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"L'atelier imaginaire", dossier de la revue Romantisme, 2023-4, coord. Laurence Brogniez

Publié le par Université de Lausanne (Source : Éléonore Reverzy)

L’atelier imaginaire

Numéro de Romantisme, 2023-4

Dossier dirigé par Laurence Brogniez (laurence.brogniez@ulb.be)

Appel à communication : jusqu’au 1er juin 2022.

Date limite pour la remise des textes : 1er février 2023.




« […] la première question que l’on vous pose lorsque vous avouez à des inconnus que vous êtes un artiste est : “Est-ce que tu as un atelier ?”».

Inquiet de ne pas disposer d’une « place à soi dévolue au travail », honteux de présenter au critique ou au galeriste ses productions dans un cadre domestique, le narrateur des Forçats, de Bruno Gibert (2019), se prend à rêver devant les photos d’ateliers de Willem de Kooning, Pierre Soulages ou Hans Hartung : « les photos de l’atelier m’éblouissaient tout autant que les reproductions de leurs œuvres ». Si la morphologie de l’atelier d’artiste – « hangar agricole » de Hartung ou « bloc de béton ouvert sur la mer » pour Soulages – a bien évolué au cours du temps, accompagnant l’émergence de nouvelles pratiques artistiques, force est de constater que l’imaginaire qui entoure ce lieu de création semble perdurer, tant pour l’artiste lui-même, en tant que vecteur de légitimité et affirmation identitaire (Heinich 2005), que pour son public. Entre expérience réelle (visite) et médiations (images, écrits, objets), l’atelier est désormais un « lieu commun » qui participe à la mythologie de l’artiste (Démoris 1993 ; Guedeker, Jonkman 2010 ; Conzen 2012 ; Bonnet 2012 ; Wat 2016), soigneusement construite par celui-ci ou parfois à son corps défendant. Espace référentiel et construction imaginaire, il se caractérise par deux dimensions, l’une matérielle, l’autre symbolique. C’est cette seconde dimension, telle qu’elle s’est élaborée au XIXe siècle, que nous souhaiterions approfondir dans le présent dossier.

Si l’atelier fait incontestablement partie du monde de l’art avant le XIXe siècle, c’est à l’époque romantique, alors que l’intérêt pour l’art se déplace vers le créateur et le processus même de la création, que l’atelier devient non seulement un lieu emblématique mais également un véritable topos (Hamon 2001), c’est-à-dire un objet de discours – verbal et visuel – récurrent. Le romantisme, à rebours du dogme de l’imitation, promeut une esthétique de la création, considérant l’art comme expression personnelle : c’est désormais l’individu lui-même et, par extension, le lieu où se fabrique l’œuvre, qui déterminent la perception et la compréhension de cette dernière (Junod 1998).

Si les éléments architecturaux de l’atelier jouent un rôle déterminant, déjà bien étudié (Vaisse, Gribenski, Meyer, Vernois 2007 ; Downey 2013), dans la mise en scène de soi et véhiculent un discours implicite, l’imaginaire de l’atelier se nourrit également de représentations picturales, médiatiques et littéraires. Celles-ci participent de la perception de ce lieu, à la fois réel et localisé, mais aussi virtuel : à l’atelier habité, lieu de vie et de travail d’un artiste, se superpose un atelier imaginé et imaginaire, incarnation de la vie d’artiste. Dans cette perspective, chaque atelier apparaît donc à la fois comme un lieu singulier et un lieu prototypique. Ces représentations ont également joué un rôle non négligeable dans la prise en considération de cet espace dans la critique et l’histoire de l’art dans la mesure où, comme le précise B. Vouilloux, elles ont, « la peinture d’abord (à partir du XVIIe siècle), puis la fiction […] intronis[é] dans la représentation » les vues d’atelier, attirant l’attention sur les « procédés matériels de l’art » (Vouilloux 2016, 169).

