Édition
Nouvelle parution
M. Lowry, Merci infiniment

M. Lowry, Merci infiniment

Publié le par Marc Escola

Merci infiniment
Malcolm Lowry

Claire Debru (Traducteur)

Paru le : 02/02/2010
Editeur : Allia
ISBN : 978-2-84485-344-8
EAN : 9782844853448
Nb. de pages : 88 pages

Prix éditeur : 6,10€

Après douze ans de travail, Malcolm Lowry soumet la version définitive de son deuxième roman, Au-dessous du volcan, à son éditeur, Jonathan Cape. L'accueil est enthousiaste. Mais l'écrivain reçoit bien vite un courrier lui demandant d'effectuer des coupes drastiques dans son roman. Merci infiniment n'est autre que la très longue lettre que Lowry adressa à son éditeur en guise de réponse. Composée de quarante-cinq feuillets, cette missive nous donne à apprécier différentes facettes de l'écrivain, tour à tour fier, sentencieux et sarcastique, parfois profondément blessé et en proie au doute. Et aussi terriblement de mauvaise foi, Lowry s'y défend corps et âme jusqu'à détourner le texte de ce à quoi il était destiné. Bien plus qu'un simple commentaire, Merci infiniment est un plaidoyer brillant et implacable en faveur du travail de l'écrivain, le cri d'un être qui a voué sa vie à la littérature.

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Dans Libération du 01/04/2010, on pouvait lire cet article:

Mais non, «Au-dessous du volcan» n'est pas nul

Par MATHIEU LINDON

Ce que Allia publie aujourd'hui sous le titre Merci infiniment est une longue lettre datée du 2 janvier 1946 de Cuernavaca, au Mexique, que Malcolm Lowry adresse à son éditeur Jonathan Cape pour le convaincre de publier Au-dessous du volcan sans coupes. L'année précédente, l'écrivain anglais, né en 1908 et mort en 1957, avait reçu un premier rapport de lecture lui laissant espérer la parution imminente de son chef-d'oeuvre. Mais lui arrive ensuite un deuxième, beaucoup moins favorable, et ce texte est destiné à répondre aux reproches de ce second lecteur qui trouve le roman trop long, trop prétentieux, trop compliqué, et ne serait pas contre le transformer en une simple nouvelle ainsi que ce fut le projet de l'auteur, mais neuf ans de travail acharné plus tôt. Cette lettre sera utilisée par Malcolm Lowry pour la préface de la première traduction française du Volcan et elle sera publiée intégralement dans Romans, nouvelles et poèmes (en «Pochothèque») à la suite de la seconde, Jacques Darras y voyant «un document exceptionnel sur l'art du roman, digne des préfaces de Henry James ou de la Correspondance de Gustave Flaubert». On a rarement sous les yeux un texte où un écrivain défend son oeuvre avec autant de précision et d'humour.

Malcolm Lowry répond aux critiques point par point, et pied à pied. Rien ne semble le vexer. S'il évoque «le caractère éventuellement fastidieux du Volcan à son début», c'est pour supposer qu'un lecteur sera mieux disposé quand le manuscrit se présentera sous la forme d'un livre imprimé, et affrontera peut-être plus volontiers des difficultés si des critiques l'ont déjà convaincu de l'intérêt du livre. «Vous me direz, certes mais un grand vin se passe d'une étiquette racoleuse ; à quoi je dois répondre certes mais je parle de mezcal et non de grand vin et dans une cantina, le mezcal n'est jamais servi sans sel ni citron - et si la bouteille n'était pas si alléchante, avec ou sans étiquette, on n'aurait peut-être pas envie d'y goûter.» Ça ne paraît pas non plus gêner Lowry que le rapport de lecture taille ses personnages en pièces. Ils ne sont pas ce qui compte le plus pour lui, loin de là. «Il n'y a tout simplement pas de place pour eux : qu'ils attendent donc un prochain livre, les personnages, même si j'aurai sué sang et eau pour que les plus éminents d'entre eux paraissent justes au degré de lecture le plus superficiel que l'on puisse prêter à ce livre, et j'ose croire qu'aux yeux de certains lecteurs, la construction des personnages semblera tout sauf faible (dites, que faites-vous des lectrices ?).» Les lecteurs sont manifestement pour Lowry dans la même situation que le marché aujourd'hui : ils n'ont pas toujours raison.

Il n'est pas contestable qu'on puisse faire du roman la lecture qu'en fait l'auteur du déplorable rapport de lecture, mais ce n'est certes pas la seule possible. Lowry a une justification convaincante à tous les reproches. Son approche, écrit-il, est «opposée à celle de M. Joyce», il la veut «aussi simplificatrice que possible, et non l'inverse, en regard de ce qui se présentait au départ dans des termes plus ambivalents, complexes et ésotériques». Il expose en fait la machinerie romanesque telle qu'il l'a conçue en un passage que Gilles Deleuze utilisa ensuite. «Le roman peut être abordé comme un simple récit dont on sautera certains passages à son gré, ou comme un récit d'autant plus profitable qu'on ne sautera rien. Il peut aussi être abordé comme une sorte de symphonie, ou encore un opéra - voire un soap opera de cow-boys. C'est une musique syncopée, un poème, une chanson, une tragédie, une comédie, une farce, etc. Il est superficiel, profond, divertissant et ennuyeux selon les goûts. C'est une prophétie, une mise en garde politique, un cryptogramme, un film grotesque et un graffiti sur un mur. On peut même l'envisager comme une sorte de machine : ça marche aussi, vous pouvez me croire, j'en ai fait les frais.»

Le livre n'a pas à se soumettre à des lecteurs virtuels, ce sont les lecteurs qui doivent accepter le livre tel qu'il est. Lowry appelle la Kabbale à son secours, détaille la structure de son texte, fait preuve d'une sorte d'érudition détachée qui lui sert à se prémunir contre l'accusation de prétention. «Car toutes ces ramifications, ces significations obscures et ces noirceurs n'ont rien d'évident, et c'est seulement s'il suit son instinct ou sa curiosité que le lecteur verra leurs têtes démoniaques émerger de l'abîme ou fondre du ciel, à condition de prendre la peine de les invoquer. Mais ne suivrait-il aucune impulsion du tout que de nouveaux sens lui apparaîtraient certainement lors d'une prochaine lecture, si elle a lieu.» Peu importe mon éventuelle mégalomanie, dit en quelque sorte Lowry, puisque personne ou presque ne la verra. La réponse de Jonathan Cape à cette lettre fut de s'y soumettre, de publier Au-dessous du volcan sans la moindre coupe.