À l’occasion du centenaire des « bateaux des philosophes », opération par laquelle le pouvoir soviétique expulsa par bateaux plusieurs centaines d’intellectuels de la Russie soviétique en 1922, ce colloque international à vocation interdisciplinaire aura pour objectif de porter un regard neuf sur l’émigration artistique russe en Europe, et notamment à Paris.
Le sujet, bien qu’il ait été à maintes reprises traité par des chercheurs en France et en Russie, reste pourtant d’actualité grâce à de nouvelles approches engagées (par exemple, études de genre, histoire des émotions, psychanalyse de l’art, histoire de la mode) et à la découverte de documents inédits, de journaux intimes ou de faits qui, autrefois, étaient passés sous silence en raison de restrictions politiques, institutionnelles ou personnelles. Il nous paraît alors intéressant de faire appel à des jeunes scientifiques, ainsi qu’aux chercheurs confirmés, universitaires et indépendants, historiens, philosophes, musicologues, spécialistes des beaux-arts, de la littérature, du cinéma et de la photographie, afin de revisiter le parcours des artistes russes, ces « migrants pas comme les autres », à travers leurs intimités, leurs créations et leurs exils. Il s’agit également d’une volonté de rendre hommage aux noms aujourd’hui oubliés et aux parcours exceptionnels, artistiques et humains, ainsi que de porter au grand jour des créations peu étudiées apparemment (photographies et dessins inédits, habits, décors, scénarios…).
Les interventions s’articuleront autour des volets thématiques suivants : intimités, créations, exils, et couvriront des périodes d’émigration différentes. Il s’agira non seulement des émigrés politiques, dits « Russes blancs », et intellectuels venus en Europe dans l’entre-deux-guerres, mais également des sujets de l’Empire russe, peintres de l’« École de Paris », hommes et femmes de lettres, installés en France bien avant la révolution de 1917. Sans oublier ceux qui sont partis à l’Ouest au cours des décennies suivant la Seconde Guerre mondiale, les réfractaires au retour et dissidents, les émigrés postsoviétiques, ainsi que les artistes issus de l’émigration russe ou russophone et qui ont honoré l’engagement générationnel de préserver, en exil, la culture d’origine. Cette approche nous permettra de tisser, dans une perspective historique, une large toile de destins des artistes russes en Europe.
1) Intimités
Ce volet portera sur l’intimité « physique » (lieux de vie, décors, objets fétiches) et « mentale » (émotions, sentiments, traditions, rites, idées, stéréotypes) des émigrés russes, ainsi que sur les façons dont elle a été perçue et représentée par les artistes exilés : journaux intimes, albums de photos et archives familiales, problématiques particulières liées à la vie de famille, aux relations intergénérationnelles, à la santé et aux soins, à l’argent, etc., soulevées dans les œuvres. Il pourra également s’agir des actions humanitaires dans lesquelles les artistes étaient engagés.
À quel point l’intimité était-elle communicable ? Que représentait le « chez-soi » de l’émigré ? Comment cet espace était-il investi ? Quels sont les stéréotypes liés à l’intimité des émigrés et comment évoluent-ils dans le temps ? Quelle est la place des enjeux amicaux, sexuels, familiaux et matrimoniaux dans les récits sur l’intimité ? Font-ils émerger de nouvelles représentations et/ou de nouvelles problématiques ?
Une réflexion autour de ce questionnement permettra d’observer le caractère et les éléments constitutifs des récits sur l’intimité incluant souvent le discours sur les racines et l’identité, notamment, dans le cas de la peur de l’assimilation. Ces recherches permettront également de s’interroger sur la production et la fonction de la culture et de l’art dans les sociétés (celle de l’origine et celle de l’accueil), ainsi que sur le statut de l’œuvre et de l’artiste en exil.
