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Entrée/Sortie (revue Cinétrens n° 4)

Entrée/Sortie (revue Cinétrens n° 4)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Revue Cinétrens)

« Entre le dehors et le dedans, la surface de contact – membrane, pellicule, peau, etc. – est le lieu des échanges, des ajustements, des signaux sensibles, mais aussi celui des conflits et des blessures. Les appuis réciproques sont aussi des transitions : ma peau déjà, appartient au dehors, mais l’horizon que je domine du regard, l’espace où je me meus sont miens en quelque manière. Le dehors m’enserre mais je m’approprie mes alentours. »

Jean Starobinski, Le Remède dans le mal, Gallimard, coll. NRF Essais, 1989, p. 275.

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Il est d’usage de reconnaître la conjonction historique entre l’invention technique du cinématographe et celle de la méthode psychanalytique. Si la première offrait au spectateur la projection du regard et la reproduction de la réalité extérieure, la seconde, investie d’une même mission d’exploration, entreprit le voyage du dedans. Mouvements inverses ou complémentaires, s’évitant respectueusement pendant la première moitié du XXe siècle avant de progressivement dépendre l’un de l’autre, psychanalyse et cinéma ont eu comme rôle de façonner les nouveaux chemins du saisissement du sujet, dans un double geste d’entrée et de sortie.

Premier outil de la médiation moderne du soi et du monde, le cinéma (et les arts depuis l’époque du cinéma) ne vise pas seulement à rendre compte de la séparation (progressiste ou nostalgique) de l’homme avec la Nature, comme le proposait une certaine tradition de la perspective en peinture ou de la confession en littérature : en s’attachant au problème central de l’écoulement et de la fuite du mouvement (du temps vécu, des images, de l’histoire, du sujet…), elle affirme déjà comme incontournable la problématique qui allait hanter l’époque jusqu’au début du XXIe siècle politique, culturel, artistique, économique ou sociologique : dedans ou dehors ?

Ce nouveau numéro de Cinétrens cherche ainsi à dresser un examen de ce double mouvement d’apparition et disparition, de saisissement et abandon, qui a su produire ce « lieu des échanges », qui est aussi celui « des conflits et des blessures », et qui a pour nom : Cinéma. Ce motif entrée-sortie peut être interrogé de trois manières :

– Comment les techniques et les effets du cinéma ont su se constituer comme membrane et comme frontière de la subjectivité, du savoir et de la représentation ;

– Comment le cinéma s’est donné la tache de figurer, décrire et reproduire les transformations et secrétions du corps jusqu’à mettre sur un même plan les interactions du corps intime et celles du corps social et politique ;  

– Comment le dispositif cinématographique s’est construit autour de la réception de l’image par un spectateur favorisant un jeu d’adhésion, de croyance mais également de fascination.

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Frontières du savoir et mise-en-scène

Jean Starobinski décèle, dans la littérature des Lumières, une dialectique fondatrice et symptomatique des savoirs humains qu’il situe entre le dedans et le dehors, entre l’homme civilisé et le barbare ; cet entre-deux, ce trajet entre l’intérieur et l’extérieur, rendrait possible le saisissement de soi-même et de sa propre humanité.  En poursuivant de front le développement aussi bien scientifique qu’artistique qui arracherait  l’homme de ses racines « barbares » (en un mot : animales), le cinéma viendrait ainsi constituer, comme le résume Giorgio Agamben, une « machine anthropologique », cette production de la frontière séparant l’homme de l’animal, le premier utilisant l’autre dans l’affirmation et la définition de son être.

Il semble en effet que la projection du regard offerte par la technique du cinématographe s’est donnée comme mission la mise en image de cette dialectique. Alexandre Astruc définissait la mise en scène comme ce « moyen de prolonger les élans de l’âme dans les mouvements du corps. » Maurice Merleau-Ponty interrogeait quant à lui la capacité du cinéma à montrer « la pensée dans les gestes, la personne dans la conduite, l’âme dans le corps. » Le cinéma se serait alors entièrement construit autour de ce mouvement d’entrée et de sortie des corps où la manifestation physique (ombres portées, fragmentations des membres, peaux brulées) marquerait notre intériorité la plus intime et – partant – notre humanité.

Une toute autre approche pourrait cependant retrouver dans la technique imaginaire du cinéma le moyen d’un retour vers une forme pré-consciente, a-raisonnable, de l’intelligence humaine. De Pier Paolo Pasolini affirmant que « l’instrument linguistique sur lequel se fonde le cinéma est de type irrationnel » et proposant une anthropologie du cinéma fondé sur le caractère prélogique de l’image animée aux surréalistes et leur préférence pour le matériau inconscient, une autre histoire du cinéma lui donnerait pour origine le ravaudage de la frontière qui sépare l’homme « culturel » de l’homme « barbare ».

Nous voudrions ainsi interroger aussi bien ces moments où le cinéma, technique d’expression de la réalité extérieure, a produit les images constitutives de notre intériorité, que d’autres qui mettent en œuvre au contraire son éparpillement et sa constellation. De la dialectique de la connaissance permise par les comparaisons de ces images aux mises en scènes politiques et anthropologiques d’un tel spectacle, nous souhaiterions mettre en lumière la rencontre de différents « genres » (cinéma anthropologique, cinéma postcolonial, cinéma du trauma mais aussi séquences de rêves ou de « déshumanisation » dans des fictions classiques) avec leurs altérités cinématographiques.

