Essai
Nouvelle parution
P. Cloux, Chez Temporel. Célébration d'André Hardellet

P. Cloux, Chez Temporel. Célébration d'André Hardellet

Publié le par Marc Escola

Patrick Cloux, 

Chez Temporel. Célébration d'André Hardellet

Le Temps qu'il fait, 2021

168 p. — ISBN 978.2.86853.664.8 — 18,00 €

André, le sédentaire toujours en vadrouille, lâche en douce, comme au turf devant les couloirs à chevaux, quelques rares bons tuyaux, il entrouvre sans arrêt des voies de traverse. Il résiste, n’a toujours pas envie d’être anesthésié par le positivisme commercial et mondain. Rêveur étoilé et ardent chroniqueur, il va son chemin, poursuit à son rythme son parcours sous le vent. Certains jours, il avance en roue libre, cycliste légèrement amoché. Mais on doit s’en convaincre, il roule plutôt bien, chevauchant les trottoirs avec vingt ans d’avance. À contre-sens, comme aiment à le faire les gosses.»
Plus qu’un hommage, c’est bien d’une célébration qu’il s’agit. Car André Hardellet (1911-1974) est, pour l’auteur, un phare, un saint patron, un modèle et, plus que tout, un ami. Petit maître pour les uns, écrivain modeste pour d’autres, ce promeneur mélancolique a marqué pour toujours ses amateurs par sa «prose ouverte, savante, mais aussi sensuelle, subtile, rigolarde et populaire. Sa prose inquiète et visionnaire, dotée du petit matériel indispensable de l’humour en ruine.» Patrick Cloux, en chef de file de la société (secrète et fraternelle) de ses lecteurs, entend faire découvrir son œuvre providentielle et paradoxalement cachée, et lui rallier quelques inconditionnels supplémentaires. «Donnez-moi le temps» implorait un titre d’Hardellet ! C’est ce que fait ici le bel essai d’un admirateur enthousiaste et reconnaissant.

Patrick Cloux, né en Auvergne en 1952 sous le signe de la balance, pousse devant lui depuis ce jour d’octobre un signe d’indétermination chronique. Après des études de philosophie, il devient un temps employé de librairie, puis travaille dans l’édition, en nomade professionnel. Retiré en 2013 à la campagne, il y cultive son jardin, au propre comme au figuré. Son œuvre littéraire, presque exclusivement composée de «chroniques», vise à établir les liens qui unissent les cultures savantes à leurs ancrages populaires. Parmi ses livres : Dans l’amitié du Merveilleux, Marcher à l’estime, Le grand ordinaire, Mon libraire, sa vie son œuvre (Le temps qu’il fait), Un domaine sous le vent (La Table ronde), Un vin de paille (Stock), Lumières d’Égée, L’odeur des platanes (Éditions du Miroir), Au grand comptoir des Halles et Durer encore (Actes Sud).

Extrait

Le hasard traversait l’âme ensommeillée d’André Hardellet en clef des songes contemporains. Il fut le moins mondain de tous les écrivains donnés comme mineurs. Il ne jouait pas à découvert. Lassé par nos derniers investissements, ce maquillage des brèmes, cette façon branchée de se secouer socialement, lui, en vrai timide aux largesses inspirées, fonça droit devant dans les vitres. Comme une hirondelle saturée de ciel clair se trompe d’entrée. Puis il se reprit. Ce fut un oiseau blanc, noir, en tous les cas blessé; l’âme ailée d’un quartier. Le gars à qui on fait d’emblée crédit. Vous savez bien ce type discret, qu’on connaît tous ici, sans jamais le raccrocher à un nom. Un poète dont on se passe le prénom, en poussant un peu fort la lourde. Dont on retarde le départ à travers les vitres, poussant d’une main les rideaux de percale, pour le suivre des yeux, l’enviant de partir chevaucher les petites heures, la nuit.

(…) C’était un réfractaire dans l’âme, un garçon intuitif et sensible. Proche d’un farfadet de ruisseau, il n’aura d’autre envie que celle de pouvoir atteindre des instants d’intensités soudaines, débouchant sur un bonheur primesautier, librement consenti. D’où la grâce à venir qui lui permettra d’évoquer plus tard de tels instantanés, minutieusement et sans arrêt, tout au long de sa vie. Il n’avait jamais quitté l’ondulation des champs d’orge, approchés sous le vent d’un dimanche. Le plus simple lichen jauni sur le dos d’une statue et le voilà qui retrouve sur le champ les minutes enfuies. Il se chargea très tôt d’une riche matière terrestre. Les amis firent le reste, la ville lui offrant une seconde patrie. Un autre territoire. Des dizaines de contacts. Le début d’une appartenance, celle surtout d’un groupe de copains férus de parutions mineures lui permit d’entrer en poésie. Une sorte de société de poètes à queue-de-pie sautillait avec lui dans les toiles de Signac comme s’ils voletaient dans un cerisier.

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