L’atelier, comme lieu référentiel et comme objet de représentation dans la peinture et la photographie, a fait l’objet, dans les dernières décennies, de recherches importantes (Tillier 2014), de colloques internationaux (Gustave Courbet. L’atelier sans fin, 11-12.03.2022), d’expositions remarquables (Brandlhuber, Buhrs, 2013 ; Desveaux, Gállego Cuesta, Raynaud 2016). L’« atelier médiatique », relayant la visite à l’atelier qui, codifiée au fil des siècles, devient un véritable genre journalistique, a lui aussi suscité des travaux stimulants (Esner 2012 ; Diaz 2019). Tout en nous situant dans la continuité de ces recherches, nous nous concentrerons ici sur les « ateliers de papier », ainsi qu’y invitaient Ph. Hamon, Ph. Junod ou V. Rodriguez (1999) dans leurs travaux respectifs : nous voudrions, en confrontant différentes représentations textuelles, ou icono-textuelles, des ateliers, apporter un éclairage supplémentaire sur la connaissance de ces lieux, en les découvrant à travers les regards subjectifs que les écrivains, parfois les artistes eux-mêmes, y ont posé.

Genre pictural bien étudié (Skrapits 2000 ; Lesec 2017), l’atelier est aussi un topos littéraire prisé dans le roman : dans le second quart du XIXe siècle, « le peintre [devient] un personnage littéraire et l’atelier un morceau de bravoure pour le romancier » (Chastel 1989). Lié au « développement […] de la littérature de mœurs, du naturalisme ou de la sociologie, qui étudient les rapports de l’individu et de son milieu » (Tillier 2014, 149), « lieu fascinant où se déroulent les mystères de la création, lieu de pose du modèle dénudé, véritable “salon” où se débattent entre artistes, amateurs et marchands, les théories esthétiques du jour » (Hamon, Viboud 2003, 107), il hante les récits de Balzac, des Goncourt, de Zola, Mirbeau, Daudet, Maupassant ou Proust. Transposé dans le texte, l’atelier subit un travail d’abstraction et se réduit à une série de signes qui participent à l’élaboration du mythe de l’artiste. L’atelier imaginé par les écrivains incarne souvent un style de vie bohème : il apparaît comme un espace libertaire, synonyme de pittoresque, d’exotisme et de licence qui effraie le bourgeois en même temps qu’il le fascine (Brogniez 2019). Lieu polyphonique, ouvert à la traversée de différents mondes sociaux, l’atelier revêt également une dimension métaphorique ou autoréférentielle dans la mesure où, à travers la création du peintre, l’écrivain est aussi conduit à évoquer son propre travail ou ses aspirations, quand il n’y découvre pas « le laboratoire d’une sorte de nouvelle création du monde » (Marcel Proust, A la recherche du temps perdu. A l’ombre des jeunes filles en fleurs, 1918). On s’intéressera ainsi à la perméabilité entre discours littéraires et critiques, l’atelier constituant souvent le lieu de rencontre entre artistes et auteurs, engagés dans la presse en faveur des mêmes combats artistiques, que le texte peut s’attacher à reproduire, prolonger ou dramatiser.

Si l’atelier constitue l’un des lieux favoris du roman du XIXe siècle, sa présence dans les productions poétiques et théâtrales méritera aussi d’être interrogée, de même que dans les écrits d’artistes. Ces derniers véhiculent en effet aussi une image de ce lieu qui, dans une certaine mesure, les a suscités. Dans cette perspective, l’atelier peut être considéré comme matrice de formes d’expression spécifiques, qui rendent parfois problématique la distinction entre archive, document et objet esthétique (Leeman 2005). Notes et carnets d’atelier, journaux, correspondances, leçons, entretiens, aphorismes, dialogues, blagues d’atelier, inventaires et catalogues commentés, etc. convoquent volontiers l’atelier comme scène d’énonciation, autorisant la prise de parole des artistes et leur intrusion dans le monde du verbe. Vu et mis en texte par l’artiste, l’atelier peut se révéler sous d’autres formes, souvent hybrides et intermédiales, qui se démarquent des codes littéraires et discursifs dominants (Vouilloux 2004).

