Traduction de l'italien par Jean-Pierre Pisetta
“Et ce n’est pas tout : quand Charlotte Fredez fut rattrapée par le culte des rousselliens en tant que femme dévouée au génie, fidèle compagne et témoin de ses derniers jours et de sa mort, elle prétendit, paraît-il, qu’il s’était suicidé en s’ouvrant les veines. Avait-elle refoulé le souvenir des faits réels ou, tout simplement (et de manière intéressée), mentait-elle ? Dans l’un et l’autre cas, un mystère subsiste.”Raymond Roussel (1877-1933), auteur de Locus Solus ou Impressions d'Afrique, est l'un des écrivains les plus excentriques, les plus imaginatifs et les plus originaux de la littérature moderne. Inventeur d'étrangetés littéraires vénérées par les surréalistes, dandy toxicomane, "plus grand magnétiseur des temps modernes" selon André Breton, son influence sera aussi souterraine que durable.
Le 14 juillet 1933 au matin, en l’an XI de l’ère fasciste, Raymond Roussel est retrouvé mort dans la chambre de son hôtel à Palerme. Après une enquête sans autopsie et d'une rapidité étonnante, il est décrété par la police de l’État fasciste italien que M. Roussel, de nature neurasthénique, s'est suicidé par excès de barbituriques dans la nuit du 13 au 14 juillet. Leonardo Sciascia entre alors en scène, en véritable enquêteur.
Il reprend avec précision le procès-verbal édité par le juge Margiotta, les dires des témoins et des proches de Roussel ; s'attarde sur les détails et pointe les incohérences. La conclusion est sans appel : "il n'avait pas envie de mourir". C’est l’occasion pour Sciascia de se livrer à une critique des méthodes de la police fasciste : à mesure que les indices s’accumulent, il souligne les bizarreries ; à mesure que les faits se figent, il fait apparaître le mystère et la complexité. Jusque dans sa mort, Raymond Roussel se devait de demeurer une énigme...