Citer les Anciens à la Renaissance. La citation et la fabrique de l’Antiquité dans les éditions des textes classiques. Analyse et exploration numérique
24-25 avril 2023 – Université Jean Moulin Lyon III
ANR « IThAC » L’invention du théâtre antique / HiSoMA UMR 5189 Axe B Cultures anciennes et temporalités
Citer les Anciens à la Renaissance
La citation et la fabrique de l’Antiquité dans les éditions des textes classiques
Analyse et exploration numérique
La fin du XVe siècle voit paraître l’édition princeps de nombreux auteurs anciens, grecs et latins. Avec la naissance de l’imprimé, la place dévolue aux paratextes rédigés par les éditeurs et commentateurs augmente considérablement : or les épîtres dédicatoires, arguments, prolégomènes, préfaces, adresses au lecteur, traités ou commentaires que les humanistes intègrent à leurs éditions sont émaillés de références aux auteurs antiques.
Dans ce réseau de références, la pratique de la citation et ses déclinaisons tiennent une place de choix. Le recours à la parole des Anciens contribue par exemple à consacrer des terminologies et des catégories visant à la pleine compréhension des œuvres antiques : Canter mobilise largement les dénominations d’Héphestion pour étudier la métrique et la composition des tragédies grecques ; Camerarius cite Cicéron (CM. 22) pour appuyer sa lecture biographique de l’Œdipe à Colone ; Estienne convoque Virgile (En. 4.539) pour exprimer sa gratitude à Antoine de la Faye. Plus encore, au moment où l’imprimé permet une diffusion large des écrits, la pratique de la citation contribue à l’« invention » non seulement de l’auteur que l’on édite, mais aussi de l’auteur cité.
Notre colloque se situe à la croisée des travaux sur les pratiques citationnelles et sur la référence aux Anciens à la Renaissance. Ainsi Darbo-Peschanki (2004) et Nicolas (2006) questionnent-ils les opérations et les effets des reprises d’énoncés dans des textes allant de l’épopée homérique à l’antiquité tardive : le premier volume explore notamment les cas limites de l’auctorialité fictive, du silence, de l’écho, de la répétition formulaire, de l’accumulation, de la paraphrase, des images, des effets subversifs de la reprise en dialogue, des paradoxes de la fidélité littérale ; le second approfondit les notions de « citation » et de « mention » et interroge leur ramification en travaillant sur des mentions connexes : apocryphe, falsification, plagiat, adaptation, montage… Des ouvrages récents ont interrogé l’utilisation et la réappropriation des autorités antiques dans la première modernité. Landfester (2016) a montré l’influence cruciale que la redécouverte, l'appropriation et le développement des réalisations des Anciens ont eue dans toutes les sphères de la culture des débuts de la modernité. Baker (2019) a notamment mis l'accent sur le rôle actif joué par les humanistes dans la construction d'une vision du passé et dans la transformation de cette vision, en appliquant notamment le concept de transformation aux textes de la Renaissance. Enfin, Morra (2019) a exploré la construction d'un canon littéraire dans l'Italie de la Renaissance en interrogeant les multiples réutilisations des autorités classiques pour déterminer la manière dont un canon littéraire ancien interagit avec l'envie de conférer une autorité similaire à certains auteurs postérieurs et contemporains. Tout récemment, le colloque « Parler avec les mots d’autrui : autour de la citation à la Renaissance » (CESR Tours) s’est penché sur le thème de la citation, de son usage, de sa rhétorique dans les différents champs de la culture de la Renaissance avec pour objectif de mettre en évidence les modalités de l’inclusion d’une réminiscence textuelle dans l’espace d’un autre texte, les enjeux, les méthodes et finalement le renouvellement du sens. Nous entendons nous placer dans la lignée de ces travaux collectifs, en nous concentrant cependant sur un corpus de textes peu étudié, les éditions humanistes de textes anciens.
