Les Valeurs esthétiques du don
6 - 7 décembre 2017
La Colonie
(128, rue La Fayette, 75010, Paris)
Colloque organisé par Jacinto Lageira et Agnès Lontrade
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Institut ACTE, UMR 8218 – CNRS
Ministère de la Culture
Dans son célèbre « Essai sur le don » (1924), Marcel Mauss décrit le fonctionnement d’un acte aussi trivial qu’exceptionnel qui est celui de donner. Il commence par remarquer que le geste du don repose sur une triade : donner – recevoir – rendre. Le don ne peut en effet se mettre en place que si le donataire accepte l’offre et accuse réception de la générosité du donneur. Par ailleurs, Mauss note que si aucun contrat explicite n’est établi entre donateur et donataire, le don appelle la plupart du temps un contre-don. Il observe dans des formes aussi différentes du don que sont la kula et le potlatch, un retour quasi systématique au don, bien qu’aucun pacte ou qu’aucune obligation n’engage formellement et contractuellement les deux parties. Cette observation s’applique toujours à nos sociétés contemporaines lorsque nous nous « sentons obligés », même si le geste en retour nous procure du plaisir, de rendre une invitation, un repas, un dîner ou d’offrir un cadeau d’anniversaire suite à celui que nous avons reçu. Le don repose en réalité sur un paradoxe qui est celui d’une libre obligation. Rien ne nous oblige à faire un don en retour, si ce n’est le poids de la convention sociale, le sentiment intérieur d’une obligation ou un respect, non pas de l’égalité stricte (les échanges par le don ne sont pas nécessairement égalitaires) ou du juste selon la loi (le don n’est pas une forme supérieure et universelle de justice), mais de l’équité.
On comprend combien le don peut être un vecteur de relations sociales inscrites dans la durée. Le don permet de relier durablement les membres d’une communauté et de créer un ordre social pacifique (pouvant toutefois revêtir des formes agonistiques importantes dans le potlatch). S’il existe donc des formes pérennes d’échanges en dehors du système égalitaire du troc comme en dehors de l’économie de marché, le don mérite d’être considéré très sérieusement à un niveau sociopolitique. C’est à partir de là que Marcel Mauss élargira son propos à une conclusion générale portant sur l’importance du don pour une politique étatique de la solidarité (à distinguer d’un simple appel à la charité individuelle qui peut parfaitement coexister avec l’individualisme du libéralisme économique et les formes d’exclusions sociales qu’il permet) : l’ensemble des prestations sociales, et par extension les biens communs que sont la santé et l’éducation, peuvent être considérés comme des dons, gratuitement accessibles à tous et non soumis à la concurrence du marché, que l’État nous doit en retour de notre travail et de nos cotisations.
C’est dans ce contexte, et à la suite du numéro 28 de Figures de l’art « Esthétique du don. De Marcel Mauss aux arts contemporains[1] », que nous souhaitons réfléchir sur les affinités de l’esthétique et du don. Nous émettons en effet l’hypothèse qu’outre les dimensions esthétiques et artistiques esquissées par Marcel Mauss et inclues dans le fait social total qu’est le don (avec ses aspects juridiques, économiques, religieux, éthiques et politiques), l’art a bien un esprit commun au don. Si, comme le montre l’anthropologue, l’esthétique et l’artistique sont impliqués dans le phénomène du don, ce colloque se donne pour objectif de préciser ce qui pourrait valider la réciproque : l’art relève, lui aussi, du régime du don.
[1] Jacinto Lageira et Agnès Lontrade (dir.), « Esthétique du don. De Marcel Mauss aux arts contemporains », postface d’Alain Caillé, Figures de l’art, Presses universitaires de Pau et des pays de l’Adour, n° 28, 2015, 314 pages.
Mercredi 6 décembre
09h15 – Bienvenue et présentation
Jacinto Lageira et Agnès Lontrade
09h30 – Leszek Brogowski (Université de Rennes 2)
Don et appropriation dans l’art à la lumière de la théorie de la propriété
10h15 – Agnès Lontrade (Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
La dépense artistique
11h00 – pause
11h15 – Pierre-Damien Huyghe (Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
Le revers du beau
12h00 – déjeuner
14h – Fabien Danesi (Université de Picardie Jules Verne, Amiens)
Exterminer la valeur écrit-il.
14h45 – Judith Michalet (Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
Détourner, partager ou re-se-voir ? Esthétiques de la redistribution du sensible
15h30 – pause
15h45 – Fabienne Brugère (Université de Paris 8, LLCP)
Les œuvres donnent, reçoivent, rendent
16h-30 – Elitza Dulguerova (Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
Détisser les certitudes : autour du travail d’Olive Martin et Patrick Bernier
Jeudi 7 décembre 2016
9h15 – Accueil des participants
9h30 – Jean-Marc Huitorel (artpress, Critique d’art)
Qu’est-ce qui se donne dans le don, aujourd’hui ?
(quelques exemples tirés de l’art)
10h15 – Manola Antonioli (ENSAP-La Villette, UMR LAVUE)
Esthétique et économie du don chez Jacques Derrida
11h – pause
11h15 – Jacinto Lageira (Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
Du (possible) caractère fétiche de la valeur immatérielle
12h – déjeuner
14h – François Athané (Universités Pierre-et-Marie Curie, Évry-val-d’Essonne)
Entre l’art et le don, quelques ponts
14h45 – Catherine Naugrette (Universités Sorbonne Nouvelle et Louvain-la-Neuve)
Le don de l'acteur. Le paradoxe de Ion
15h30 – pause
15h45 – Hélène Sirven (Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
Regards sur George Catlin (1796-1872). Divers aspects du don
16h30 – Marine Crubilé (Université de Bordeaux 3)
De la communauté d’esprit entre don et art : une tension intime