Sanctionner la Russie sans bannir sa culture, par Pierre Assouline
en ligne sur larepubliquedeslivres.com, le 2 août 2022
Comment sanctionner un chef d’Etat sans punir son peuple ? Le dilemme n’est pas nouveau. Le XXème siècle n’ayant pas été avare en systèmes totalitaires et régimes dictatoriaux, il s’est posé notamment aux temps où régnaient Mussolini, Hitler, Staline et de manière plus complexe vis-à-vis de l’Espagne franquiste, de la Grèce des colonels ou du Chili de Pinochet. Comment boycotter les dirigeants sans en faire subir les conséquences à leur population ?
L’invasion de l’Ukraine par la Russie vient de réactiver le cas de conscience- car cela en est dans sa dimension culturelle. Les Ukrainiens ne réclament pas seulement à raison de plus en plus d’armes lourdes à leurs alliés mais une sorte de partenariat dans le boycott total et sans nuances qu’ils ont initié contre toute expression de la culture russe ancienne, présente et à venir. Frapper d’interdit aussi bien classiques, modernes que contemporains au motif qu’ils ont eu, ont ou auront partie liée avec la langue russe et la culture qu’elle a produite. Que faire de leur mise en demeure de censurer par devoir de solidarité ?
De leur point de vue, cela peut se comprendre eu égard à l’horreur vécue chaque jour depuis des mois. Comment continuer à s’exprimer en russe, comme c’est le cas d’une partie de la population ukrainienne (environ quinze millions de locuteurs), dès lors que Poutine décrète que le territoire de la fédération de Russie s’étend partout où vit le russe, langue d’un empire dans l’esprit du Kremlin ? Leur rejet de la culture russe se conçoit tout autant ne fut-ce qu’au titre d’une réaction épidermique, même si l’on peut déjà déplorer tout ce qu’ils auront à y perdre. Mais de notre part ? […]
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(Illustr.: représentation de « La Cerisaie » d’Anton Tchekhov mise en scène par Clément Hervieu-Léger à la Comédie-Française, photo Brigitte Enguerand)