Colloque TRACT 15-16 octobre 2021
Appel à communication
Fiction/non-fiction : que dit la traduction ?
CENTRE DE RECHERCHE EN TRADUCTION ET COMMUNICATION TRANSCULTURELLE
ANGLAIS-FRANÇAIS / FRANÇAIS-ANGLAIS
(TRACT – PRISMES EA 4398 – Université Sorbonne Nouvelle- Paris 3)
Dans la continuité de deux années consacrées à la traduction de la pensée française dans le monde, le TRACT poursuit son cycle « Traduire le contemporain » en s’intéressant à la place de la traduction dans la circulation des textes appartenant « aux territoires de la non-fiction »[1]. Si la problématique des frontières entre fait et fiction (Lavocat, 2016) ou de la représentation de la réalité dans les textes de non-fiction peut sembler déjà ancienne, comme le montrent les travaux de Barthes (1984), Searle (1979) ou Schaeffer (1999), il semble toutefois que la question générique soit aujourd’hui au cœur de questionnements et débats nationaux et internationaux, comme l’illustre la polémique ayant opposé au sein de la New York Review of Books l’historien américain Robert Paxton et l’écrivain français Eric Vuillard, autour de son roman historique L’ordre du jour[2].
Cet exemple, parmi tant d’autres, interroge bel et bien des concepts centraux de la critique de tradition francophone : qu’en est-il de la « mort de l’auteur » à l’époque du « capital biographique » (Delory-Momberger, 2009), du « pacte de lecture » face au triomphe de l’authenticité, notamment dans le domaine éditorial américain, ou encore des distinctions entre feintise, tromperie et représentation (Schaeffer, ibid.) face au danger des fake news et autres manipulations éditoriales ? Pour le dire autrement, où en sommes-nous dans le jeu entre réalité et fiction au sein de l’écriture et quelle place la traduction tient-elle dans celui-ci ?
Une première piste d’exploration pourra s’articuler sur la question générique et sur la traduction, la circulation et la réception de formes dont le dispositif met en jeu ou questionne la mise en récit de faits du monde réel. De la « littérature de document » dont parlait Barthes —biographie, autobiographie, journal, récit de voyage, enquête, récit journalistique, etc. —, aux autofictions et microfictions de tradition francophone, memoirs et factions anglophones, en passant par le nonfiction novel hérité de Truman Capote, la creative ou narrative nonfiction, le nouveau journalisme de Tom Wolfe et Gay Talese, le gonzo de Hunter S. Thompson ou plus généralement la « littérature du réel », le succès critique, commercial et institutionnel de ces formes ne se dément pas depuis plusieurs années, comme en témoigne le Prix Nobel remis en 2015 à Svetlana Alexievitch. Pour autant, la question de ces catégories et de leurs caractéristiques, de leur désignation grâce à l’emploi de privatifs (non-fiction), d’affixes (autofiction, microfiction) ou de mots valises (faction) riches de sens, l’influence mutuelle des traditions anglophones et francophones et les défis que pose la traduction de ces genres et de leurs appellations (essays ou memoirs étant autant de faux-amis pour les francophones) constitueront un champ de réflexion fertile.
Un deuxième axe pourra concerner l’articulation entre les méthodes et postulats de ces dispositifs d’écriture et les sciences humaines, notamment l’histoire et la sociologie. En effet, la polémique Paxton/Vuillard évoquée plus haut entre en écho avec des oppositions que l’on retrouve chez nombre d’auteurs ayant réfléchi à la définition du discours de fiction, celle qui met face à face le roman, et plus particulièrement le roman historique, et l’écriture de l’Histoire[3]. Comment faire dialoguer des traditions éditoriales et universitaires distinctes ? Les décloisonnements que certains appellent de leurs vœux, faisant par exemple de l’histoire une « littérature contemporaine » pour reprendre le titre du manifeste d’Ivan Jablonka (2014), passent-ils l’épreuve de la traduction et celle-ci peut-elle agir comme un agent révélateur vis-à-vis de ces textes et de leurs postulats ?
