Traduit de l'allemand par Armand Croissant.
"Il est plus facile de voir ce qui se passe au coin d’une rue que de saisir ce qui se trouve au coin du temps."
“Tu me plonges dans l’embarras lorsque tu me demandes de te raconter ma vie. Je n’ai pas eu une vie. Je ne puis me souvenir. Les émigrés en sont incapables. Nous, les pourchassés de l’histoire universelle, avons été privés de la possibilité d’une vie au singulier.” Vivre écartelé entre une multiplicité de temps, de vies, de milieux, naître et mourir plusieurs fois : telle est l’existence de l’homme déraciné.
Dans ce texte inédit en français, Günther Anders livre sa vision déchirante de la condition morale, sociale, psychique et philosophique de l’émigré. La menace de l’annihilation par l’assimilation, la honte, l’infantilisation, l’impossibilité de partager la douleur du monde : Anders livre l’expérience subjective de l’individu en exil.
Contraint de reconstruire sa vie sociale à partir de rien, de penser et de s’exprimer dans une nouvelle langue, l’émigré vit plusieurs vies en une. La multiplication de ses identités a pour conséquence un dessaisissement de soi, une perte de sa propre existence. Elle le pousse au désespoir, parfois à la mort.
Comme dans une lettre imaginaire, Anders s’adresse à un destinataire indéfini et ce « tu » saisit le lecteur. Anders, lui-même juif émigré en France puis aux Etats-Unis, réalise le tour de force de donner toute sa dimension universelle et atemporelle à ce drame intime, le rendant ainsi accessible au lecteur. C’est là son originalité : montrer comment l’expérience de l’émigration offre un reflet de la condition humaine elle-même.
Entre philosophie, histoire et témoignage, à la croisée des Émigrants de W.G. Sebald et de Nous autres réfugiés d’Hannah Arendt (Allia, 2019), L’Émigré fait entendre les échos d’un mal qui ne cesse de hanter notre époque.
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On peut lire sur nonfiction.fr un article sur cet ouvrage :
"L’expérience de l’exil", par Benjamin Caraco (en ligne le 12 septembre 2022).