Les contributions pourront s’articuler autour des thématiques suivantes (liste non exhaustive) en puisant dans les productions littéraires (L’atelier littéraire) et les écrits d’artistes (Littératures d’atelier). Outre ceux des peintres et sculpteurs, les ateliers des architectes, artistes décorateurs et photographes pourront également être étudiés dans leurs spécificités. Les approches comparatistes, élargissant le cadre géographique par-delà le cas français, seront les bienvenues.

L’atelier, enjeu de représentations et de discours

-l’atelier décrit : stratégies descriptives, narratives, stéréotypes et lieux communs, ekphrasis, lexique spécialisé, etc.

-l’atelier intermédial : du genre pictural à l’expression littéraire (motifs, figures, poses, construction spatiale, etc.)

-ateliers et (sous-)genres littéraires 

-ateliers et esthétiques littéraires

-descriptions d’objets et accessoires d’ateliers : matériel, collections d’œuvres, d’objets et d’accessoires, aménagements (verrière, poêle, paravent, divan, miroir, etc.)

-les sens dans l’atelier : registres sensoriels convoqués dans les représentations d’atelier

-l’atelier comme lieu de discours sur l’art dans le récit : débats, polémiques, critiques, dialogues, blagues, invectives, etc.

L’écrivain et l’écriture, au miroir de l’atelier

-fonctions de l’atelier dans les représentations littéraires : lieu de liberté (bohème) et de libertinage (amours illicites), lieu de réclusion du génie, lieu de réussite sociale, lieu d’enseignement (atelier collectif), lieu de mondanité, etc.

-l’atelier comme métadiscours indirect sur la création littéraire : autoportrait détourné de l’écrivain, expression d’une esthétique, idéalisation de la vie d’artiste, etc.

-l’atelier comme projection, pour l’écrivain, dans un espace de travail plus matériellement organisé autour de la création

L’atelier au quotidien

 -l’atelier comme lieu de sociabilité : personnages de visiteurs et visiteuses, marchands, acheteurs et acheteuses, élèves, collègues, etc.

-usages et quotidien de l’atelier

-l’atelier « genré » : femmes dans l’atelier et ateliers dans la production littéraire féminine, constructions et rapports de genres dans l’atelier, etc

Topographies de l’atelier

-l’atelier dans la « géographie littéraire » du récit, présenté comme espace dans la ville, ou hors de la ville : quartiers d’artistes, villégiatures, excursions, communautés d’artistes, etc.

-l’écart entre l’atelier littéraire et l’atelier référentiel : écart temporel (représentations d’ateliers des siècles passés), écart spatial (ailleurs), écart social (atelier du maudit vs atelier du parvenu), etc.

-l’atelier au sein de la scène artistique internationale : représentations des circulations et déplacements des artistes, spécificités et traditions nationales, etc.

L’atelier, par l’artiste

-la place de l’atelier dans les écrits personnels d’artistes et les modalités spécifiques de sa représentation

-l’atelier dans les publications d’artistes : catalogues réalisés et commentés par l’artiste, autobiographies, journaux publiés, recueils d’aphorismes ou de pensées, dialogues, entretiens, récits et poèmes, etc.

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Les propositions d’articles (titre et présentation en une page maximum), accompagnées d’une brève notice biographique, sont à adresser avant le 1er juin 2022 à Laurence Brogniez (laurence.brogniez@ulb.be). Les articles acceptés (30 000 signes espaces comprises) seront à remettre avant le 1er février 2023 accompagnés d’un résumé en français de 900 signes.


Bibliographie sélective

Bonnet, A. (dir.) (2012). L’artiste en représentation. Images de l’artiste dans l’art du XIXe siècle, Lyon, Fage éditions.

Brandlhuber, M. Th., Buhrs, M. (dir.) (2013). In the Temple of the Self. The Artist’s Residence as a Total Work of Art. Europe and America 1800-1948, München/Berlin, Villa Stuck/Hatje Cantz.

Brogniez L. (2019). « De l’intérieur d’artiste à l’intérieur artiste: l’atelier d’artiste, entre pierre et papier, dans le Bruxelles fin de siècle », Dix-Neuf, Journal of the Society of Dix-Neuviémistes, 22:3-4, p. 245-261.

Chastel, A. (1989). « Le secret de l’atelier », 48-14, Paris, Réunion des musées nationaux.

