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Le scandale dans l’art et la littérature (Rabat)

Le scandale dans l’art et la littérature (Rabat)

Publié le par Marc Escola (Source : Abdelmajid Azouine)


                                                                      Le scandale dans l’art et la littérature 

     Le scandale dans l’art ! Cette phrase nominale qui ne peut être qu’exclamative, semble trainer comme charge sémantique quelques gènes historiques, quelques contradictions dans les termes, quelques querelles séculaires…en somme, un sujet riche en débats. 

     En effet, la jonction d’art et de scandale dans une même structure phrastique, pour ne pas aller jusqu’à dire à la suite de Lautréamont qu’elle relève de « la rencontre fortuite dans une table de dissection d’un parapluie et d’une machine à coudre », suscite au moins quelques réserves : cela sonne comme une fausse note, une couleur discordante, une figure dissymétrique, une phrase creuse, une réplique incongrue…Mais tout cela c’est de l’art aussi et l’art s’est aussi donné pour vocation de happer l’attention par quelques discordances, différences ou nuances ; sa seule façon d’exister. Le fait est que l’art n’est possible que dans la différence, dira-t-on même dans la marge ou encore dans la violence qu’il exerce sur le récepteur ; pour Victor Hugo : « La littérature sera convulsive ou ne sera pas ». Ainsi, le scandale pourrait faire partie du mécanisme de création et d’existence de l’art et peut prendre le sens de l’originalité d’une œuvre d’art par rapport à ce qui la précède et ce qui lui est contemporain. Nathalie Heinich postule même qu’« il n’existe pas de scandale « en art » en général » (Nathalie Heinich, 2005) et elle remarque que si on jette un regard global sur l’histoire de l’art, il est, en fin de compte, peu de scandales dans cette histoire. Toutefois, nous pouvons faire deux constats qui donnent son élan premier à ce colloque et inspirent son interrogation originelle. D’abord, si nous admettons à la suite de Heinich que les scandales dans l’histoire de l’art se comptent sur les doigts de la main, force est de constater qu’ils requièrent une importance lourde de conséquences et qu’ils pèsent sur cette même histoire de l’art. Le scandale est un moment de crise qui suscite interrogations et réflexions, s’accompagne souvent de ruptures épistémologiques et de renouveau. A telle enseigne que l’histoire de l’art c’est aussi l’histoire de ses scandales et il n’est pratiquement pas possible d’en faire fi si l’on veut réfléchir non-seulement sur l’histoire, mais aussi sur le présent et le devenir de l’art. Et c’est, d’autre part, ce regard sur le présent et le contemporain qui constitue le deuxième regain d’intérêt de cette réflexion. Le fait est que nous vivons dans une époque de prolifération de scandales, disant même de recherche systématique de scandale, donc de sa banalisation. Ainsi, si durant cette histoire et si on admet l’hypothèse que le scandale dans l’art est une réalité effective (ce qui reste à confirmer ou à infirmer par les travaux du colloque), il reste l’apanage de quelques grands moments, de quelques grands artistes. Force est de constater qu’il est aujourd’hui affaire courante dans la course effrénée vers la gloire rapide et facile. Ceci interroge avec encore plus d’acuité à la fois la légitimité de parler de scandale dans le domaine de l’art et sa capacité à être pensé de point de vue épistémologique. 

A ce stade de réflexion, il serait à propos de préciser que le colloque a pour ambition d’interroger la notion de scandale dans le large domaine des arts, dans toute son étendue. L’objectif c’est d’amorcer une réflexion générale sur l’acte de création en lui-même et de penser l’art en tant activité humaine. Ceci étant, cette réflexion globale est toujours possible à travers des études ciblées, portées sur un art déterminé. Il existe sûrement des dimensions spécifiques au scandale suivant les arts qui le suscitent ; nous croyons que ces différences sont tout autant riches en renseignements que le fait de penser l’art dans son intégralité. 

