La littérature fantastique et son terroir : relations et évolutions en France et en francophonie, XIXe-XXIe siècle (14-16 mars 2024, Sorbonne université)
La littérature fantastique et son terroir : relations et évolutions en francophonie (XIXe-XXIe siècle)
Sorbonne Université, 14 au 16 mars 2024
Ce colloque s'intéressera à la littérature fantastique francophone et son rapport au terroir entre le XIXe et le XXIe siècle. Défini comme « terres considérées du point de vue de la nature du sol qui communique un caractère particulier aux productions, notamment au vin » ou encore comme « [r]égion, province, pays considéré(ée) dans ses particularités rurales, ses traditions, sa culture, ses productions et du point de vue du caractère des personnes qui y vivent ou en sont originaires », le terroir est à envisager dans une dimension émotionnelle et sentimentale. Il implique un rapport privilégié, intime, entre les écrivains et leur terre d’attachement. Imprégnés par leur terre natale, une région ou encore un lieu singulier, ils chargent ceux-ci d’une part de leur personnalité, ce qui relève de fantasmes ou de nostalgie : « Plus que le mot ''territoire'', qui implique des usages et des manières d'habiter, le terroir présuppose en effet, d'emblée, une charge d'imaginaire, un tissu de représentations, un faisceau de projections identitaires, un fantôme d'authenticité » (Cabot, Jérôme, « Pays perdu : Pierre Jourde face aux écueils d'une écriture du terroir », in Kane, Coudi et al. (dir.), Littératures africaines et écritures du terroir, Paris, L'Harmattan, coll. « Études africaines », 2021, p. 155). Le terroir s’affranchit dès lors de la cartographie, des frontières politiques et géographiques.
La notion de terroir se distingue ainsi de celles de « territoire » et de « colonie » pour suggérer une appartenance géographique choisie. Le terroir comprend un retour sur soi, une appropriation de la terre et de ses particularités contre l’assimilation à une nation, à un centre comme héritage colonial. Enfin, le terroir suppose une langue propre : il relève d’un espace francophone et instaure une situation de coprésence de plusieurs langues, la langue française et la langue, voire les langues, du terroir. De cette rencontre linguistique émane également une rencontre des imaginaires, occidentaux, importés et déjà existants localement. Cela implique un double attachement pour l’écrivain dont on retrouve les traces à travers un traitement particulier du fantastique. Que l’on songe aux êtres surnaturels invisibles aux pouvoirs mystiques de l’écrivain Mutt-Lon, appelés ewusu, dans Ceux qui sortent la nuit (Paris, Grasset, 2013).
Ainsi le terroir, plutôt que d'être pris dans un sens d'exploitation commerciale, sera entendu comme une donnée matérielle et psychique et comme un concept permettant de penser le lien entre la production fantastique, l’esthétique et les particularités corrélées à un terroir réinventé dans les fictions. Comment l’ancrage dans un terroir influence-t-il l’écriture du fantastique, et quels sont les enjeux littéraires, identitaires, culturels et sociaux qui en découlent ?
Ce colloque encouragera les approches comparatistes capables de tenir compte de la situation en francophonie, particulière à plusieurs égards : l’héritage des situations coloniales, les langues en concurrence sur les territoires francophones pourront solliciter des outils linguistiques prenant en considération la diglossie ainsi que les particularités locales et leurs impacts possibles sur l’effet de fantastique. Le recours à d’autres disciplines, telles l’anthropologie, l’histoire, l’histoire culturelle ou l’ethnographie, permettra de soulever les spécificités de ces textes et des espaces qu’ils peignent. Par ailleurs, les travaux réalisés dans le domaine de la géopoétique, de la géocritique westphalienne ayant favorisé l’intérêt pour la spatialité en littérature (spatial turn), ainsi que les réflexions déjà menées sur la littérature et ses espaces, se révéleront pertinents pour la compréhension de l’ancrage des fictions fantastiques dans leur terroir.