Secrétions : corps humains, corps politiques

Nouvelle « surface de contact » de nos corps contemporains, le cinéma redouble d’attention face à leurs sécrétions (langagières, gestuelles, humorales et d’autres encore tout aussi politiques) tant sur le plan symptomale que symbolique et figuratif. Une généalogie parmi d’autres d’une telle « théorie des humeurs » cinématographique remonterait par exemple aux actions filmées des viennois Günter Brus, Otto Müehl ou Hermann Nitsch qui ont élu matériau de prédilection l’ensemble des liquides organiques dans leur écoulement et dont l’Orgien-Mysterien Theater – qui n’est que sang, viscères ou déjections – semble être l’aboutissement. Selon une autre approche, celle du cinéaste théoricien Jean Epstein, le ralenti cinématographique correspondrait au moyen le plus à même de permettre l’expérience de la matière pure, de son état visqueux à ses états liquides, différents états de matière que semble reprendre, sous une forme plus radicale encore, le poète lettriste Isidor Isou dans son Traité de bave et d’éternité, où la bave correspond à la fois à l’ensemble du corps qui s’écoule et à l’image établie, le son lui-même étant qualifié de « baveux ».

Cet intérêt scientifique pour les secrétions ordinaires, redoublé par la manie scrutatrice des grands mouvements molaires des foules et des peuples (que l’on songe au torrent des travailleurs à la « sortie des usines Lumière », dans les villes soviétiques des années 1920, ou aux tragiques goutte-à-goutte migratoires des récents Fuoccoamare ou Jupiter’s Moon) fait du cinéma le plus fidèle analyste de nos « lieux de blessures », rafistolages et collures maladroites de nos systèmes immunitaires et politiques. Cinéma de murs ou de portes monumentales, de la grande ouverture d’Intolerance à la clôture « No Trespassing » de Kane, il peut être parfois trouée, excavation, investigue nos brèches et nos portes de sortie, d’Out 1 à Un chant d’amour.

En reprenant le modèle de sa frange expérimentale – l’abandon des « jeux du signifiants et des structures » (Dominique Noguez), l’attention particulière à l’expérience de nos intensités – le cinéma a su établir une économie d’équivalences entre le symptôme corporel et le symbole politique. Le prisme du corps, surface d’entrée et de sortie de flux et de fluides, a l’objectif d’interroger les moments de désir et de matière pure dont le cinéma s’est fait le témoin, nous révélant à nous même la construction toujours complexe de la cohabitation d’un corps avec son milieu.

Entrée et sortie du spectateur

Comme le note encore Starobinski, relevant le coup de génie freudien, l’aptitude d’un corps à l’auto-inhibition de sa membrane, au refus de l’accès, à la fermeture de la douane, est l’acte subjectivant par excellence, celui qui donne accès au pouvoir créateur et symbolique qui diffère la nature pour instaurer le pouvoir de dire « non ». Les lieux principaux de cette inhibition sont les organes orificiels, que représente et auxquels s’adresse en particulier le cinéma, à la fois en tant que genre artistique codifié et en tant qu’expérience sensorielle. Du tragique au mélodramatique, du sensationnel au pornographique, le cinéma repose les questions de la participation corporelle du spectateur au spectacle et à la fiction, établit un nouveau rapport de celui-ci à l’adhésion ou au refus des images qu’il peut ou veut supporter.

Cette participation corporelle est par exemple complètement redéfinie par l’installation Corps étranger de Mona Hatoum (1994), association de vidéos captées par une caméra endoscopique que l’artiste place tour à tour dans l’ensemble de ses orifices. Les frontières entre corps filmé et spectateur sont ici redéfinies sous l’angle paradoxal d’une hyper-intimité et d’une désindividualisation médicale ; l’orifice, par cette médiation technologique, devient barrière poreuse entre intérieur et extérieur.

Selon une approche encore différente, le dialogue toujours plus resserré entre le cinéma et les sciences cognitives, en parallèle avec les aboutissements technologiques et la commercialisation des nouveaux modes de visualisation (casques de réalité virtuelle, écrans IMAX), tendent à modéliser la relation entre le cerveau et l’image comme un ensemble de connexions, de câblages, de signaux nerveux plus ou moins branchés, plus ou moins reliés. La participation spectatorielle ayant été, au cours du XXe, le fondement de la psychologie du sujet percevant, il est légitime de se poser aujourd’hui la question, à l’heure de la doxa de l’immersion aux flux virtuels des images, des différentes modalités d’entrée et de sortie, de contact et de distance, entre la conscience qui reçoit les images et la multiplicité de dispositif qui les produit. 

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Sans se limiter aux approches biologique, technique, fictionnelle ou politique suggérés par ce texte, nous accueillerons toute contribution, textuelle ou visuelle, scientifique ou artistique, qui chercherait à penser comment le cinéma se manifeste comme interface de transition ou d’opposition entre deux états, deux lieux, deux stades, deux vitesses ou deux mondes. En fin de compte, nous demandons : qu’est-ce qui, au cinéma, constitue un passage, un guide ou un transfert ? Qu’y a-t-il dans le cinéma qui repose la question de l’initiation, de l’exploration, de la pénétration ou au contraire de la rédemption et de la déprise, du repli, de la relâche ou de la débâcle ? Input contre Cinexit ?

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Notes aux contributeurs

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