     Etymologiquement le mot scandale est d’origine grecque (skandalon) et il est passé aux langues modernes via le latin. Il est fortement intéressant de savoir que ce passage s’est fait à travers le texte biblique et que par ailleurs, le grec classique ne connait pas le mot. Qu’il soit au sens propre de pierre qui fait tomber, trébucher ou plus fréquemment dans la bible au sens figuré de ce qui menace la foi du croyant et risque de le faire tomber dans le péché, nous retenons la motivation morale originelle du mot.  De par ses origines, ce mot ne place-t-il pas déjà toute réflexion sur « le scandale dans l’art » dans une sorte de hors propos artistique ? Ceci n’est-il pas la preuve que parler de « scandale dans l’art » ce n’est pas vraiment parler d’art ? En tout cas, ce qui est posé, par l’étymologie du mot même, comme voie incontournable de réflexion, c’est la relation problématique, contestable, entre art et morale. 

    Dans ce même sens, il nous semble possible de distinguer deux façons de saisir le scandale dans l’art. D’abord, si nous retenons la forte origine morale du mot scandale et nous considérons cette motivation sémantique incontournable, il serait possible de concevoir dans un premier temps  le scandale dans l’art comme un jugement externe, moral et moralisateur, portant sur l’activité artistique, sur l’œuvre d’art. Mais en poussant cette logique jusqu’au bout, nous pouvons retrouver toute une théorie artistique mettant l’acte de création sous la tutelle de jugements moraux. Dans La République, Platon juge que : « Le poète ne devra rien composer qui s'écarte des règles de conduite en honneur dans la Cité, qui s'écarte de ce qui, selon ces règles, est juste, ou beau, ou bon ; et, d'autre part, il ne sera permis à aucun particulier de faire connaître au public les compositions déjà faites, avant qu'elles aient été montées à ceux-là mêmes qui ont été désignés comme juges en ces matières, ainsi qu'aux Gardiens-des-Lois, et qu'elles leur aient donné satisfaction ». Il s’agit donc d’un régime d’hétéronomie qui encadre rigoureusement le champ artistique, place des garde-fous pour mieux le contrôler et qui, par conséquent, le limite et diminue, voire lui enlève tout élan libertaire. Certes, mais c’est aussi assigner à l’art une fonction vitale, un rôle incontournable dans la Cité. Antoine compagnon parlera à propos de la littérature, de « fonction classique » (Antoine Compagnon, 2007), celle d’éduquer, d’enseigner. Au XIXème siècle, Diderot ne dérogera pas à ces préceptes en considérant que les drames devraient « inspirer aux hommes l'amour de la vertu, l'horreur du vice », que le roman « élèvent l'esprit, [qui] respirent partout l'amour du bien », tandis que la peinture pourrait « rendre la vertu aimable, le vice odieux, le ridicule saillant, voilà le projet de tout honnête homme qui prend la plume, le pinceau ou le ciseau ». D’un autre côté, c’est au nom de la morale que peut proliférer la censure qui a pour vocation non seulement de contrôler la création artistique, mais de l’anéantir. Le fait est que, comme l’affirme William Marx, c’est aussi au nom de la morale qu’une anti-littérature s’exprime et se légitime, comme un anti-art peut le faire. In fine, les noces peu naturelles entre art et morale, bien que bénies des dieux et de la doxa, n’ont jamais cessé d’être batailleuses, problématiques ; cela mérite qu’on les réévalue à l’aune de notre modernité. 