Certains lieux liés au fantastique ont déjà été abordés : d’une part, à l’échelle intime, on a souligné le rôle de la chambre ou du huis clos dans la création d’un effet de fantastique (voir par exemple l’article de Giovanna Bellati, « La chambre fantastique. Théophile Gautier et l’espace (u)topique d’une expérience extrême », Griselda, n° 12, 2012, ou encore celui de Nathalie Prince, « Espace domestique, espace fantastique. Pour une ''hétérotopologie'' du fantastique fin-de-siècle », in Vion-Dury, Juliette, et al. (dir.), Littérature et espaces, Limoges, PULIM, coll. « Espaces Humains », 2003). D’autre part, à plus grande échelle, certains travaux et anthologies ont exploré le rapport du fantastique ou du réalisme magique à des ensembles géographiques : l’Orient, l’Egypte, l’Allemagne, l’Italie, le Maghreb, Haïti, l’Amérique latine... Par exemple, l’étude de Pierre Martial Abossolo consacrée au fantastique africain (Fantastique et littérature africaine contemporaine. Entre rupture et soumission aux schémas occidentaux, Paris, Honoré Champion, coll. « Littérature générale et comparée », 2015) prend en compte plusieurs pays du continent dont il compare la production fantastique aux textes français ; il prend le parti d’appliquer l’hésitation todorovienne à sa démarche comparatiste. L’espace littéraire québécois, quant à lui, a inspiré de nombreux travaux : sa spécificité a été mise en corrélation avec la singularité de ses littératures de l’imaginaire (SFFQ). Ainsi, Arnaud Huftier analyse dans quelle mesure Michel Tremblay propose, dans son roman fantastique La Cité dans l'œuf, une réécriture de H. P. Lovecraft dans une perspective québécoise (« L’effet Tremblay sur son berceau. La Cité dans l'œuf, un espace à occuper », in Dupeyron-Lafay, Françoise, et Huftier, Arnaud (dir.), Poétique(s) de l’espace dans les œuvres fantastiques et de science-fiction, Paris, Michel Houdiard, 2007).
Les lieux imaginaires, inspirés de légendes, ou les lieux réels prenant une forte charge fantasmatique ou mythique (Brocéliande, la Bretagne, l’Atlantide, la forêt, la montagne, les lieux brumeux et sombres, les mangroves, les îles, les lieux urbains) ont également fait l’objet de recherches : on notera par exemple la thèse de Carmen Raluca Rizea Barbos, Espaces du fantastique urbain et aspects du sacré. Le cas de Mircea Eliade, Jean Ray et Howard Phillips Lovecraft, soutenue en 2009, ou encore l’étude de Gloria Nne Onyeoziri, « L’ironie et le fantastique dans Traversée de la mangrove de Maryse Condé », in Godin, Jean Cléo, Nouvelles écritures francophones. Vers un nouveau baroque ?, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. « Espace littéraire », 2001. Enfin, des travaux tissant des liens entre le terroir et son auteur fantastique (Maupassant et sa Normandie, Erckmann-Chatrian et leur Lorraine, Nerval et son Valois…) ont mis en avant leur relation étroite. Cette dernière contribue à la création d’une esthétique du fantastique personnelle ; le terroir devient alors un élément récurrent qui participe à l’écriture du fantastique mais aussi à la création d’une identité d’écrivain.
Comme l’a montré, entre autres, Sébastien Roldan, les terroirs viticole et littéraire s’enchevêtrent étroitement et évoluent au même rythme au XIXe siècle (« Terroir viticole et terroir littéraire », Nouvelles études francophones, vol. 33, n° 2, 2018). Thomas Parker, quant à lui, dans Le goût du terroir. Histoire d'une idée française [2015] (Rennes et Tours, Presses universitaires de Rennes et Presses universitaires François-Rabelais, coll. « Tables des hommes », 2017), soutient qu’un produit du terroir ne peut naître tel quel que dans son espace propre. L’appartenance au terroir est alors instituante ; il est d’ailleurs intéressant de noter que cette posture a aussi été observée en littérature et, qui plus est, dans le cas d’un genre proche du fantastique. En effet, le roman policier du terroir confère à la région le rôle de protagoniste : l’intrigue ne peut alors avoir lieu qu’à cet endroit précis, les événements ne peuvent se produire de telle façon nulle part ailleurs et le récit ne fonctionnerait pas de la même manière dans un autre cadre spatial (voir par exemple Seibert, Kristina, Schöner Ort – schöner Mord ? Die Region als konstitutives Element im aktuellen deutschsprachigen Regionalkrimi, Hambourg, Verlag Dr. Kovac, 2018, ou Jacquelin, Alice, « Territorialisation du polar européen, entre représentation pittoresque et écriture des marges », Belphégor, vol. 20, n° 1, 2022). La couleur locale permet de situer l'action et d'inscrire le fantastique dans un lieu.
