Questions de société

"Université : le mouvement d'opposition aux réformes Pécresse est-il devenu « très minoritaire » ?", par Jade Lindgaard (Mediapart, 22/04)

Publié le par Florian Pennanech

Le passage du décret sur le statut des enseignants-chercheurs en conseil des ministres mercredi matin sonne-t-il le glas du mouvement dans les universités ? Il doit être publié au Journal officiel dans les deux jours, accompagné d'une circulaire d'explication, annonce l'entourage de la ministre : « C'est une étape supplémentaire de la réforme. Le président était très content ce matin ».

Le premier projet de décret modifiant le décret de 1984qui organise en grande partie le travail des universitaires, dévoilé àl'automne dernier, avait mis le feu aux poudres dans l'enseignementsupérieur. Il donnait la possibilité aux présidents d'université deréduire le nombre d'heures de cours de leurs enseignants les mieuxévalués, pour qu'ils se consacrent à leurs recherches, et d'alourdir lacharge des autres. Après plusieurs étapes de réécriture, le texte quele gouvernement s'apprête à promulguer conditionne la modulation deservices à l'accord de l'enseignant-chercheur, et maintient le cadrenational de son évaluation.

Des concessions jugées encore insuffisantes par les juristes du collectif de défense de l'université d'Assas,très engagé dans le mouvement, mais aussi le Snesup (syndicatmajoritaire), Sauvons l'université, Sauvons la recherche et laCoordination nationale des universités qui continuent de demander leretrait du texte. Plusieurs recours de juristes devraient être déposésau conseil d'Etat dans les deux prochains mois. Sans grand espoir : en1998, déjà saisi au sujet de la modulation des services il l'avaitdéclaré légale.

La promulgation du décret marque une première défaite pour le mouvement qui secoue les facs depuis près de trois mois. « Ils ont décidé de nous foutre à genoux, de nous casser complètement », soupire une universitaire très engagée dans le conflit. « C'est un passage en force, mais c'est un choix risqué », prévient Stéphane Tassel, nouveau secrétaire général du Snesup. « Moi, ça m'a redonné un coup de fouet ! » confie un juriste, opposant du premier jour au décret.

"Ceux qui ne s'opposent pas à la Lru sont en train de sortir du mouvement"

Pour le gouvernement, le mouvement est en reflux : « Il y a beaucoup moins de sites perturbés qu'il y a trois semaines, analyse l'entourage de Valérie Pécresse. ASaint-Etienne, les cours ont repris alors que ça a été longtempsbloqué, certains cours ont lieu à Paris4 qui était fermé depuis dessemaines. Vingt-cinq universités ont commencé les cours de rattrapage.Ceux qui ne s'opposent pas à la LRU sont en train de sortir du mouvement. »

Combien d'universités sont encore en grève en cette finavril ? Le compte est très difficile à tenir : deux zones sont encoreen vacances, la mobilisation est très localisée, parfois au niveau d'undépartement. Pour Stéphane Tassel, secrétaire-général du Snesup, « à des niveaux différents, toutes les universités sont dans la mobilisation ».

Mercredi matin, François Fillon explique (sur France Inter) : « Ily a encore un mouvement très minoritaire dans l'université. Il étaittrès important il y a quelques mois. Il ne l'est plus aujourd'hui (...)Il faut que ce mouvement s'arrête car il est très minoritaire ». Selon le premier ministre, il n'y aurait plus qu'entre 20 et 25 établissements « affectés par ce mouvement » sur « une centaine »d'universités. Une fois corrigé le nombre de facs –83 en tout et pourtout– les chiffres de Matignon sont plus ou moins confirmés parl'entourage de la ministre de l'enseignement supérieur : « C'est à peu près ça, c'est plutôt entre 15 et 20 » universités touchées par le mouvement. Soit près d'un quart des établissements. « C'est énorme ! »,se réjouit Jean-Louis Fournel, président de Sauvons l'université. Il ya un mois, le ministère recensait une douzaine d'universités en grève.« C'est donc en forte augmentation », ironise Fournel. « Ça a monté mais maintenant c'est en baisse, ça évolue » riposte l'entourage de Valérie Pécresse, « c'est de toute façon beaucoup moins qu'en 2007 », contre la loi sur l'autonomie des universités.

« On ne peut pas s'arrêter »

A en croire Sarah Hatchuel, l'une des porte-parole dela coordination nationale des universités réunissant des délégués desétablissements entièrement ou partiellement en grève, l'intervention deFrançois Fillon a été immédiatement suivie d'une pluie de mailsintitulés « on continue » sur leur liste dediffusion. 51 universités étaient représentées lors de leur dernièreassemblée générale le 6 avril, soit plus du double que les chiffresavancés par le premier ministre mercredi matin.

Combien seront-elles le 29 avril, date de la nouvelle réunion de la coordination ? « Autour de 70 »,espère Sarah Hatchuel, soit autant que lors de leur première assemblée,le 2 février, qui avait déclaré la grève générale à l'université. Selonla coordination, la mobilisation pourrait repartir de plus belle àl'issue des vacances de Pâques : des enseignants signent des pétitionsdemandant à leur président de ne pas faire remonter leur nom auministère pour constituer les jurys de bac –obligatoirement composésd'un universitaire– à Paris4, Grenoble, Aix-en-Provence, Grenoble,Rouen, Caen, Le Havre. Certaines voix du département de sociologie del'université de Perpignan proposent de noter 20 systématiquement toutesles copies d'examen. « On commence même à parler de ne pas reprendre les cours à la rentrée de septembre », ajoute la porte-parole.

Sauvons la recherche va organiser une nouvelle édition de son « Academic pride ». Pour sa présidente, Isabelle This, « iln'y a aucun soutien à Valérie Pécresse dans la communautéuniversitaire. Les manifestations ont réuni 100.000 personnes, toutesles grandes personnalités scientifiques ont dénoncé la modulation deservice et la masterisation de la formation des enseignants ». La pétition de soutien aux réformes de Valérie Pécresse a recueilli... 323 signatures, selon le décompte tenu par Alain Herreman, membre du collectif Maths Rennes 1. Un autre, juriste en pointe dans le mouvement, explique : « Jevais continuer à me battre. Passer ce décret en pleines vacances, c'estune provocation. Ça va tendre le conflit, le radicaliser encore plus ».Mardi après midi devant le conseil d'Etat, la ronde des obstinés quitournent depuis des semaines pour exiger le retrait du décret a réuniplusieurs centaines de personnes.

Depuis le départ, l'ampleur de la grève et de lamobilisation dans les universités est difficile à suivre. En dépit deleur engagement dans le mouvement, les syndicats traditionnels et lescollectifs plus récents Sauvons la recherche et Sauvons l'universitén'en n'ont été ni les meneurs ni les initiateurs. Ce sont descollectifs locaux, UFR par UFR, discipline par discipline, qui sontentrés les uns après les autres dans la contestation, tissantprogressivement un réseau militant inédit. Sans porte-parole identifié,sans leader personnalisé.

Ronde des obstinés, « grève active »,rétention des notes : les formes d'action choisies échappent aurépertoire classique d'actions et aux habituels instruments de mesure.Mais elles offrent aussi des possibilités de poursuite d'actionscompatibles avec un retour progressif « à la normale » et à la tenuedes examens de fin d'année. Pour Sarah Hatchuel, porte-parole de laCoordination : « On ne peut pas s'arrêter. Si on s'arrête, c'est la fin de notre métier ».