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La radio de création après le Club d’Essai : la part des écrivains. Atelier de création radiophonique (1969-2001), Nuits magnétiques (1978-1999)

La radio de création après le Club d’Essai : la part des écrivains. Atelier de création radiophonique (1969-2001), Nuits magnétiques (1978-1999)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Pierre-Marie Héron)

Colloque

La radio de création après le Club d’Essai : la part des écrivains

Atelier de création radiophonique (1969-2001), Nuits magnétiques (1978-1999)

Dates : 4-6 octobre 2018, Paris

Organisateurs : Pierre-Marie Héron (université Paul-Valéry Montpellier, IUF), Karine Le Bail (CRAL, CNRS/EHESS), Christophe Deleu (université de Strasbourg, CUEJ, SAGE / CNRS UMR 7363)

Les propositions de communication sont à adresser aux organisateurs avant le 1er mai 2018, à l’adresse suivante : colloqueacrnuitsmagnetiques@gmail.com. Les réponses seront adressées le 1er juin.

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Argument

Pourquoi impliquer des écrivains, habitués au livre ou à la scène, dans des émissions de création radiophonique ? Qu’apportent-ils, à quelles conditions, comment, dans quels contextes ? C’est le genre de questions que l’on sera invité à se poser dans ce colloque consacré aux deux plus longs et plus prestigieux programmes de création radiophonique de France Culture, inscrits, chacun dans un style, dans « cette longue querelle de la tradition et de l'invention / De l’Ordre et de l’Aventure » (Apollinaire) qui rythme la vie des arts.

1. Sans jamais y avoir été limitée, la radio de création (et de récréation) a longtemps fait une très large place au « théâtre radiophonique », justifiant la cour assidue menée avec constance par les responsables de programmes, depuis les années 1930, auprès de tous ceux qui savent bâtir un dialogue, une intrigue, des personnages, transformer un roman ou une pièce en « jeu de voix dans l’espace » (Deharme) ou hörspiel, qu’ils soient nativement ou non dramaturges ou romanciers. Paul Gilson, le flamboyant directeur des programmes artistiques de la radio d’État à son âge d’or (1946-1963), a été couvert d’éloges pour avoir su attirer à la radio quantité d’écrivains rétifs ou timorés à troquer le livre pour les ondes. Quant au Club d’Essai, né en 1946 de la petite graine du Studio d’Essai de Pierre Schaeffer avec la mission de pousser ses branches dans toutes les directions de l’art du micro, c’est peu de dire que les écrivains y ont abondé, jusque dans le domaine des variétés (Billetdoux, Dubillard, André Frédérique…), et peut-être ce petit service expérimental de la radio d’État n’est-il devenu si célèbre que pour avoir su se faire reconnaître dans le champ restreint de la « haute littérature », grâce à l’action de son animateur le poète et dramaturge Jean Tardieu, et à son large réseau de relations, chez Gallimard notamment.

