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Scénographies de la pseudo-traduction

Scénographies de la pseudo-traduction

Publié le par Matthieu Vernet (Source : David Martens)

Scénographies de la pseudo-traduction - de Guilleragues à Makine

Vendredi 4 novembre 2011

 Faculty Club (Salle Sint Gommarius), Groot Begijnhof 14, 3000 Leuven

http://www.facultyclub.be/fr

 

Avec le soutien du FWO (Fondation de la Recherche Scientifique flamande) et des unités de recherches

« Relations littéraires et Identités (post-)nationales » et « Littérature et Culture » de l’Université de Leuven.

 

Argumentaire

En raison de la pratique dont elles ressortissent, les pseudo-traductions occupent au sein de l’institution littéraire une position marginale surdéterminée. Déviante au regard d’une norme dont elle mime certains attendus, la mystification semble minoritaire par principe, n’ayant jamais été reconnue comme genre à part entière. Ce caractère mineur se révèle plus prononcé encore lorsque ces textes se fondent sur un simulacre de traductions, c’est-à-dire se donnent à appréhender comme relevant d’une pratique traditionnellement tenue pour ancillaire par rapport à l’être-œuvre de l’œuvre et à la qualité d’original qui lui est associée. Enfin, quantitativement rares dans l’histoire littéraire, ces textes sont a fortiori minoritaires au sein du corpus de textes constitué par les traductions.

Pour autant, bien que peu étudiées jusqu’à présent, les pseudo-traductions ne concernent cependant pas un domaine sectoriel et secondaire de la production littéraire, pas plus que de la traduction. Leur valeur d’exception semble en effet susceptible de revêtir un pouvoir révélateur, tant en ce qui concerne l’étude des stratégies mises en œuvre par les écrivains pour légitimer certains de leurs textes sur la scène publique, que sur le plan de la théorie et de l’histoire de la traduction. En étudiant cet « infra-genre » littéraire méconnu dans son contexte français, le présent projet de recherche s’assigne en conséquence un double objectif. Il s’agira de conduire une interrogation conjointe sur les enjeux théoriques et historiques soulevés par ce type de textes et, ce faisant, d’examiner entre autres les stratégies de légitimation mises en scène dans les paratextes qui, de par leur enjeu à la fois poétique et éthique, nous aident à mieux comprendre l’état du champ littéraire français à une époque déterminée.

Si la traductologie s’est principalement développée à travers l’étude de « véritables » traductions, les questions que suscitent les pseudo-traductions touchent au cœur de certains enjeux déterminants de la pratique d’écriture à laquelle elles feignent d’appartenir (voir à ce sujet e.a. G. Toury). C’est pour ainsi dire le simulacre en fonction duquel ce type d‘écrits se donne à lire qui permet de mettre en question les éléments de scénographie sur lesquels ils se fondent. A l’imitation des traductions, ils sont ainsi caractérisés par l’instauration d’un rapport – feint – entre  un original prétendument sous-jacent et un texte qui se présente  comme sa traduction  dans une autre langue. Les pseudo-traductions invitent à ce titre à une interrogation concertée sur cette configuration textuelle spécifique que constitue la traduction, ainsi que sur ses usages dans le cadre de scénographies légitimantes. Comment, en effet, rendre compte du recours à de telles scénographies à un moment particulier de l’histoire littéraire (et culturelle) française ? Quels peuvent en être les bénéfices sur le plan d’une économie des biens symboliques pour les écrivains qui y ont recours ?

Statutairement, les pseudo-traductions sont susceptibles de jouer sur deux tableaux, suivant qu’elles se mettent au service de l’imposture ou qu’elles ouvrent la voie à la feintise ludique partagée (Schaeffer). Les enjeux qui président à l’adoption et à la mise en œuvre de ce type de stratégies sont susceptibles de varier, selon les époques et les circonstances spécifiques, ainsi qu’en fonction des desseins des auteurs. Jouant d’un dispositif mystificateur, elles peuvent avoir pour vocation d’effectivement donner à lire un livre pour ce qu’il n’est pas : la traduction d’un original écrit en langue étrangère (en raison de motifs sécuritaires, de bienséance ou de mise en valeur du propos par l’attrait d’une forme de différence culturelle). Dans le même temps, elles peuvent constituer un « jeu » littéraire d’apparence frivole, procédant d’une tradition qui, pour mineure qu’elle soit, n’en est pas moins dotée de ses temps forts et de certains topoï. Dans ce cas, se faisant d’abord passer pour ce qu’ils ne sont pas à travers la mise en œuvre factice des caractéristiques formelles de la traduction, ces textes ne dévoilent leur nature d’originaux que dans un second temps.

