Emmanuel Carrère a publié son premier roman en 1983, dans une période de renouvellement des écritures romanesques et des récits de soi. Nourrie de culture et de pratique cinématographique mais aussi journalistique, son oeuvre est d'abord marquée par l'empreinte d'une fiction débridée, avant de se tourner vers le réel. De l'influence de l'épouvante au fonctionnement des tribunaux d'instance, du choix de personnages troubles aux anecdotes autobiographiques sans complaisance, de l'emprise du bovarysme aux origines du christianisme, du désir de performativité à la fascination russe, ses textes frappent par leur hétérogénéité thématique et générique.
Pourtant, une grande cohérence se dégage de la lecture de l'ensemble. La succession et l'entremêlement des textes dévoilent de plus la dimension ontologique de l'écriture : fils prodigue, Emmanuel Carrère éprouve - notamment par la confrontation à l'autre - les contours d'une vie « déclose », et tente d'atteindre un état de « conscience heureuse ». Esquisser le portrait d'un romancier contemporain plongé « en eaux troubles », montrer en quoi la dynamique propre de l'oeuvre peut devenir paradigmatique de grandes lignes de la littérature française au tournant du XXIe siècle, tel est le projet de ce livre issu d'une thèse soutenue à l'Université de la Sorbonne nouvelle en novembre 2019, sous la direction de Bruno Blanckeman.