magique : narration et émancipation (XXe-XXIe siècles)

Pratiques et mises en question du réalisme magique : narration et émancipation (XXe-XXIe siècles)

Publié le par Faculté des lettres - Université de Lausanne (Source : Élodie Coutier)

Journée d’étude
 
Pratiques et mises en question du réalisme magique : narration et émancipation (XXe-XXIe siècles)
 
Sorbonne Université (Maison de la Recherche) – vendredi 16 juin 2023
 
Organisée par Élodie Coutier (CRLC – Sorbonne Université /CÉRÉdI – Université de Rouen-Normandie)
 
 
Appel à communications
 
En 2020, l’ouvrage collectif Magical Realism and Literature, publié aux presses universitaires de Cambridge sous la direction de Christopher Warnes et de Kim Anderson Sasser, s’ouvre sur un constat en apparence paradoxal : le réalisme magique, objet de l’ouvrage, y est présenté comme un concept dont la définition et le nom même persistent à ne pas faire consensus dans le champ littéraire. Considéré tour à tour comme un genre, un style ou un mode narratif, perçu tantôt comme une pratique créatrice associée à un contexte postcolonial, principalement latino-américain, tantôt comme un élément-clé du postmodernisme à l’échelle mondiale, le réalisme magique, sous cette appellation, suscite de fait des réactions contrastées de la part des écrivains comme des chercheurs.
 
Le succès international de Cent ans de solitude (1967), renforcé à l’occasion de l’obtention du Prix Nobel de littérature par Gabriel García Márquez en 1982, est à l’origine d’un phénomène d’inspiration et de prise de conscience littéraire chez bon nombre d’écrivains, qui reconnaissent dans le réalisme magique de cet auteur une pratique narrative proche de la leur : c’est le cas, par exemple, du romancier chinois Mo Yan (Le Clan du sorgho rouge, 1986) ou de l’écrivain kurde Salim Barakat (Les Seigneurs de la nuit, 1985). D’autres, au contraire, rejettent l’étiquette magico-réaliste tout en pratiquant une écriture romanesque qui en est parfois très proche : c’est le cas de l’écrivaine polonaise Olga Tokarczuk (Dieu, le temps, les hommes et les anges, 1996) ou de l’auteur nigérian Ben Okri (La Route de la faim, 1991). Le terme « réalisme magique » ne fait pas davantage consensus dans le monde universitaire lorsqu’il s’agit d’évoquer des littératures qui ne soient pas directement associées aux marges postcoloniales de l’Europe et des États-Unis. Au cœur du débat se trouve l’adjectif « magique », qu’une tradition ancienne distingue des pratiques religieuses institutionnelles : son emploi tendrait ainsi à réactiver l’opposition entre un centre qui n’aurait pas recours à la magie et une périphérie qui y aurait recours, le réalisme magique s’apparentant dans cette perspective à une pratique littéraire spécifiquement postcoloniale de déstabilisation du modèle réaliste européen.
 
Dans la continuité du rapprochement opéré par Kim Anderson Sasser entre croyance religieuse et croyance magique, ainsi que de la proposition de décentrement heuristique portée par Philippe Postel dans un des axes de recherche du laboratoire LAMO (Nantes Université), cette journée d’étude souhaiterait s’interroger sur les formes et les enjeux de pratiques littéraires assimilables à celle du réalisme magique mais qui résistent à cette appellation, et tenter d’identifier les raisons (littéraires, mais aussi historiques et politiques) de cette résistance.
 
Pour les besoins de la réflexion collective, nous proposons d'adopter comme point de départ la définition du réalisme magique proposée par Wendy B. Faris dans Ordinary Enchantments : Magical Realism and the Remystification of Narrative (2004) : le réalisme magique, selon elle, est un mode de narration qui combine réalisme et éléments surnaturels de manière à donner l’impression que le merveilleux surgit organiquement de l’ordinaire, sans que personne ne s’en étonne. La dimension réaliste du récit distingue les œuvres magico-réalistes des œuvres de fantasy ; l’acceptation du surnaturel par les personnages évite la confusion avec le fantastique, sans que ce dernier soit totalement absent des récits magico-réalistes, dans lesquels le surnaturel vient déstabiliser le réel et sa construction dans le discours historiographique, politique et littéraire.
 
On pourra – la liste n’est pas exhaustive – s’interroger sur les points suivants :
 
-       Comment comprendre le rejet du terme « réalisme magique » dans le contexte de production ou de réception d’œuvres littéraires dont la narration correspond à la définition proposée par Wendy B. Faris, qui envisage elle-même le concept à une échelle globale, et non strictement postcoloniale ?
 
-       Comment penser le rapport entre l’histoire littéraire du Magischer Realismus, associée à l’Europe et aux années de l’entre-deux guerres (sans forcément s’y limiter : la question se pose, par exemple, pour un auteur comme Christoph Ransmayr), et celle du réalisme magique postcolonial ?
 
-       Quelle relation heuristique le mode magico-réaliste entretient-il avec des genres littéraires comme la science-fiction (c’est le cas de certaines nouvelles de Ken Liu dans The Paper Menagerie and Other Stories, 2016) ou l’uchronie, qui se confrontent à l’écriture du réel sans recourir au surnaturel ?
 
-       Quel rapport l’écriture magico-réaliste entretient-elle avec les traditions religieuses monothéistes, chez des autrices comme Sylvie Germain ou Olga Tokarczuk par exemple ? et avec les diverses traditions mythologiques ? On pense, par exemple, à l’analyse féministe que fait Theo D’haen du renversement du mythe de Léda dans Nights at the Circus d’Angela Carter (1984) au sein de l’ouvrage collectif Magical Realism : Theory, History, Community (1995) sous la direction de Wendy B. Faris et de Lois Parkinson Zamora.
 
-       En tant que mode narratif, le réalisme magique déborde-t-il les pratiques littéraires pour investir le domaine du cinéma (on en a un exemple avec The Shape of Water de Guillermo del Toro, 2017), des séries télévisées ou de la bande dessinée ? Est-il alors identifié comme tel ou désigné d’une autre façon ?
 
L’objectif de la journée d’étude est de réfléchir à ces questions dans une perspective comparatiste qui ne soit pas limitée aux espaces postcoloniaux, mais qui envisage une confrontation multipolaire entre des pratiques et des contextes d’écriture divers. L’exploration des cas-limites du réalisme magique se veut réflexion sur le concept même et sur son histoire : on accueillera donc avec plaisir des communications s’intéressant au xxe siècle comme à la période contemporaine, et à des aires culturelles variées.
 
Les propositions de communication (environ 500 mots), accompagnées d’une rapide bio-bibliographie, sont à envoyer avant le 10 avril 2023 à l’adresse suivante : elodie.coutier.92@gmail.com.