À la faveur des numérisations croissantes, de nombreux paratextes du XVIe siècle sont désormais accessibles, que nous nous proposons d’explorer sous l’angle de la citation. À la croisée des recherches menées au sein de l’ANR IThAC, qui porte sur le corpus des paratextes aux éditions des auteurs dramatiques anciens à la Renaissance et leur exploitation numérique, et de l’Axe B du Laboratoire HiSoMA, qui s’intéresse à la mémoire et la réception des cultures anciennes, ce colloque se propose de réfléchir, sans s’y limiter, aux thématiques suivantes :
Qu’entend-on exactement par « citation » ? Quelles sont les différentes modalités de la référence ? « Le caractère rétif de la citation, de la mention, de l’allusion à rentrer dans un tiroir terminologique » (Nicolas 2006 : 10) pourra notamment être interrogé. Comment distinguer citation, paraphrase, allusion, mention, etc. ? Comment caractériser et interpréter les cas limites (traduction de citations, usage du proverbe, erreur d’attribution, etc.) ? Peut-on modéliser une distance entre la citation et le texte source ?
Quel texte cite-t-on ? D’où proviennent les citations (canons classiques, auteurs édités, auteurs moins communs, etc.) ? D’après quelle édition ? La pratique, très courante au Moyen Age et encore utilisée à la Renaissance, du recours aux florilèges, aux recueils d’excerpta pourra également être interrogée.
Comment cite-t-on ? Quels sont les marqueurs de la citation ? On pourra questionner les signaux morphologiques, lexicaux et syntactiques (notamment les marqueurs de subordination, les embrayeurs, les termes d’adresse et les verba dicendi), mais aussi les frontières formelles (ponctuation, mise en page, mode de référencement).
Pourquoi cite-t-on ? Ornement, modèle ou instrument de preuve, matière à exemples rhétoriques ou pédagogiques, moyen d’une connivence ou encore pourvoyeuse d’exempla moraux, comment la citation est-elle utilisée dans les éditions des textes anciens ? Quel est le rapport de l’humaniste à ses sources ? Existe-t-il une tension entre la volonté de construire une figure d’autorité et le recours à des auctoritates antiques ?
Comment et selon quelles modalités se fabrique la mémoire citationnelle ? Comment une culture sélectionne-t-elle et sacralise-t-elle un rapport à certains textes plutôt qu’à d’autres ? Quelle place la citation tient-elle dans la circulation des idées et des discours ? Comment les références aux auteurs anciens nous renseignent-elles sur leur réception ?
Quel est l'apport méthodologique des humanités numériques à l'exploration des pratiques citationnelles dans les paratextes grecs et latins de la Renaissance ?
Comment encoder la citation et ses déclinaisons pour permettre l’exploitation de résultats à grande échelle ? Quelle représentation formelle utiliser pour les cas limites (traduction de citation, discours indirect, référence à des auteurs multiples, etc.) ?
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Les propositions de communication, qui ne dépasseront pas 400 mots, seront envoyées à sarah.gaucher@univ-lyon3.fr pour le 01/12/2022. La sélection des propositions sera communiquée le 15/12/2022.
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Bibliographie indicative
Patrick Baker (Éd.), Beyond reception: Renaissance humanism and the transformation of classical Antiquity, Berlin, 2019.
Catherine Darbo-Peschanki, (Éd.), La citation dans l’Antiquité, : actes du colloque du PARSA Lyon, ENS LSH, 6-8 novembre 2002, Grenoble, 2004.
Manfred Landfester (Éd.), The reception of Antiquity in Renaissance Humanism, Leiden, 2016.
Eloise Morra (Éd.), Building the canon through the classics: imitation and variation in Renaissance Italy, Leiden, 2019.
Christian Nicolas (Éd.), Hôs ephat', dixerit quispiam, comme disait l'autre... de la citation et de la mention dans les langues de l 'antiquité, Grenoble, 2006.
Yolanda Plumley (Éd.), Citation, intertextuality and memory in the Middle Ages and Renaissance, Exeter, 2011.
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Comité Scientifique
Florian Barrière (Professeur des Universités – Université Grenoble-Alpes / Litt&Arts)
Malika Bastin-Hammou (Professeure des Universités – Université Grenoble-Alpes / Litt&Arts)
Sarah Gaucher (Postdoctorante ANR IThAC – Université Jean Moulin Lyon 3 / HiSoMA)
Christian Nicolas (Professeur des Universités – Université Jean Moulin Lyon 3 /HiSoMA)
Sarah Orsini (Maîtresse de conférences – Université Grenoble-Alpes / Litt&Arts)
Pascale Paré-Rey (Maître de conférences HDR – Université Jean Moulin Lyon 3 / HiSoMA)