En 1966, à vingt-cinq ans, le Québécois Réjean Ducharme fit une entrée remarquée en littérature en publiant chez Gallimard son roman L’Avalée des avalés. De part et d’autre de l’Atlantique, la critique s’est emparée de cet ovni littéraire qui, sélectionné pour le prix Goncourt, entendait bien rester inconnu. En trois décennies, Ducharme a exploré de nombreux genres littéraires (roman, théâtre, scénarios, chansons) et artistiques (assemblage d’objets, peintures, dessins). Toute son œuvre porte une extrême attention à l’expression, à la langue, à ses trébuchements et à son inconscient. Chez lui, le verbe dialogue, parfois bataille, avec la littérature, entre vénération et démystification, avant de se dépouiller progressivement de ses jeux de mots provocateurs sans perdre son humour.
En réunissant l’ensemble des romans de Réjean Ducharme, cette édition « Quarto » propose un éclairage nouveau sur cet auteur emblématique des lettres francophones, grâce aux documents personnels et aux écrits intimes inédits ici reproduits. L’itinéraire qui apparaît confirme l’identification très tôt pressentie entre l’auteur et ses personnages. Des enfants des premiers romans aux déclassés marginaux des derniers, tous incarnent l’absolu de l’amour, de l’amitié et de la liberté, tous expriment le refus d’une société qui marchande tout. Comme les Ferron de L’Hiver de force, Ducharme a vécu en marge, en drop-out, pratiquant tous les métiers pour survivre et pour écrire, voyageur du continent américain comme Bottom dans Dévadé et marcheur des rues de Montréal comme Mille Milles dans Le nez qui voque. Jusqu’à la fin, il sera resté fidèle à ses attachements et radical dans ses décisions.
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On peut lire sur Diacritik.com un article sur cet ouvrage…
Et sur en-attendant-nadeau.fr :
"Comme des lettres", par Hélène Frédérick (en ligne le 9 février 2023).
Le 21 août 2017 disparaissait à Montréal l’enfant rebelle de la littérature québécoise, et son grand absent, Réjean Ducharme. Combien de ses lecteurs et lectrices ont dû ce jour-là renoncer, pour de bon, à l’envoi d’une lettre restée muette dans un tiroir ou sur leur ordinateur par crainte de le déranger ? Cette mort inaugurait un silence dans un silence déjà présent, devenu assourdissant. La parution récente de l’ensemble de ses romans dans la collection « Quarto », enrichi d’une préface d’Élisabeth Nardout-Lafarge, d’une chronologie (« Vie & Œuvre ») et d’une iconographie, vient en quelque sorte rompre ce silence. L’ouvrage de près de deux mille pages lève le rideau avec délicatesse sur une vaste zone d’ombre – celle de la vie de l’auteur –, jetant une lumière neuve sur son œuvre.