Essai
Nouvelle parution
Th. Franck, Dictature et Prolétariat. De l'autocratie tsariste au dirigisme bolchevique

Th. Franck, Dictature et Prolétariat. De l'autocratie tsariste au dirigisme bolchevique

Publié le par Université de Lausanne (Source : Thomas Franck)

Thomas Franck, 

Dictature et Prolétariat. De l'autocratie tsariste au dirigisme bolchevique,

Liège, MNEMA Editions, coll. "Les Cahiers du CPTM", n°1, 2020.

EAN13 : 9782960145038 — 181 p.

 

Bien qu’hétérogène, contradictoire et plurielle, l’URSS léninienne et stalinienne est une société répressive et autoritaire. Souvent aux antipodes des textes et des penseurs dont il se revendique, le pouvoir incarné par le parti bolchevique puis par le PCUS et par son Comité central tend avant toute chose à privilégier sa conservation et sa pérennisation, non l’instauration d’une société sans distinction de classe, révolutionnaire et émancipée du productivisme économique. Dans le même temps se développent au sein de la société soviétique des discours originaux entrant en contradiction avec ceux du pouvoir et permettant de nuancer l’idée d’une Union soviétique monolithique et complètement acquise aux causes bolcheviques. Ces contradictions, si elles sont perceptibles dans les pratiques dictatoriales des autorités, sont aussi au cœur des différents discours qu’elles produisent et qu’elles provoquent. La singularité des événements auxquels les bolcheviks sont confrontés durant les décennies postérieures à leur prise de pouvoir est bien réelle : révolution dans un pays économiquement arriéré, guerre civile, communisme de guerre, anarchisme paysan, NEP, plans quinquennaux, guerres mondiales, guerre froide, etc.

Ces contextes obligent à repenser l’idéologie marxiste-léniniste à l’aune de ses conjonctures plurielles et à la concevoir comme potentielle mythification collective au nom d’intérêts politiques. En tant que matérialisme historique proclamé, cette idéologie oblige à interroger les événements (entendus comme réalités matérielles et historiques) se revendiquant de son héritage, malgré l’effectivité de nombreuses divergences entre le discours et la réalisation.
 
Le titre de l’ouvrage, Dictature et Prolétariat, mérite quelques clarifications. La violence mise en place par les bolcheviks a souvent été motivée par la notion théorisée par Marx de dictature du prolétariat. Selon celui-ci, la révolution orchestrée par le mouvement ouvrier devait renverser la domination de la bourgeoisie en une domination du prolétariat. Toutefois, cette domination devait être temporaire et le degré de violence devait dépendre du contexte social, c’est-à-dire de l’état des rapports entre les différentes classes en lutte pour le pouvoir.

La dictature du prolétariat ne signifiait donc pas directement l’instauration arbitraire d’une violence étatique durable par un petit nombre de dirigeants mais plutôt l’auto-organisation provisoire d’un pouvoir à majorité ouvrière. Plusieurs commentateurs ont montré en quoi le pouvoir bolchevique, plutôt que d’instaurer une forme de dictature du prolétariat, avait mis en œuvre une dictature sur le prolétariat. Outre les torsions de la notion marxienne de dictature du prolétariat, l’aliénation d’une partie non négligeable de la classe ouvrière, et surtout de la paysannerie, ainsi que la répression des révolutionnaires non bolcheviques qui s’instaurent dès le lendemain de la révolution justifient la qualification du régime soviétique comme « dictature sur le prolétariat ». Mais dans le même temps, ce sont le plus souvent des contextes hautement criminogènes qui amènent les bolcheviks à développer des formes radicales de violence au nom du prolétariat, justifiant ainsi l’utilisation de la notion de Marx. Bien qu'une partie de la classe ouvrière acquière un certain pouvoir politique, son pouvoir économique n’en reste pas moins aliéné à des exigences de production et de rentabilité intenables.

Ce travail tente donc de comprendre en quoi les pratiques bolcheviques sont tantôt l’expression d’une dictature du prolétariat répondant à la domination dont cette classe est l’objet, tantôt l’instauration arbitraire et autoritaire d’une dictature sur le prolétariat justifiée par une idéologie consciemment détournée à des fins politiques.