Conzen, I. (dir.) (2012). Mythos Atelier: Von Spitzweg bis Picasso, von Giacometti bis Nauman, (cat. exp., Stuttgart, Staatsgalerie, 2012), München.

Démoris, R. (dir.) (1993). L’artiste en représentation, Paris, Desjonquères.

Desveaux, D., Gállego Cuesta, S., Raynaud, F. (dir.) (2016). Dans l’atelier. L’artiste photographié, d’Ingres à Jeff Koons, Paris, Petit Palais, Paris Musées.

Diaz, J.-L. (2019). « Entrée des artistes sur la scène médiatique : la revue L’Artiste (1831-1833) », in : Brogniez, L., Dessy, C., Edouard, C. (dir.), L’artiste en revues. Art et discours en mode périodique, Rennes, PUR.

Downey, G. (2013). « Maisons d’artistes : sympathetic frame and wandering aesthetic », in : Taylor, M. (dir.), Interior Design and Architecture, Critical and Primary Sources, Bloomsbury. 

Esner R. (2012). « Nos artistes chez eux. L’image des artistes dans la presse illustrée », in : Bonnet, A. (dir.), L’artiste en représentation. Images de l’artiste dans l’art du XIXe siècle, Lyon, Fage éditions, p. 139-150.

Gibert, B. (2019). Les Forçats, Paris, Éditions de l’Olivier.

Gribenski, J., Meyer, V., Vernois, S. (dir.) (2007). La maison d’artiste. Construction d’un espace de représentations entre réalité et imaginaire (XVIIe-XXe siècles), Rennes, PUR, coll. « Art & Société ».

Guedeker, E., Jonkman, M. (dir.) (2010). Mythen van het atelier, Werkplaats en schilderpraktijken van de negentiende-eeuwse kunstenaar in Nederland, (cat. exp. Teylers Museum Haarlem, 2010-2011), Den Haag, de Jonge Hond/RKD.

Hamon, Ph. (2001). « La fabrique de l’image : l’atelier », in : Imageries. Littérature et image au XIXe siècle, Paris, José Corti, coll. « Les Essais ».

Hamon, Ph., Viboud, A. (dir.) (2003). Dictionnaire du roman de mœurs, 1850-1914, Paris, Presses Sorbonne nouvelle.

Heinich, N. (2005). L’élite artiste. Excellence et singularité en régime démocratique, Paris, Gallimard.

Junod Ph. (1998). « L’atelier comme autoportrait », in : Griener, P., Schneemann, P. J. (dir.), Kunstlerbilder. Images de l’artiste, Peter Lang, p. 83-97.

Leeman, R. (2005). « L’archive, l’œuvre et la relique », in : Archives d’artistes, XIXe-XXe siècles (exposition, Paris, INHA, 5 janvier-4 mars 2006), Paris, INHA, p. 1-5.

Lesec, C. (2017). Ateliers d’artistes, Paris, Éditions courtes et longues.

Rodriguez, R. (1999). « L'atelier institué en portrait de l'artiste moderne dans la littérature du XIXe siècle », RACAR: revue d'art canadienne / Canadian Art Review , vol. 26, n° 1/2, « Postures et impostures de l’artiste moderne / Myths of the Modern Artist: Exposing the Pose », p. 3-12.

Skrapits, J. C. (2000). « The studio as subject. From Vermeer to Vuillard », American Artist, 64, 700, p. 28-36.

Tillier, B. (2014). Vues d’atelier. Une image de l’artiste de la Renaissance à nos jours, Paris, Citadelles & Mazenod.

Vouilloux, B. (2004). « Des vocations suspendues ? », in : Morizot, J. (dir.), Art : changer de conviction, L’Harmattan, p. 37-59.

Vouilloux, B. (2016). « Le roman de l’artiste aux frontières des genres et des représentations », Revue de littérature comparée, 2016/2, p. 161-172.

Wat P. (dir.) (2013). Portraits d’ateliers. Un album de photographies fin de siècle, Grenoble, INHA, ELLUG, MSH Alpes, Université Stendhal.