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"Pour saluer Jacques Drillon", par P. Assouline

Publié le par Université de Lausanne

Pour saluer Jacques Drillon

par Pierre Assouline, sur larepubliquedeslivres.com le 25 décembre 2021

Elégant jusqu’à bout, Jacques Drillon, qui vient de nous quitter à 67 ans la nuit de Noël. Jusqu’à la toute fin. Le 21 septembre dernier, avec quelques autres, je recevais de lui ce courriel:

«Chers tous,

Pardonnez ma brutalité : j’ai une sale tumeur au cerveau. Autant vous dire que mon avenir, même proche, n’est pas brillant. Nous allons essayer de ne pas le rendre trop lamentable. Plus grand chose ne marche, et tout va s’arrêter prochainement. La pensée d’abord, puis la vie.

Prenez de mes nouvelles auprès de ma femme (mxxxx)

Je vous embrasse,

Jacques »

Il fallait garder le secret par respect pour sa volonté de discrétion, sa pudeur. Le laisser faire ses adieux à sa façon le 1 er octobre, sur le site de la République des livres où je lui avais bien naturellement et bien amicalement offert l’asile poétique à sa demande. Le dernier de ses fameux « Petits papiers », respiration hebdomadaire aussi précieuse à leurs lecteurs que ceux de Félix Fénéon ou de Georges Perros, contenait notamment cet adieu crypté :

(Fin)

La vie, où tout est décalé, en quinconce.

Puis le silence. Qui nous ramène, comme lui l’éprouvait, non à la mélancolie mais plutôt au cafard et à la nostalgie. J’ignore s’il était « notre Mozart » comme l’écrit Jérôme Garcin dans le beau Tombeau qu’il consacre à celui qui fit étinceler les colonnes du Nouvel Observateur durant une trentaine d’années par son humour, sa jovialité, son érudition, sa virtuosité et l’éclectisme d’une curiosité que l’on pouvait croire véritablement illimitée non seulement dans bien des domaines aussi éloignés les uns des autres tels que la musique, les mots croisés, la traduction ou le cinéma, mais au sein même, au plus profond et au plus obscur de chacun d’eux, brillant sans la ramener qu’il s’agisse des transcriptions de Liszt ou de la forêt de Compiègne. Du sérieux dans la bouche et sous la plume d’un grand lecteur qui ne se prenait pas au sérieux car son espièglerie était toujours en alerte : il n’y avait que lui, à Noël 2008, pour suggérer de déposer sous le sapin comme livre à offrir à ses ennemis, le rapport de la HALDE ou Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité où l’on s’insurgeait que des manuels scolaires utilisent « Mignonne, allons voir si la rose… » au motif que le poème de Ronsard « véhicule une image somme toute négative des seniors » ! […]

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