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Le consentement: histoires, représentations, conceptualisation. Rencontre avec Irène Théry et Jennifer Tamas (Séminaire d'actualité de la recherche, Orléans, en ligne)

Le consentement: histoires, représentations, conceptualisation. Rencontre avec Irène Théry et Jennifer Tamas (Séminaire d'actualité de la recherche, Orléans, en ligne)

Publié le par Marc Escola (Source : Laélia Véron)

Le séminaire d'actualité de la recherche du laboratoire POLEN (Université d'Orléans),

co-organisé par Laélia Véron et Gaël Rideau propose une séance d'approche historique de la notion de consentement :

-en sociologie du droit avec Irène Théry (sociologue, directrice d'études à EHESS), qui présentera son ouvrage Moi aussi. La nouvelle civilité sexuelle, Seuil, 2022. https://www.seuil.com/ouvrage/moi-aussi-irene-thery/9782021479683 

-en littérature classique avec Jennifer Tamas (enseignante à Rutgers University), qui présentera son ouvrage Au non des femmes. Libérer nos classiques du regard masculin, Seuil, 2023. https://www.seuil.com/ouvrage/au-non-des-femmes-jennifer-tamas/9782021514292 

La séance a lieu le jeudi 13 avril de 18h à 19h30 (en ligne uniquement)

Ouvert à toutes et à tous. Inscriptions auprès de Laélia Véron: Laelia.Veron@univ-orleans.fr

Résumé de l'ouvrage d'Irène Théry, Moi aussi. La nouvelle civilité sexuelle, Seuil, 2022

Irène Théry est sociologue et directrice d'études à l'EHESS.

Le livre d’Irène Théry est hybride : il alterne, par chapitres, entre une écriture relevant de la sociologie classique (à la troisième personne) et une écriture plus intime (à la première personne), grâce à laquelle l’autrice peut affirmer : « moi aussi ». Le prologue s’ouvre ainsi sur le récit de l’agression sexuelle subie à l’âge de huit ans. L’autrice cherche ainsi à « témoigner de l’extrême difficulté à dire ce genre de violence » (entretien dans Le Monde https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/09/16/irene-thery-les-jeunes-generations-recusent-la-dissymetrie-entre-une-sexualite-masculine-de-conquete-et-une-sexualite-feminine-de-citadelle_6141834_3232.html) Dans Moi aussi. La nouvelle civilité sexuelle analyse sociologique, témoignage et réflexions personnelles s’entremêlent : Irène Théry expose aussi bien sa méthodologie qu’elle revient sur son propre parcours de chercheuse, sur la manière dont elle a construit sa démarche, affirmé ses opinions, et bâti un parcours de chercheuse engagée.

Pour saisir la spécificité du mouvement « me too » il faut, selon Irène Théry, s’éloigner de l’extrême contemporain. Comme elle l’explique : « La thèse générale de ce livre est donc que pour comprendre l’importance majeure de #MeToo, il ne faut pas le voir seulement comme un mouvement de dénonciation des violences faites aux femmes, aux enfants et à certains hommes mais comme la participation active à une recomposition globale du permis et de l’interdit sexuels, recomposition qui avait commencé avant lui et à laquelle « me too » fait accomplir un saut qualitatif ». Dans la tradition d’une « socio-anthropologie de l’institution, « centrée non pas sur les identités mais sur les relations », la sociologue entreprend donc de retracer l’histoire longue du consentement.

Elle voit ainsi trois « révolutions » du consentement : la première révolution est celle du mariage chrétien, qui permet de faire « du consentement au mariage le seul moyen d’une sexualité sans péché ». La deuxième « est celle qui accompagne l’entrée dans la modernité individualiste et démocratique à la Révolution, avec l’invention du mariage civil et le triomphe ambigu du mariage d’amour ». Triomphe ambigu puisque cette période paraît contradictoire : c’est celle du mariage civil, du mariage d’amour de la révolution (en 1792) et du Code Napoléon (1804), code extrêmement répressif pour les droits des femmes. C’est la période qui instaure « la pensée démocratique moderne » de l’égalité tout en admettant « comme évidentes la hiérarchie des sexes et l’inégalité de leurs droits, tant politiques que civils ».

