Postface de Nathalie Quintane
On ne naît pas enfant, on le devient par la surdité de l'Adulte. Cet ouvrage vise à défaire l'âge (comme "évidence biologique") et l'enfance (comme état de "dépendance objective"), de la même manière que Judith Butler à défait le genre ou Elsa Dorlin a défait la race. De fait, la notion d'âge a longtemps échappé à une approche en termes de rapports sociaux de …On ne naît pas enfant, on le devient par la surdité de l'Adulte.
Cet ouvrage vise à défaire l'âge (comme "évidence biologique") et l'enfance (comme état de "dépendance objective"), de la même manière que Judith Butler à défait le genre ou Elsa Dorlin a défait la race. De fait, la notion d'âge a longtemps échappé à une approche en termes de rapports sociaux de pouvoir : il paraît que les enfants ne travaillent pas, et qu'on les protège.
Pourtant, rien n'obsède plus l'Adulte que la mise en activité forcée des enfants : A nier le consentement des mineur.es afin de préserver l'ordre capitaliste. Cette silenciation est une projection performative : A faire taire du fait d'avoir été tu.e.
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Il n’est possible de penser la comédie adulte qu’à partir de tout ce qui dans l’enfance a été tu, calibré, piétiné, détruit. On ne peut rester fidèle à l’enfance, qu’en s’attachant à ce qui en elle résiste, persiste, s’élève. Dans cet essai brillant, érudit et détonnant, le philosophe Sébastien Charbonnier nous tend un miroir peu flatteur, derrière cette comédie adulte à laquelle nous nous prêtons tant bien que mal, il y a d’abord et toujours ce dont notre enfance a été méticuleusement dépouillée.
De toutes les catégories sociales, l’enfance est, de loin, la plus dominée. De plus, la comédie adulte bénéficie d’une relative impunité pour exercer sa brutalité : ce rapport de pouvoir est le plus consensuel, celui que nous mettons le plus d’énergie à ne pas voir.
D’où vient alors cette indifférence à l’âge comme rapport de pouvoir, par contraste avec le triptyque « classe, race, sexe » ? Peut-être du fait qu’il permet de préserver non seulement le capitalisme, mais l’ordre lui-même.
Par contraste, ce livre souhaite faire entendre les vérités fracassantes que portent les enfants – comme condition sociale et comme voix politique. Vérités que l’Adulte continue toujours à faire taire, jusque dans la manière de les nommer – in-fans = sans voix.
Ce texte s’adresse d’abord aux minoré.es, celles et ceux qu’on assigne à des statuts comme l’enfance ou l’adolescence. Ou bien, a minima, à l’Adulte (en nous) qui n’aurait pas oublié le scandale politique absolu qu’est ce statut subi de minorat.
Ce livre ne laisse pas en paix. Chaque ligne nous confronte à la violence quotidienne adressée aux enfants et à notre propre enfance intérieure. Sébastien Charbonnier exhibe la haine et la peur qui sous-tendent, refoulées, la supériorité écrasante des adultes et fait de l’attention portée aux enfants un chemin nécessaire à l’émancipation. Dans un essai frappant, il s’attaque à la domination la plus commune et la plus ignorée.
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Sébastien Charbonnier est professeur de philosophie et chercheur en sciences de l’éducation. Contributeur régulier de lundimatin, il est notamment l’auteur de Que peut la philosophie ? (Seuil, 2013), et Aimer s’apprend aussi (Vrin, 2019).
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