Traduction (Anglais) par Paul Chemla, Éloi Laurent.
Imaginons trois enfants et une flûte. Anne affirme que la flûte lui revient parce qu’elle est la seule qui sache en jouer ; Bob parce qu’il est pauvre au point de n’avoir aucun jouet ; Carla parce qu’elle a passé des mois à la fabriquer. Comment trancher entre ces trois revendications, toutes aussi légitimes ? Aucune institution, aucune procédure ne nous aidera à résoudre ce différend d’une manière qui serait universellement acceptée comme juste.
Face à ce constat, Amartya Sen s’écarte d’une conception idéaliste de la justice – dans la lignée de Hobbes, Rousseau ou encore de John Rawls – et s’inscrit dans une autre tradition des Lumières, portée par Smith, Condorcet, Bentham, Wollstonecraft, Marx et Mill : celle qui compare les différentes situations sociales pour combattre les injustices réelles.
La démocratie, en tant que « gouvernement par la discussion », joue dans cette lutte un rôle clé. Car c’est à partir de l’exercice de la raison publique qu’on peut choisir entre les diverses conceptions du juste, selon les priorités du moment et les facultés de chacun. Pour combattre les inégalités de pouvoir comme de revenu, Sen propose d’augmenter les salaires, mais aussi de renforcer le pouvoir des individus de choisir, afin de mener la vie à laquelle ils aspirent.
L’Idée de justice représente l’aboutissement de cinq décennies de travail et de réflexion, mais aussi d’engagement dans les affaires du monde.