2. Or cet appétit pour les écrivains et leurs talents semble changer dans les années 1970, au sein du programme qui à partir de 1969, sous le nom d’Atelier de création radiophonique entend continuer à faire vivre, sur France Culture, l’esprit de la radio d’art et d’essai. Très ambitieux dans son projet initial (trois soirées par semaine), plus modeste à son lancement (trois heures dimanche soir), ce « microprogramme » (Trutat) est progressivement réduit à une « émission » de deux heures puis 1h30 mais essaime en région dans les années 1986-1988. Les responsables n’en sont pas des écrivains, comme Gilson et Tardieu, mais des « hommes de l’art »  (éminemment lettrés certes), parmi lesquels Alain Trutat (longtemps réalisateur, conseiller de programmes depuis 1962) et René Farabet (docteur ès-lettres, comédien, réalisateur), qui en devient seul producteur-coordinateur après 1980. Leur conception de la radio de création les amène à ouvrir très largement le champ des auteurs possibles, à favoriser la « liaison » ou la « fusion » « avec tous les courants d’action créatrice : arts plastiques, musique, littérature, poésie, cinéma, théâtre, sans oublier le domaine infini du vécu » (Trutat, 1974).
À tous, il s’agit de proposer l’expression radiophonique dans sa spécificité, comme complexe organique de bruits, paroles, musiques et silences ; face à quoi l’idée qu’un écrivain peut être mieux placé que d’autres, voire indispensable, est relativisée. Pour Trutat (qui ne conçoit pas de création radiophonique sans l’alliance, comme Beckett, de la parole et de la musique), il vaut mieux être compositeur par exemple : « Les compositeurs de la musique actuelle mieux que les écrivains ont su jouer de la radiophonie (Jean-Claude Éloy acr 111, Mauricio Kagel acr 145-146, Stockhausen acr 133). Peut-être y sont-ils mieux préparés par la nature de leur travail » (1974). Et, comme on sait, à côté de réalisateurs-auteurs de grande classe comme René Jentet (parti en 1980), José Pivin, Andrew Orr ou René Farabet, l’auteur aujourd’hui le plus connu de l’ACR est un chef opérateur de son, Yann Paranthoën, qui n’aimait pas la littérature, sauf exceptions (Ollier, Guyotat), et composait ses « documentaires » (il n’aimait pas le mot) sans aucun texte préalable. Ce qui n’est pas non plus une doctrine de l’ACR : pour Trutat par exemple, « l’œuvre radiophonique peut être fondée sur un texte », même si « écrit résilié devenue parole, phrase oblitérée devenue phrasé, elle n’est pas ce texte » (1974).
Par ailleurs, dans cet après-1968 très politique qui imprime fortement son esprit contestataire et contre-culturel sur la première décennie de l’ACR, le monde lui-même appelle à sortir des studios, à aller dans la rue, à se faire oreille de l’époque : à se faire reporter ou historien du monde contemporain, mais en créateur, pas en journaliste. Il s’agit de se tourner vers « l’histoire en train de se faire… avec sa fièvre, son effervescence », de « prendre appui sur la “réalité sensible” », « le monde au présent ‒ un immense chantier » ; donc aussi de sortir du « studio-Gutenberg », de répudier « la tyrannique typographie des “brochures” », livrant le texte des pièces dites radiophoniques « à la récitation comédienne et à l’illustration bruitiste », de remplacer  les « députés obèses du savoir » par « de plus turbulents aventuriers, surgissant d’horizons variés » (Farabet, 2007). Ainsi, une des grandes mutations/inflexions opérée par l’ACR dans l’approche de la création radiophonique a été de dévaluer l’écrivain de fiction au profit de l’écrivain-reporter, produisant des reportage et documentaires élaborés, ou tournant autour de ce qu’on appelle aujourd’hui des docu-fictions, comme Jean Thibaudeau imbriquant l’un dans l’autre, en 1970, Dig it (documentaire) et A Western Memory (fiction). La chose n’est pas nouvelle dans l’histoire de la littérature : on renvoie aux travaux de Myriam Boucharenc sur l’écrivain-reporter dans les années 1930. Mais elle n’était pas jusqu’à présent aussi fortement revendiquée dans les milieux de l’art radiophonique.