La troisième révolution du consentement est celle du temps du « démariage », de la déconstruction, point par point du Code Napoléon. C’est la révolution que nous vivons encore aujourd’hui, celle qui tente d’établir une nouvelle « civilité » sexuelle, celle de « me too ».

Recension sur le site du Monde: https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/09/16/irene-thery-les-jeunes-generations-recusent-la-dissymetrie-entre-une-sexualite-masculine-de-conquete-et-une-sexualite-feminine-de-citadelle_6141834_3232.html

Résumé de l’ouvrage de Jennifer Tamas, Au NON des femmes. Libérer nos classiques du regard masculin, Seuil 2023

Jennifer Tamas est agrégée de lettres modernes et enseigne la littérature française de l’Ancien Régime aux États-Unis à Rutgers University (New Jersey). Elle a notamment publié Le Silence trahi. Racine ou la déclaration tragique (Droz, 2018).

Cet ouvrage est celui d’une chercheuse mais aussi d’une enseignante. À l’heure où les œuvres littéraires de la société d’Ancien Régime, et les concepts qui lui sont associés (notamment ceux de galanterie et de libertinage) paraissent pris entre deux feux (attaque de ces notions, jugées rétrogrades voire sexistes ou défense de ces mêmes notions sous prétexte que relire ou critiquer les œuvres du passé serait hors de propos) Jennifer Tamas se demande : « Que faire dans ce cadre pour donner à la littérature d’avant toute son envergure, mais surtout où se situer ? N’a-t-on d’autre choix que de se ranger soit du côté de la jeunesse outragée soit de celui des doctes détenant les secrets d’un savoir sacralisé ? Je crois que dans ce débat passionnant on peut trouver une autre voie en en se plaçant ni dans l’arène ni sur l’estrade mais bien entre les deux, au chœur des femmes. »

Dans cet ouvrage, Jennifer Tamas cherche donc à proposer une autre lecture de certains classiques de l’Ancien Régime, en expliquant : « Depuis bien longtemps, notre culture classique nous est transmise par des lectures masculines pétries de fantasmes (…) L’idée n’est pas d’annuler la culture du passé, mais de la raconter autrement en questionnant l’autorité intellectuelle et la validité des outils d’analyse. (…) J’aurais aimé qu’on m’apprenne la littérature autrement, qu’on me fasse découvrir les œuvres de femmes, qu’on m’explique à travers le prisme du féminin les contes et les fables, et j’espère qu’il en sera ainsi pour nos enfants. Cet essai aspire à donner à chacune et chacun le pouvoir de repenser l’histoire littéraire à travers le refus féminin, non pour abolir le passé, mais pour le sortir de l’illisibilité. » 

L’angle choisi est donc celui du refus féminin, choix a priori incongru comme le dit l’autrice elle-même : « il s’agit d’une époque où les femmes sont infériorisées et opprimées selon le droit et à tous les niveaux de la société, aristocratique ou non. Ensuite, ce sont les liens intimes d’alors, des mariages forcés à la folle passion en passant par la galanterie, qui semblent obsolètes. » Pourtant, ce refus et quelquefois son contrepoint, le consentement libre et éclairé, sont bien présents, selon Jennifer Tamas, dans les textes de cette époque. Elle analyse ainsi des versions moins connues du « Petit Chaperon rouge » et de « La Belle et la Bête », où la Belle, dans la version écrite par Mme de Villeneuve (1740), n’est pas captive mais choisit de rester dans le palais de la Bête, tout comme elle choisit de répondre « non » à la question frontale de la Bête « Voulez-vous coucher avec moi ». Jennifer Tamas relit également des classiques comme Andromaque « héroïne du ni oui ni non », Bérénice (qui, loin de n’être qu’une femme abandonnée, est aussi une reine, animée par des ambitions politiques, qui choisit de renoncer) ou la Princesse de Clèves (qui, loin d’être une figure apeurée par la vie et par l’amour, représenterait un exemple de courage et force).

 

Critique dans le journal « Le Monde » : https://www.lemonde.fr/livres/article/2023/01/28/au-non-des-femmes-de-jennifer-tamas-inscrire-andromaque-dans-metoo_6159689_3260.html