2) Créations
Ce volet permettra de se pencher sur les particularités de la création en exil, les inspirations et les convictions des artistes, les modèles et les influences qui les guidaient. Le questionnement portera aussi sur la circulation de ces œuvres, leur réception et les appropriations (collectives et individuelles) : les transferts culturels, la création des influences (orientalisme, « mode russe »), l’invention des « mythes ». Nous pensons, en particulier, aux peintres de l’« École de Paris », expression née sous la plume d’André Warnod en 1925 par opposition aux réactions chauvines et xénophobes de l’« École française ». Elle désignait l’ensemble des artistes étrangers arrivés au début du xxe siècle. Nous pensons également aux créations cinématographiques en exil et au spectacle vivant.
En quoi consistent les phénomènes de création/production chez les Russes en Europe ? Permettent-ils d’exprimer certains sentiments et ressentis ou certaines émotions ? Ou bien certaines convictions ? Si oui, lesquelles ? Pourrons-nous parler de la liberté d’expression en exil ? Quelles sont les particularités de différentes créations en exil (littéraires, picturales, cinématographiques, musicales…) ?
Bien que la littérature et les arts visuels soient aussi l’occasion d’expériences interculturelles : ils jouent un rôle important dans la transmission des textes et pratiques culturelles, ainsi que dans la production d’attitudes positives ou négatives à l’égard ou à l’encontre d’autres cultures. Il nous paraît également intéressant d’aborder les créations en exil non comme simples fictions (films, romans, dessins, photographies…), mais comme agents et sources d’une histoire alternative (Marc Ferro), permettant d’apporter de nouvelles interrogations à l’Histoire et d’accorder à leurs acteurs leur propre histoire.
3) Exils
Ce volet sera dédié non seulement aux imaginaires de l’exil, mais aussi à la mémoire de l’exil « physique », géographique. Les contributions pourront porter sur les différentes représentations de l’exil par les artistes émigrés : les figures de l’exil, la création comme exil, la maladie et l’isolement comme exil, et la mort comme exil ultime… Nous pensons également à la crise de la page blanche, aux récits portant sur des parcours atypiques, voyages artistiques ou rencontres particulières dans le cadre de l’émigration, mais aussi aux façons dont la communauté russe en émigration (cette « Russie en exil ») a été perçue et représentée par les artistes nostalgiques de leur passé. L’interrogation pourrait aussi porter sur une éventuelle différence entre les créations faites lors de l’exil volontaire et celles qui ont vu le jour pendant un exil forcé…
Une réflexion autour d’une Russie mosaïque, regroupant, en exil, de nombreuses ethnies venues de différents horizons de l’ancien Empire russe, comprenant, en elles-mêmes, une large palette sociale, professionnelle, politique, religieuse, éducative et culturelle, bien qu’elle ne soit pas pionnière, pourrait être engagée, afin de déceler son possible impact sur l’émigration artistique et ses créations. Elle pourrait rejoindre la pensée autour des différentes façons dont l’expérience de la vie en exil a été transmise au public émigré et français.
Le colloque se tiendra du 20 au 21 octobre 2022 à la Maison de la recherche de l’université Sorbonne nouvelle (Paris 5e) ou du 27 au 28 octobre 2022 au campus Condorcet (Aubervilliers). Le choix du lieu sera déterminé en fonction du nombre de participants et des mesures sanitaires en vigueur.
Les interventions pourront se faire en anglais, russe ou français.
Les propositions (500 mots au maximum) et les biographies (300 mots au maximum) sont à envoyer pour le 15 avril 2022 à kateryna.lobodenko@sorbonne-nouvelle.fr
Comité scientifique :
Ada Ackerman (THALIM/CNRS)
Kristian Feigelson (IRCAV, Sorbonne nouvelle)
Pavel Golubev (Musée des Beaux-Arts d’Odessa, Ukraine)
Andreï Korliakov (chercheur-iconographe indépendant, Paris)
Kateryna Lobodenko (IRCAV, Sorbonne nouvelle)
Comité d’organisation :
Ada Ackerman (THALIM/CNRS)
Kateryna Lobodenko (IRCAV, Sorbonne nouvelle)
Danilo Sannelli (IRCAV, Sorbonne nouvelle)
Actualité
Appels à contributions
Publié le par Perrine Coudurier (Source : LOBODENKO Kateryna)