Anne-Marie Thiesse a consacré des travaux au cadre historico-politique de la région et de la province tout en montrant l’évolution de l’attachement des Français à leur « petite patrie ». Ses réflexions, ainsi que celles d’autres chercheurs, portant sur le roman régionaliste peuvent se révéler enrichissantes car elles ouvrent la voie à un décloisonnement du champ. Le fantastique du terroir est susceptible de bénéficier de cette ouverture.
L’utilisation du terme de « terroir » ne va pas de soi pour des aires géographiques autres que la France et le Québec (c’est par exemple l’avis de Marina Marengo dans « From the rural “terroir’’ to to the “neorural’’ novel : the contradictions and complementarities between popular and high literature in contemporary France », in Fournier, Mauricette (dir.), Rural Writing. Geographical Imaginary and Expression of a New Regionality, Cambridge, Cambridge Scholars Publishing, 2018, p. 14). De même, la sollicitation de concepts formulés pour la littérature occidentale et de travaux portant sur la production en France métropolitaine pourra amener les intervenants et intervenantes à réinterroger certains concepts, à adapter les méthodes déjà existantes et à forger des outils nouveaux.
Le colloque a pour ambition de réunir un corpus d'auteurs consacrés et de minores. Les contributeurs et contributrices seront invité(e)s à adopter une acception large du fantastique : l’affranchissement d’une vision purement structuraliste est encouragé. Le fantastique ne sera pas saisi par ses thèmes, mais plutôt par ses fonctionnements dans les différentes expressions littéraires du terroir dans les œuvres. On valorisera les propositions qui souligneront les spécificités locales (figures peu connues, imaginaires locaux, croyances locales) et prendront acte des nuances se dégageant dans les textes. La littérature fantastique, phénomène littéraire de grande ampleur, est très vivante sur l'ensemble du territoire francophone : on sera donc sensible aux contributions mettant au jour les réponses, les potentialités, les fonctions et les objectifs à l'œuvre dans l’écriture et la réception du fantastique du terroir.
Les axes suivants pourront être abordés (liste non exhaustive) :
les poétiques du terroir dans le fantastique
le rôle du terroir dans le surgissement du fantastique
les réceptions des fantastiques d’un terroir à l’autre
l’identification de figures folkloriques communes et les processus ainsi que les conséquences de leur transmission, leur intégration et leurs adaptations dans différents terroirs
l’influence du support de publication et de diffusion (presse, BD, roman graphique)
Les propositions d’articles (avec un titre provisoire) de 400 mots environ, accompagnées d’une bio-bibliographie, sont à envoyer avant le 1er septembre 2023 (délai prolongé !) à l’adresse suivante : fantastique.terroir@gmail.com
Informations utiles
Le colloque se tiendra à Paris (Sorbonne Université) du 14 au 16 mars 2024.
Durée des interventions : 20 min
Une publication des actes du colloque est prévue.
Comité scientifique
Florian Alix, CNRS/Sorbonne université
Noëlle Benhamou, INSPE/UPJV
Andrea Del Lungo, CNRS/Sorbonne université
Antonia Fonyi, CNRS, Paris 3/7
Comité organisateur
Manuela Mohr, Université de Strasbourg
Typhaine Sacchi, Sorbonne université
Bibliographie
Abossolo, Pierre Martial, Fantastique et littérature africaine contemporaine. Entre rupture et soumission aux schémas occidentaux, Paris, Honoré Champion, coll. « Littérature générale et comparée », 2015.
Bellati, Giovanna, « La chambre fantastique. Théophile Gautier et l’espace (u)topique d’une expérience extrême », Griselda, n° 12, 2012.
Benhamou, Noëlle, Erckmann-Chatrian, conteurs et moralistes, Paris, Les Belles lettres, coll. « Essais », 2020.
Boivin, Aurélien et al. (dir.), Régionalismes littéraires et artistiques comparés. Québec/Canada-Europe, Nancy, Éditions universitaires de Lorraine, 2014. je voudrais l’inviter, on en rediscutera
Bouvet, Rachel, et Camus, Audrey (dir.), Topographies romanesques, Rennes, PUR, coll. « Interférences », 2011. idem
Cabot, Jérôme, « Pays perdu : Pierre Jourde face aux écueils d'une écriture du terroir », in Kane, Coudi et al. (dir.), Littératures africaines et écritures du terroir, Paris, L'Harmattan, coll. « Études africaines », 2021.