S’y ajoute, dans ces années post-68 où l’on remet en cause toutes les institutions, que la notion même d’auteur change de sens : à l’ACR, l’auteur, c’est le collectif, c’est « l’atelier » des preneurs de sons et monteurs aux réalisateurs et producteurs (Georges Peyrou, Claude Roland-Manuel, Daniel Caux, Colette Garrigues, Michel Creis, Yann Paranthoën Jacqueline Trutat, Andrew Orr, Jean-Marc Fombonne, Jean-Loup Rivière, Kaye Mortley…). « Un atelier : un lieu où se poursuivent simultanément différents travaux, le plus souvent en équipe, où des “artisans” prennent le temps de modeler des objets sonores » (Farabet, Bref éloge du coup de tonnerre et du bruit d’ailes). De même la notion d’œuvre : si on continue de parler à l’ACR d’œuvres originales attribuables à tel ou tel artiste, dont plusieurs ont les honneurs de prix internationaux (Italia, Ondas, Paul-Gilson…) dans les catégories Fiction, Musique ou Documentaire, ce qui est aussi considéré comme œuvre, c’est le programme tout entier d’une émission, vaste work in progress hybride, délibérément composé d’une mosaïque d’inserts, de citations (livresques…), de genres, de séquences, débordant chaque « œuvre » au sens traditionnel du mot, dont le principal auteur, s’il en faut un, est le réalisateur. Significativement, ces émissions-programmes portent toutes un titre : Littérature - Rupture ; Écho – Écoutes ; Mode - Effet - Tournure ; Ex – Expo ; Enfance fantasmes ; Hippie Pop Hurrah ; La vie Q comme quotidienne ; Tom, Womb, Worm, Words : Dylan Thomas ; Des antipodes aux antipodes (avec Michel Butor)… Quant aux publics, on ne cherche pas à les rejoindre tous, mais on consent volontiers à ne s’adresser qu’à des happy few, qui prendront plaisir au jeu de patience et d’attention que demande l’écoute de chaque émission. Qui auront le goût aussi de plonger dans les contre-cultures et turbulences du temps (guerre du Vietnam, luttes sociales, mouvement hippie, féminisme, gourous, transsexuels…), auquel l’ACR consacre entre 1973 à 1976 un magazine spécial (entretiens et reportages), Court-circuit, produit par Alain Trutat, Andrew Orr et quelques autres.
D’autres influences jouent dans les années 1980 et ensuite, jusqu’au départ de Farabet en 2001, dont il sera intéressant de décrire la nature et les étapes. Pour nous, il s’agira de voir quels écrivains trouvent leur place dans l’activité ou dans le programme de l’ACR ainsi lancé et dans les décennies suivantes, laquelle, avec qui (les collaborations avec des compositeurs sont nombreuses), pourquoi et comment. Sans oublier qu’à côté des reportages, « jeux acoustiques » et « films radiophoniques », il y a aussi des numéros thématiques (Brecht, Proust, Deleuze, Apollinaire et Marinetti, Mallarmé, Valéry, Artaud, William Burroughs …), des séquences de lectures, entretiens (on parle beaucoup aussi à l’ACR)… On relèvera notamment, à côté de quelques anciens du Club d’Essai qui font trait d’union avec le passé et soulignent des continuités (Dubillard, Billetdoux, Tardieu, Obaldia), les noms de : Jean Thibaudeau, Edoardo Sanguineti, Jean-Pierre Faye, Jean Ristat, André Frénaud, Danielle Collobert, Jacques-Pierre Amette, Bernard Teyssèdre, Maurice Roche, Michel Butor, Claude Ollier, Nathalie Sarraute, Marguerite Duras, Hubert Lucot, Pierre Guyotat, Hélène Cixous, Georges Perec, Valère Novarina...