Enfin, on pourra traiter la question de la non-fiction sous son aspect discursif, et voir en quoi ces formes contribuent à redéfinir le pacte de lecture, la « suspension de l’incrédulité » ou la mimesis. Si, comme le propose Searle, la non-fiction est une assertion, alors cela présuppose un certain nombre de règles sémantiques et pragmatiques en matière de prise en charge des énoncés, de sincérité et de possibilité de prouver ce qui est avancé ; règles dont la fiction se dispense puisqu’elle feint d’asserter. Comment se situer face à un texte qui entend mêler ces discours ou brouiller les frontières qui les séparent ? En posant la question de ce qui constitue un fait, à la suite de Barthes, et du rôle des « effets de réel » dans la fiction comme dans le document, on pourra se demander où le traducteur peut se placer en tant que locuteur intermédiaire. En allant plus loin, si l’attrait de ces textes provient avant tout de leur promesse d’une représentation fidèle ou du moins honnête du réel, que faire de la traduction comme activité de représentation ou de feintise langagière ? L’image d’un traducteur effacé représentant de façon transparente et non-problématique le texte-source ou la pensée de l’auteur n’est-elle pas d’autant plus mise à mal si le rapport du texte au réel ou à l’extratextuel est déjà une source de trouble, d’illusion ou de débat ? Si le traducteur n’a rien de fictif, une position qui le verrait ne pas avoir à répondre de ses paroles, ni de leur vérifiabilité est-elle seulement tenable ? Plus généralement, une étant mis face au monde à travers le texte-source, quelles démarches spécifiques devra-t-il engager ?
On pense notamment ici à la question de la documentation, du référencement bibliographique voire aux éventuelles démêlées judiciaires et autres scandales que peuvent provoquer la publication de textes incluant des personnes bien réelles, phénomène qui a accompagné plusieurs œuvres d’autofiction française, comme les romans d’Édouard Louis. A l’inverse, on peut penser aux précautions prises par Alexandria Marzano-Lesnevich dans The Fact of a Body : a murder and a memoir (Flatiron Books, 2017), récit mêlant une trame autobiographique et son enquête sur le meurtre d’un enfant issue de la tradition du nonfiction novel : à la fin de l’ouvrage, elle prend soin de référencer pour chaque chapitre ce qui relève de la lecture de documents journalistiques et judiciaires et ce qui est une reconstruction littéraire de sa part. Précaution juridique, déconstruction réflexive du dispositif narratif ou admission tacite des limites du genre, ce paratexte a en tout cas été conservé par l’éditeur français (L’Empreinte, traduction Héloïse Esquié, Sonatine 2019), offrant peut-être un exemple de la façon dont le positionnement discursif de ces auteurs et de leurs traducteurs évolue avec le succès de ce champ littéraire.
Si le sujet invite à une réflexion profondément pluridisciplinaire, et que la participation de spécialistes d’autres disciplines (littérature, littérature comparée, histoire, histoire du livre et de l’édition, sciences de l’information et de la communication, etc.) est plus qu’encouragée, les communications devront avoir pour axe central la question de la traduction et traiter de traduction depuis ou vers l’anglais ou le français.
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Les propositions de communication (300 mots environ) doivent être envoyées d’ici le 30 juin 2021 à Charles Bonnot (charles.bonnot@sorbonne-nouvelle.fr) et Clíona Ní Ríordáin (cliona.ni-riordain@sorbonne-nouvelle.fr) (Réponse mi-juillet).
Si votre proposition est acceptée nous attendons votre article pour le 15 novembre 2021 (les articles doivent être compris entre 30 000 et 40 000 signes et intersignes et se conformer aux normes des PSN ; voir conseils aux auteurs sur le site des PSN).
[1] Nous empruntons cette formulation à Alexandre Gefen, voir bibliographie.
[2] Voir ici la critique du roman de E. Vuillard par R. Paxton et ici la réponse du romancier.
[3] On pense ici aux travaux de Schaeffer sur les biographies fictionnelles, aux réflexions de Searle prenant pour exemples un article du New York Times, un roman d’Iris Murdoch et le personnage de Sherlock Holmes ou encore aux développements de Barthes sur l’effet de réel et l’illusion documentaire s’appuyant sur Michelet et Flaubert.