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Textes & images (revue Fémur)

Textes & images (revue Fémur)

Publié le par Faculté des lettres Université de Lausanne (Source : Eugénie Matthey-Jonais)

« Une image vaut mille mots ». Si l’adage peut faire grincer des dents, c’est sans doute à cause de la hiérarchie qui s’y organise, soumettant un médium à l’autre et niant, à la limite, les possibilités du dialogue entre les deux. Images et mots peuvent exister de concert, et le font d’ailleurs quotidiennement, se partageant l’espace d’une page, d’un écran, d’une planche, d’un mur… La bande dessinée vient spontanément à l’esprit comme le lieu privilégié de cette cohabitation. À mi-chemin entre art visuel et littérature, la bande dessinée ne serait toutefois pas l’enfant bâtard des deux, si l’on en croit Scott McCloud. Dans son essai – dessiné – Understanding Comics (1993), l’auteur propose plutôt d’y voir un médium à part entière, empruntant à différents langages sans y être soumis. Forme parfois jugée mineure, la bande dessinée n’en est pas moins un système complexe, qui soulève des enjeux qui lui sont propres, comme l’a montré Thierry Groensteen dans son Système de la bande dessinée (1999).

Le chercheur et photographe Michael Nerlich parle, quant à lui, d’une « parenté non-illustrative entre le texte et l’image » (Nerlich, 1988) pour décrire la rencontre selon lui véritablement signifiante entre les deux. Plutôt que d’en orienter le sens, l’image devrait s’inspirer du texte, et vice-versa, créant cette « unité indissoluble de texte(s) et d’image(s) dans laquelle ni le texte ni l’image n'ont de fonction illustrative » (1988) que Nerlich appelle « iconotexte ». À la lumière de cette réflexion, des ouvrages à quatre mains comme le Facile de Paul Éluard et Man Ray (1937), ou encore les rencontres entre les poèmes de Breton et les œuvres de Miró deviennent autant d’iconotextes.

L’illustration d’un texte par une image n’en est pas moins un phénomène digne de mention en ce qu’on y trouve un indéniable effet de lecture. Pour certain·e·s, les romans de Céline seront durablement associés aux dessins de Tardi (Mort à crédit, Voyage au bout de la nuit, Casse-pipe), alors que pour d’autres, un tel accompagnement s’avère complètement superflu, voire sacrilège. L’illustration de textes littéraires ne date pourtant pas d’hier, et les romans-feuilletons du XIXe siècle ont souvent été dotés de gravures. Les enluminures médiévales devaient elles aussi influencer la lecture des textes qu’elles décoraient. Bon nombre de livres contemporains, quant à eux, sont au moins pourvus d’une illustration en première de couverture.

À l’inverse, certains textes prennent pour point de départ une illustration. Annie Ernaux, dans toute son œuvre, mais tout particulièrement dans L’Usage de la photo (2005), co-signé avec le photographe Marc Marie, fait commencer son travail de réflexion par une description minutieuse de photographies, photographies qui semblent parfois être l’origine et le point de fuite du texte. Chez d’autres, l’ekphrasis peut servir à invoquer des liens d’intertextualité (nécessairement intermédiaux), à faire progresser le récit ou encore à l’arrêter, comme le narrateur d’Hubert Aquin pétrifié par une reproduction de La Mort du général Wolfe de Benjamin West dans Prochain épisode (1965). 

En plus des enjeux soulevés par la cohabitation texte-image, ce numéro souhaiterait également interroger les formes que prennent les différents passages de l’un à l’autre. Qu’il s’agisse d’adaptation de la littérature au cinéma (les romans de Daphné Du Maurier vus par Alfred Hitchcock, par exemple), ou du chemin inverse, comme dans le Cinéma de Tanguy Viel (1999), l’adaptation force un nouveau regard sur l’œuvre, un passage d’un langage à un autre. L’entrée de l’oeuvre de George Orwell dans le domaine public en 2021 a été marquée par la parution de trois adaptations en BD de son roman 1984 : au-delà des enjeux commerciaux liés à la popularité du roman, cette anecdote illustre bien l’intérêt des bédéistes pour les défis que présente le processus d’adaptation. La simple présence d’un média visuel en littérature peut également être interrogée, puisque « [d]ans ce type de remédiation, le roman ne fait pas qu’adapter un produit médiatique ; il se constitue en relation avec une production préexistante. » (Routhier, 2014) Ce phénomène demande un transfert et une appropriation des codes d’un médium par un autre : ainsi, les différents comics américain que lit le personnage de Jacques Poulin dans Les grandes marées (1978) soulèvent des enjeux de traduction, plus près de la matière langagière du roman, plutôt que de représentation.