3. Qu’en est-il dans Nuits magnétiques qui, à sa création en 1978 par Alain Veinstein sous la forme d’un programme quotidien d’1h20 du lundi au vendredi (22h30-23h50), nourrit aussi l’ambition d’être une radio dans la radio, anti-institutionnelle à sa manière et de création ? Fait mineur peut-être pour certains, mais capital : Veinstein est un poète. Un poète qui, en tant que conseiller d’Yves Jaigu directeur de France Culture, chargé de penser sa réforme de 1975, fait venir à la radio quelques amis écrivains proches d’Orange Export Ltd, la petite maison d’édition d’Emmanuel Hocquard et Raquel, parmi lesquels Claude Royet-Journoud (producteur de l’émission Poésie ininterrompue), Jean Daive, Anne-Marie Albiach, Gérard Macé, Mathieu Bénézet, Pascal Quignard, etc. C’est une partie de ce milieu que l’on retrouve à la manœuvre dans Nuits magnétiques, bien décidé à bousculer les codes de France Culture, à changer la manière de dire le réel et l’air du temps, sans exclusive de genres au début (au début seulement, car les dramatiques sont vite abandonnées), mais aussi la manière de concevoir la poésie, qu’il ne s’agit pas de restreindre à un genre mais de retrouver dans « tout ce qui a une densité de langue » (Claude Royet-Journoud) et donc pas seulement chez un poète mais aussi bien chez un historien, un psychanalyste, un sociologue ou un philosophe, ou chez n’importe quel anonyme.
Cela dit, une des grandes caractéristiques de Nuits magnétiques est bien aussi ‒ différence importante avec l’ACR ‒ de redonner aux écrivains, d’emblée et pendant longtemps, la première place dans la production du programme, dans ses deux grandes composantes : magazines d’actualité d’une part, reportages de l’autre. Deux composantes liées à deux héritages : celui de l’ACR, pour l’importance donnée au reportage ; celui de Panorama (Panorama culturel de la France), mémorable magazine d’actualité culturelle de France Culture, d’où vient Laure Adler, embarquée dès 1979 dans Nuits magnétiques (qu’elle dirige de 1984 à 1988), pour les magazines. Ces deux inspirations dessinent l’organisation de base de Nuits magnétiques, qui survit à plusieurs réorganisations internes : d’un côté, deux semaines sur quatre, des magazines d’actualité, consacrés à la culture au sens courant (littérature, spectacles, arts, etc.), nourris d’interviews, de chroniques, en partie animés par des écrivains : en 1979 Devine qui vient dîner (poésie), Sortie de secours (actualité culturelle), Bruits de pages (littérature), Peinture fraîche (peinture), Risques de turbulence (varia) ; en 1982 Sans images, La permission de minuit, Futur antérieur, Liaisons dangereuses, etc.. De l’autre, dans la lignée de l’ACR mais avec moins d’élaboration en studio (les mixages se font parfois en direct), pour explorer les territoires du réel, « des séries élaborées sans visée journalistique » (Veinstein), qui pourtant se nourrissent de genres journalistiques puisqu’il s’agit d’enquêtes et reportages. D’un côté, une radio de la parole cultivée, où les voix sont identifiées, les interlocuteurs nommés ; de l’autre une radio du récit de vie (l’arrivée de la romancière Colette Fellous à la tête du programme en 1990 introduit une petite inflexion dans l’approche de ces émissions de reportage, intéressante à interroger : on ne parle plus de bâtir le « récit » mais « le roman » ‒ « le roman des gens, des voix qu’on peut tresser ensemble »). D’un côté aussi, la défense et promotion d’une culture « en mouvement », opposée à la « non-culture » des industries de la culture, des « best-sellers fabriqués à la hâte » (Bruits de pages, de 1978 à 1980, est là pour « tenir tête aux mauvais livres » en faisant lire les « bons livres »). De l’autre, la confection de reportages où, parce que n’importe qui peut être intéressant, on pousse dans les premiers temps l’« intégrisme » (Veinstein) jusqu’à anonymiser toutes les voix, celle de l’écrivain reporter comme celle des gens interviewés, pratique de Gilbert Maurice Duprez dans De la nuit (1975-1977). Pourquoi préférer les écrivains à d’autres dans la production de ces reportages (il y a aussi des journalistes, au premier rang desquels, par sa fidélité, Pascal Dupont) ? Parce qu’ils savent raconter, répond Veinstein, et que, s’ils veulent bien oublier la page blanche, ils n’ont pas leur pareil pour écouter et faire entendre avec des sons les langages, les gens, les riens de l’époque dans leur trivialité ordinaire, et ainsi « questionner » l’auditeur. Parmi eux, de nombreux collaborateurs d’un moment (Jacques Réda, Jean Montalbetti, Christian Bobin…) et quelques « piliers » : Franck Venaille, Olivier Kaeppelin, Jean Daive, Jean-Pierre Milovanoff, Nicole-Lise Bernheim, Pascal Dupont. Des prix internationaux ou sélections à des prix honorent certains de leurs documentaires : Les espions de Sa Majesté de Franck Venaille (1986) Gens du marais de Jean-Pierre Milovanoff (1990), Auschwitz : aller-retour (1942-1992. Le train de la mémoire (1992) et Un acte sous influence (1994) de Jean Daive.
Ce que tente de concilier Nuits magnétiques, c’est en somme, autour d’une conception large de la poésie, le grand écart entre gens de culture et anonymes. Une tentative bien illustrée par la série d’entretiens accolée à Nuits magnétiques en 1985 et qui lui survit jusqu’en 2014 : Du jour au lendemain, du lundi au vendredi de minuit à 1 heure. L’émission en effet, tout en proposant des entretiens avec des écrivains, ne veut pas être une « émission littéraire », mais le spectacle (dramatique en plusieurs sens) d’une « parole qui se cherche » (Radio sauvage), dont l’identité sociale importerait au fond assez peu, dont « la musique » intéresserait plus que le contenu.

4. Avec les tensions ou contradictions internes qu’elles suscitent, les écarts ou incursions ailleurs qu’elles se permettent, ces tendances de fond de l’ACR et de Nuits magnétiques dessinent deux manières d’aborder la radio de création. Michel Cournot, ce grand critique dramatique, proche de Trutat puis de Veinstein, les résumait en 1981 dans ce parallèle discutable mais suggestif : s’il y a dans l’Atelier de création radiophonique « une volonté de création, un travail approfondi sur les facultés extrêmes de l'écoute », si « les talents (souvent très forts) concourant à cette émission tend[ent] à proposer des œuvres radiophoniques », « Nuits magnétiques ‒ dont il arrive couramment que telle ou telle heure d'antenne constitue un chef d'œuvre de poésie, de mystère ‒ se présenterait plutôt comme une promenade radiophonique du soir entre amis » (Le Monde, 1er août 1981). Cela suggère des tâches et peut-être des profils à remplir par les écrivains qui y ont collaboré. Comment prendre la mesure de leur présence dans les deux programmes et de leurs apports ? Sans cultiver d’ambition totalisante, mais pour éviter l’émiettement ou la dispersion, on privilégiera les communications qui portent sur des collaborations significatives.