Essai
Nouvelle parution
R. Esposito, Communauté, immunité, biopolitique. Repenser les termes de la politique

R. Esposito, Communauté, immunité, biopolitique. Repenser les termes de la politique

Publié le par Marc Escola

Communauté, immunité, biopolitique - Repenser les termes de la politique
Roberto Esposito

Bernard Chamayou (Traducteur), Frédéric Neyrat (Préfacier)

Paru le : 03/03/2010
Editeur : Prairies Ordinaires (Les)
Collection : Penser/croiser
ISBN : 978-2-350-96023-4
EAN : 9782350960234
Nb. de pages : 246 pages

Prix éditeur : 15,00€


De l'impact des biotechnologies sur le corps humain à l'omniprésence de la sécurité dans les programmes de gouvernement ; des guerres dites " préventives " à la centralité de la question sanitaire comme indice privilégié du système économico-productif, innombrables sont aujourd'hui les symptômes qui témoignent d'une obsession létale pour l'immunisation.

Ce paradigme immunitaire est, selon Roberto Esposito, celui qui définit le mieux notre monde globalisé, lequel s'apparente de plus en plus à une bulle protégée de tout dérèglement susceptible de surgir de l'" extérieur ". Car Roberto Esposito insiste sur ce point : l'immunisation est le mouvement funeste par lequel le vivant, voulant se protéger de lui-même, transforme la biopolitique en gestion normative s'appliquant sur la vie.

Et ceci s'expliquerait par une condition nécessairement partagée par tous : celle de la communauté. Celle-ci en effet ne désigne pas un groupement humain fermé sur lui-même et partageant un " intérêt " commun, une identité stable et transparente à elle-même. Elle suppose au contraire une instabilité originaire : ce que nous, tous les êtres humains, avons en commun (cum), n'est rien d'autre qu'un don à faire (munus), soit une exposition permanente à autrui.

Et c'est pour stabiliser ce processus sans fond, sans garantie, de la vie, que les régimes politiques modernes (depuis le léviathan jusqu'au néolibéralisme actuel, en passant par le nazisme) ont mis en place des systèmes d'immunisation dont l'efficacité tend à se retourner contre les populations. Conjurer cette thanatopolitique est la principale ambition de ce livre

Sommaire:

LA LOI DE LA COMMUNAUTE
MELANCOLIE ET COMMUNAUTE
COMMUNAUTE ET NIHILISME
DEMOCRATIE IMMUNITAIRE
LIBERTE ET IMMUNITE
IMMUNISATION ET VIOLENCE
BIOPOLITIQUE ET PHILOSOPHIE
LE NAZISME ET NOUS
POLITIQUE ET NATURE HUMAINE

L'auteur:

Roberto Esposito est professeur de philosophie à l'Istituto Italiano di Scienze Umane.
Deux de ses livres ont été traduits en français : Catégories de l'impolitique et Communitas.


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"Communauté, immunité, biopolitique", de Roberto Esposito : protéger et punir LE MONDE | 13.04.10 |

La récente pandémie de grippe A(H1N1) pose une question : comment décrire les 93 % de Français qui ne sont pas allés se faire vacciner ? Que signifie ce refus, alors que l'Etat avait acheté 95 millions de doses pour immuniser la population contre un virus potentiellement catastrophique ? Peut-on penser une communauté négative, fondée sur le refus de se plier aux normes ?

 

35326566343963613461326136336430 Le philosophe italien Roberto Esposito mène depuis dix ans une réflexion fondamentale sur ce type de question. A la suite de Michel Foucault, dans un ouvrage sous-titré de façon significative Repenser les termes de la politique, il se demande comment les "biopolitiques", c'est-à-dire l'ensemble des normes qui portent sur la vie, peuvent prendre en compte la possibilité de la mort. Il forge le terme de "thanatopolitique" pour décrire ce passage à la limite des politiques de la vie, allant parfois, comme chez les médecins des camps nazis, jusqu'à produire la mort.

 

Si le communisme a voulu réaliser l'idée de démocratie, le nazisme a montré les dimensions nihilistes des politiques de la vie. D'où la nécessité de repenser la communauté après la fin du communisme dans le cadre d'une nouvelle biopolitique. En revenant aux philosophies politiques classiques, Esposito montre que la communauté a longtemps été pensée comme ce qu'il fallait protéger contre un ennemi extérieur, à travers la métaphore de l'immunité comme relation entre le soi et le non-soi, entre un corps propre et un environnement dangereux, reprise par la biologie moderne.

Mais les avancées des sciences naturelles et sociales ont montré que le corps ne se défendait contre rien d'autre que lui-même : le système immunitaire préexiste à la rencontre avec les pathogènes, et peut se retourner vers soi dans un mouvement d'"auto-immunité". Cette mutation de l'immunité est devenue éclatante depuis les "guerres contre le terrorisme", mêlant le biologique et le militaire, qui se multiplient sous des formes diverses depuis le 11 septembre 2001.

L'effort de Roberto Esposito vise à repenser la communauté dans le cadre de cette nouvelle définition de l'immunité. Il faut assumer que la communauté ne se fonde pas sur le partage de quelque chose qui lui serait propre et qu'il faudrait défendre. Reprenant des philosophes du XXe siècle (Heidegger, Bataille, Gehlen, Sartre, Arendt), il affirme que la communauté se constitue sur un manque originaire.

Il rappelle que la racine étymologique de la communauté et de l'immunité est le munus : l'offrande, le don à l'autre. Si le travail de l'Etat souverain est de représenter ce manque comme un mal en immunisant la communauté, le travail du philosophe, selon Esposito, est de radicaliser les potentialités critiques de ce manque en pensant la communauté contre l'immunité - à la fois dans le refus de la biopolitique et au plus près de ce paradigme immunitaire que l'Etat considère comme un simple outil de gestion.

Ce livre réussit une alliance du diagnostic de l'actualité et de la philosophie. Mais en opposant ainsi l'Etat et la communauté, il risque de laisser de côté les acteurs intermédiaires qui ont intérêt à laisser le paradigme immunitaire prospérer dans ses ambiguïtés (professions médicales, industries pharmaceutiques) et qui peuvent s'opposer entre eux. Pour décrire ces conflits, il faudrait passer de la communauté à la société.

COMMUNAUTÉ, IMMUNITÉ, BIOPOLITIQUE de Roberto Esposito. Les Prairies ordinaires, 250 p., 15 €.
Frédéric KeckArticle paru dans l'édition du 14.04.10