    En revanche, un régime d’autonomie de l’art, comme l’appellera Bourdieu, militera pour rendre l’art à lui-même, afin de le libérer de toute tentative de contrôle, de toute censure. Emergera alors un art qui se veut exclusivement tourné vers l’art, n’ayant de compte à rendre ni à une morale ni à une quelconque considération politique ni même à une éthique autre que celle de la création ; lorsqu’on admet qu’il puisse y avoir une éthique à l’acte créatif. Nietzsche décrète que : « La lutte contre la fin de l'art est toujours une lutte contre les tendances moralisatrices dans l'art, contre la subordination de l'art sous la morale. L'art pour l'art [1] veut dire : "Que le diable emporte la morale !» » (Friedrich Nietzsche, 1889). De ce point de vue le scandale dans l’art doit être de nature purement artistique ou il n’est pas. Tout jugement moral ne peut donc prétendre être scandale artistique car il est jugé non compétent en la matière. Nous parlerons donc d’un scandale purement artistique, pour ainsi dire, le scandale est mesuré selon les normes et les critères en vigueur servant à évaluer l’art en question. Au XIXe siècle « Le salon des refusés » constitue un scandale qu’on peut qualifier de purement artistique du moment que ce sont des artistes qui se rebellent contre une doxa, une autorité et des institutions artistiques. Ceci étant, la limite entre le purement artistique et le jugement moral demeure étanche et poreuse. En marge de ce grand remous pictural de la fin du XIXe siècle, Delacroix regrette à propos de Courbet qu’« il mît la puissance de son art au service de la vulgarité ». Or, la notion même de vulgarité est à cheval entre jugement artistique et jugement moral. Puis, dans le sillage d’une autonomie supposée acquise, tapit la question de l’inanition d’un art qui se veut autonome, pour ainsi dire, qui se déleste lui-même de toute fonction, de toute mission, de toute responsabilité. Nietzsche se demande : « L'instinct le plus profond de l'artiste va-t-il à l'art, ou bien n'est-ce pas plutôt au sens de l'art, à la vie, à un désir de vie ? - L'art est le grand stimulant de la vie : comment pourrait-on l'appeler sans fin, sans but, comment pourrait-on l'appeler l'art pour l'art ? » (Ibid.) 

    En effet, au détour d’une liberté proclamée à coup de scandales et de provocations artistiques se posent la question de la responsabilité de l’artiste et à sa suite celle de sa fonction, puis par ricochet, celle de son utilité ; l’utilité de l’art. Sartre dénonce le type d’écrivain qui considère avoir « […] pour premier devoir de provoquer le scandale et pour droit imperceptible d’échapper à ses conséquences » (Jean-Paul Sartre, 1948). L’intellectuel le plus en vue de son temps croit que l’écrivain, ce qu’on peut facilement dire pour l’artiste, est engagé qu’il le veuille ou pas ; et toute la question est de savoir s’il s’engage pour la bonne ou la mauvaise cause. L’acte de création devient alors un acte hautement responsable, vital, essentiel non seulement pour l’art, mais pour la société, voire pour l’humanité. Le scandale devient lourd en conséquences dont l’artiste doit mesurer l’étendue et en accepter l’entière responsabilité. Ce qui, d’une part, revient à remettre au centre de la Cité l’artiste et son œuvre dans une forme recherche nostalgique de la part de Sartre d’un idéal qui n’est autre que le philosophe des Lumières. Toutefois, autant de responsabilités risque de mettre du plomb aux ailes des artistes, ces êtres insaisissables par nature, éthérés par essence et sensés demeurés libres comme l’air. En définitive ce qui interroge ici c’est le scandale mis en face de la responsabilité de l’artiste, confronté à son engagement conscient ou inconscient.   

    Par ailleurs, le scandale n’est-il en fin de compte qu’affaire de réception ? Une œuvre d’art n’est scandaleuse que si le public, une autorité artistique ou des organismes de médiation en font un scandale.  Un artiste peut préméditer le scandale autant qu’il souhaite, mais c’est au public que revient le dernier mot. Cet même artiste peut tout autant avoir l’impression de pratiquer tout simplement son art et se retrouver scandaleux malgré lui. C’est aussi du ressort des autorités artistiques quelle que soit leur nature de trainer une œuvre dans les méandres du scandale, de la marge, du « vulgaire » comme dirait Delacroix. Enfin, le scandale ne peut exister sans médiation, à fortiori de nos jours où tout peut exister ou pas grâce ou à cause de la médiation. Qui et qu’est-ce qui fait le scandale artistique en fin de compte ? Est-ce l’intention de l’artiste, la réception ou la médiation ? Voilà une interrogation de plus à méditer lors de notre colloque. 