Caillois, Roger, Anthologie du fantastique [1966], tomes 1 et 2, Paris, Gallimard, 1977.
Clerc, Pascal (dir.), Géographies. Épistémologie et histoire des savoirs sur l’espace [2013], Paris, Armand Colin, coll. « U », 2019.
Garnier, Xavier, La Magie dans le roman africain, Paris, PUF, coll. « Écritures francophones », 1999.
Huftier, Arnaud, « L’effet Tremblay sur son berceau. La Cité dans l'œuf, un espace à occuper », in Dupeyron-Lafay, Françoise, et Huftier, Arnaud (dir.), Poétique(s) de l’espace dans les œuvres fantastiques et de science-fiction, Paris, Michel Houdiard, 2007.
Interfrancophonies, « Le fantastique dans les littératures francophones du Maghreb et subsahariennes », n° 5, 2012.
Jacquelin, Alice, « Territorialisation du polar européen, entre représentation pittoresque et écriture des marges », Belphégor, vol. 20, n° 1, 2022.
Marengo, Marina, « From the rural “terroir’’ to to the “neorural’’ novel : the contradictions and complementarities between popular and high literature in contemporary France », in Fournier, Mauricette (dir.), Rural Writing. Geographical Imaginary and Expression of a New Regionality, Cambridge, Cambridge Scholars Publishing, 2018.
Maximin, Colette, Littératures caribéennes comparées. Karthala, coll. « Lettres du sud », 1996.
Nne Onyeoziri, Gloria, « L’ironie et le fantastique dans Traversée de la mangrove de Maryse Condé », in Godin, Jean Cléo, Nouvelles écritures francophones. Vers un nouveau baroque ?, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. « Espace littéraire », 2001.
Otrante, n° 49, Femmes et fantastique au Canada, 2021.
Parker, Thomas, Le goût du terroir. Histoire d'une idée française [2015], Rennes et Tours, Presses universitaires de Rennes et Presses universitaires François-Rabelais, coll. « Tables des hommes », 2017.
Peylet, Gérard, et Prat, Michel (dir.), L’esprit des lieux, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, coll. « Eidôlon », 2012.
Pomonti, Ange, La littérature d’expression corse. Entre tradition, politique et modernité, Corse, Albiana, 2021.
Prince, Nathalie, « Espace domestique, espace fantastique. Pour une ''hétérotopologie'' du fantastique fin-de-siècle », in Vion-Dury, Juliette, et al. (dir.), Littérature et espaces, Limoges, PULIM, coll. « Espaces Humains », 2003.
Prince, Nathalie, La littérature fantastique, Paris, Armand Colin, coll. « 128 », 2015.
Raluca Rizea Barbos, Carmen, Espaces du fantastique urbain et aspects du sacré. Le cas de Mircea Eliade, Jean Ray et Howard Phillips Lovecraft, thèse soutenue sous la direction de Jean Bessière à l’université Sorbonne nouvelle en 2009.
Roldan, Sébastien, « Terroir viticole et terroir littéraire », Nouvelles études francophones, vol. 33, n° 2, 2018.
Sagnes, Sylvie (dir.), Littérature régionaliste et ethnologie, Ethnopole-Garae, Actes Sud, 2015.
Seibert, Kristina, Schöner Ort – schöner Mord ? Die Region als konstitutives Element im aktuellen deutschsprachigen Regionalkrimi, Hambourg, Verlag Dr. Kovac, 2018.
Sorrentino, Flavio (dir.), Il senso dello spazio. Lo spatial turn nei metodi e nelle teorie letterarie, Rome, Armando Editore, coll. « Trame », 2010.
Thiesse, Anne-Marie, Écrire la France. Le mouvement littéraire régionaliste de langue française entre la Belle Époque et la Libération, Paris, PUF, coll. « Ethnologies », 1991.
Todorov, Tzvetan, Introduction à la littérature fantastique, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 1970.
Weber, Eugen, La fin des terroirs. La modernisation de la France rurale, 1870-1914 [1976], Paris, Fayard, coll. « Pluriel », 2011.
Westphal, Bertrand, La Géocritique. Réel, fiction, espace, Paris, Minuit, coll. « Paradoxe », 2007.