Cet appel de texte invite donc à penser les différents lieux où cohabitent textes et images. Nous proposons ici quelques axes de réflexion, de manière évidemment non-exhaustive :

- Littérature et cinéma
   *Enjeux d’adaptations : le passage d’un code à un autre
   *La novellisation
   *Le cinéma pensé par la littérature

- L’ekphrasis en littérature
   *Effets de l’ekphrasis sur le sens du récit
   *L’ekphrasis, moteur ou frein du récit?

- L’image comme paratexte 
   *Histoire de l’illustration paratextuelle
   *Effets de lecture de l’illustration

- La bande dessinée
   *Les adaptations de romans en bande dessinée
   *Histoire de la bande dessinée : de la « littérature en estampes » de Rodolphe Töpffer aux webcomics
   *Influence de la bande dessinée en littérature

- Les collaborations entre écrivain·e·s et illustrateur·rice·s
   *L’illustration a posteriori d’une oeuvre
   *L’album jeunesse
   *Les ouvrages à quatre mains : littérature et photographie, littérature et peinture, etc.

Date limite de soumission des propositions : 15 décembre 2022

Les articles des propositions sélectionnées devront être soumis en version complète à la mi-février 2023.

Veuillez noter que la revue Fémur est dédiée à la recherche étudiante, et qu’ainsi, nous n’acceptons que des propositions d’étudiant·e·s du premier au troisième cycle, ainsi que de stagiaires postdoctoraux·ales.

Les propositions doivent être envoyées à l’adresse revue.femur@gmail.com et respecter le protocole de rédaction : https://revuefemur.com/index.php/soumettre-un-article/

La revue Fémur publie plusieurs types de textes : des articles scientifiques (de 3000 à 6000 mots), des essais (de 2000 à 4000 mots) et des comptes rendus critiques (d’au plus 2000 mots). Dans le cadre de ses dossiers thématiques, la revue reçoit des propositions d’articles scientifiques, d’essais ou de comptes rendus, et non des textes complets. Les propositions d’articles et d’essais comptent entre 500 et 700 mots, alors que les propositions de comptes rendus sont d’environ 200 mots. Le comité scientifique de la revue évalue les propositions pour retenir celles qui répondent à ses critères. Les auteur·ice·s des propositions retenues sont alors invité·e·s à soumettre les textes complets. 

La revue accepte également des articles hors dossier, dont la proposition peut être envoyée en tout temps.

Direction du numéro : Étienne Maillé

Rédactrices en chef : Emma Gauthier-Mamaril et Eugénie Matthey-Jonais



Bibliographie sélective

Baetens, Jan. La novellisation : du film au roman, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, 2008.

Bertine, Bastien. Céline Comix : Louis-Ferdinand Céline et la bande dessinée, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2021.

Edwards, Paul. Soleil noir : photographie et littérature, des origines au surréalisme, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008.

Genette, Gérard. Seuils, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 1987.

Groensteen, Thierry. Système de la bande dessinée, Paris, Presses universitaires de France, 2011 [1999].

Groensteen, Thierry. L’excellence de chaque art, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, coll. « Iconotextes », 2018.

Guelton, Bernard. Images et récits : la fiction à l’épreuve de l’intermédialité, Paris, L’Harmattan, coll. « Ouverture philosophique », 2013.

Hamon, Philippe, Imageries : littérature et images au XIXe siècle, Paris, José Corti, 2007 [2001].

Jurt, Joseph. Les arts rivaux : littérature et arts visuels d’Homère à Huysmans, Classiques Garnier, coll. « Perspectives comparatistes », 2018.

Lorenz, Désirée et Elsa Caboche (dir.). La bande dessinée à la croisée des médias, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, coll. « Iconotextes », 2019.

Louvel, Liliane, Texte/image : images à lire, textes à voir, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002.

McCloud, Scott. L’art invisible (1993), trad. de l’anglais par Dominique Petitfaux, Paris, Delcourt, 2007.

Méchoulan, Éric. « Intermédialité : ressemblances de famille », Intermédialités, n° 16, 2010, p. 233-259.

Montandon, Alain (dir.). Iconotextes, Paris, Ophrys, 1988.

Montier, Jean-Pierre (dir.). À l’œil : des interférences textes/images en littérature, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Interférences », 2007.

Oberhuber, Andrea (dir.), « Voir le texte, lire l’image », Dalhousie French Studies, n° 89, hiver 2009.

Peeters, Benoît. Lire la bande dessinée (1998), Paris, Flammarion, coll. « Champs arts », 2003.

Peyré, Yves. Peinture et poésie : le dialogue par le livre, Paris, Gallimard, 2001.

Routhier, Élisabeth. « Remédiation et interaction en milieu textuel », Sens public, 2014.

Van der Linden, Sophie. Lire l’album, Le-Puy-en-Velay, Atelier du poisson soluble, 2007.