    En fin, les travaux de ce colloque devraient aussi explorer ce qu’on pourrait appeler une herméneutique du scandale. Mis à part sa vraie nature ou encore qui en est responsable, un scandale artistique lorsqu’il se produit, reste perméable à une pléthore d’interprétations.  Qu’est-ce qu’un scandale nous append-t-il sur l’artiste et sa condition, sur l’art et sa conception ? Ceci d’une part, et d’autre part, étant fait social, voire politique, qu’est-ce qu’un scandale révèle sur les valeurs d’une société, sur ses croyances, puis sur les régimes politiques en vigueur ?   

     Nous proposons, à titre non restrictif, les axes de réflexions suivants :

Ø  Peut-on parler de scandale dans l’art ? 

Ø  Qu’est- ce qui est scandaleux en art et en littérature ? selon quels critères juge-t-on le scandale ?  

Ø  Le scandale entre éthique, poétique et esthétique  

Ø  Le scandale prolongement ou rupture ?   Approche épistémologique du scandale dans l’art

Ø  Le scandale en art et en littérature au prisme du politique, du social et du culturel  

Ø  Le scandale et la question des genres littéraires et /ou artistiques, le scandale comme genre ? 

Ø  Le scandale et le discours de la critique littéraire ou artistique  

Ø  Le scandale littéraire et /ou artistique et la question de réception de l’œuvre  

Ø  Le scandale : médias et effet du « buzz »  

Ø  Scandale et sociologie de l’art 

Ø  Le scandale et l’analyse de discours : scandale du discours et discours du scandale 

Ø   Le scandale comme posture artistique et littéraire

 

    Modalités de soumission d’une proposition : Les propositions de communication ne devront pas dépasser 300 mots et seront accompagnées d’une notice bio-bibliographique d’environ 150 mots. Elles seront envoyées par email à l’adresse suivante : scandaleart2023@gmail.com en format Word avant le 31 mars 2023.

     Une sélection d’articles évaluée par le comité scientifique du colloque en double aveugle fera l’objet d’une publication (décembre 2023).



       Calendrier :

-Date limite de la soumission de la proposition : 31 mars 2023

-Notification d’acceptation : 15 avril 2023

-Dates du colloque : 24-25 et 26 mai 2023

  
       Coordination du colloque :

Azouine Abdelmajid   U. Med V (Rabat) et Martah Amine U. Cadi Ayyad (Marrakech)

       Comité d’organisation :

 Azouine Abdelmajid, U. Med V ( Rabat) 

 Ijjou Cheikh Moussa, U. Med V ( Rabat)

 Martah Amine, U. Cadi Ayad (Marrakech)

 Ouardi Hicham U. Med V ( Rabat)

Tahiri Abdellatif U. Med V ( Rabat)

Doctorants : Miftah Elkheir Moulay Youssef

                    Zinelabidine Abdellah


           Comité scientifique  

AZOUINE Abdelmajid, U. Med V ( Rabat)

BELKAZ Aziz, U. Ibn Zohr (Ait Melloul) 

BENMANSOUR Houda, U. Med V (Rabat)

ELHANI Jamal Eddine, U. Med V (Rabat)

ELOUFIR Saloua U. Med V (Rabat)

EZ-ZOUAINE Younes, U. Sidi Mohammed Ben Abdellah (Fès )

FERTAT Omar, U. Bordeaux Montaigne

GUICHET Jean-Luc, U. de Picardie Jules Vernes 

HIROUAL Yassine, U. Hassan 1er (Settat)

IJJOU Cheikh Moussa, U. Med V ( Rabat)

JAYED Abdelkhalek, U. Ibn Zohr (Agadir)

KSIKES Driss, Economia- HEM  (Rabat)

LAABI Rim, U. Med V ( Rabat)

MAKACH Zohra, U. Ibn Zohr (Ait Melloul)

MARTAH Mohamed, U. Cadi Ayad (Marrakech)

MARTAH Amine, U. Cadi Ayad (Marrakech)

MEKAYSI Abdelmajid, U. Med V ( Rabat)

MOUNTASSAR Rachid, ISADAC ( Rabat)

MOUSTIR Hassan U. Med V (Rabat)

OUAHBOUNE Youssef U. Med V ( Rabat)