Lorsqu’ils ont vocation ludique, fondés sur un renversement de leur statut, ces textes démontrent en actes le caractère codé – c’est-à-dire imitable et donc falsifiable – de la traduction, et invitent ainsi à questionner les attendus et les présupposés qui régissent ces modes de fonctionnement. Ils mettent dès lors en question, sur le mode parodique, les fondements du type de textes auquel ils feignent d’appartenir – la traduction – et, partant, l’ensemble des paramètres en fonction desquels se construisent les scénographies factices par lesquels ils se sont, dans un premier temps au moins, donnés à lire.

Dans la mesure où ces pseudo-traductions se présentent comme écrites par un Autre, appartenant à une culture exogène, ils engagent de façon particulière la mise en scène de traits, le plus souvent stéréotypés, relatifs aux altérités culturelles et linguistiques mises en scène. En témoignent les pseudo-traductions de l’anglais au XVIIIe siècle, qui étaient censées répondre aux goûts anglomanes du public français, ou encore les circonstances de publication des deux premiers romans d’Andreï Makine La fille d’un héros de l’Union soviétique (1990) et Confession d’un porte drapeau déchu (1992), présentés comme des traductions du russe afin d’intéresser davantage le public. Est alors évoquée la question de la feintise culturelle des pseudo-traductions, en ce qu’elles s’attribuent une altérité culturelle qui n’est pas authentique, mais résulte par contre d’une re-présentation, voire d’une construction de cet Autre. Il devient alors également intéressant d’examiner, d’une part, comment cette imposture culturelle participe du discours paratextuel et, d’autre part, si elle trouve des échos dans d’éventuelles images culturelles sur le plan diégétique.  

 Si par son retentissement, la plus notoire des fausses traductions de l’histoire littéraire moderne en Occident reste sans conteste le corpus poétique ossianique publié par James MacPherson durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, des Lettres d’une religieuse portugaise attribuées à Guilleragues au Romain Gary des Têtes de Stéphanie (1974) en passant par l’exemple devenu classique des Lettres persanes de Montesquieu (1721) et Cleveland de L’abbé Prévost (1731), le Mérimée du Théâtre de Clara Gazul (1825) et de la Guzla (1827), la Judith Gautier du Livre de Jade ( 1867), le Pierre Louÿs des Chansons de Bilitis (1894) et les romans noirs pour l’un, coquins pour l’autre, publiés par Boris Vian et Raymond Queneau sous les noms, respectivement, de Vernon Sullivan (1946) et de Sally Mara (1947), la modernité littéraire française est loin de faire pâle figure au sein de cette tradition. En conséquence, le corpus de cette rencontre est déterminé en fonction de la longue durée (du XVIe au XXIe siècle), mais restreint à un champ linguistiquement déterminé : la littérature de langue française.

 

Programme

 

8.30 – 9.00 :

Accueil (salle Cousture – Faculty Club)

9.00 – 10.15 :

David Martens et Beatrijs Vanacker (KULeuven): Introduction générale

Martial Martin (Université de Reims): « Pseudo-traduction et libelles diffamatoires »

 

10.30 – 12.30 :

Shelly Charles (CNRS – Paris IV) : « Qu’est-ce que la pseudo-traduction au XVIIIe siècle ? »

Nathalie Ferrand (CNRS – Université d’Oxford) : « Pseudo-traductions du français en italien au XVIIIe siècle: étude de cas »

 

12.30 – 13.30 : Déjeuner

 

13.30 – 15.00 :

Sylvain Ledda (Université de Nantes): « Avatars de la pseudo-traduction : Mérimée et Musset »

David Martens (KULeuven): « Le passage à l’imprimé. Sur un topos de la pseudo-traduction (XIXe et XXe siècles) »

 

15.30 – 17.00 : 

Lieven D’hulst & Marie-Claide Merrigan (KULeuven): « Question de frontières : entre traduction et pseudo-traduction »

Katrien Lievois (Artesis University College, Anvers): « Pseudo-traduction et légitimité en tant qu’écrivain francophone : Andreï Makine »

 

17.00 – 17.30 : Conclusions

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Les collègues qui souhaitent participer à la journée d’études (repas inclus) en auditeurs libres sont priés de s’inscrire par courriel (beatrijs.vanacker@arts.kuleuven.be ou david.martens@arts.kuleuven.be) avant le 25 octobre 2011.