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La Fable du favori dans la littérature française du premier XVIIe siècle (Delphine Amstutz)

La Fable du favori dans la littérature française du premier XVIIe siècle (Delphine Amstutz)

Publié le par Matthieu Vernet

Delphine Amstutz soutiendra sa thèse :

La Fable du favori dans la littérature française du premier XVIIe siècle

qui se déroulera en salle des Actes à l’Université Paris-Sorbonne (entrée 54 rue Saint-Jacques, Paris Ve) le 16 octobre prochain à partir de 14h.

Le jury sera composé de :

M. Bernard Beugnot, Professeur émérite de l’Université de Montréal

M. Patrick Dandrey, Professeur à l’Université Paris-Sorbonne et directeur de la thèse

M. Jean-François Dubost, Professeur à l’Université Paris-Est Créteil

M. Gérard Ferreyrolles, Professeur à l’Université Paris-Sorbonne

M. Thomas Pavel, Professeur à l’Université de Chicago

M. Pierre Ronzeaud, Professeur à l’Université d’Aix-Marseille

 

POSITION DE THÈSE

 

Créature royale et création littéraire, le favori royal hante, depuis l’âge baroque, l’imaginaire français.   Fascinés par les favoris, les auteurs romantiques en ont forgé la légende noire et sublime : la ballade grotesque du « bouffon favori » traverse les poèmes de Baudelaire comme elle enchante les romans d’Alexandre Dumas ou les drames de Victor Hugo. Dans Cinq-Mars, la divagation historique de Vigny confine au mythe et accueille une rêverie nobiliaire héroïque mais surannée en 1826.

            Pour endiguer la crue de ces dérives imaginaires et extraire le favori de sa gangue légendaire, les historiens du XXe siècle ont tenté de le constituer en un objet historique clairement identifié[1]. Les exigences de la scientificité ont encouragé certains d’entre eux à qualifier le favori de « phénomène de structure » ou de « concept » (« Strukturphänomen » ; « Favoritenbegriff[2] »). Les approches structurales ont donc succédé aux études psychologiques particulières et aux analyses anthropologiques générales ; elles ont permis d’envisager la faveur comme un véritable système de gouvernement, caractéristique d’un moment historique singulier : le tournant des XVIe et XVIIe siècles en Europe[3]. Depuis la recherche pionnière de Francisco Tomás y Valiente sur le valimiento dans l’Espagne de Philippe III et Philippe IV, les études de cas et les biographies se sont accumulées[4]. À l’article de Jean Bérenger, qui demandait, en 1970, que soit ouverte une enquête historique et sociologique sur le ministériat en Europe[5], a répondu l’important colloque organisé par John Huxtable Elliott et Lawrence W. B. Brockliss à l’université d’Oxford en 1996 et dont les actes ont été publiés sous le titre The World of the Favourite[6]. Les conclusions de ce colloque, qui avait pour ambition de définir la figure du ministre-favori entre 1550 et 1650 dans trois pays d’Europe (Espagne, France, Angleterre) ont été par la suite aussi bien développées que contestées. Le collectif intitulé Der Fall des Günstlings : Hofparteien in Europa vom 13. bis zum 17. Jahrhundert (2004), rassemble ainsi des études qui ont cherché à relativiser l’importance de la première modernité dans la définition du favori. Loin d’être un personnage politique de transition, symptôme d’une mutation politique profonde mais déterminée, le favori serait avant tout un phénomène curial pérenne et inhérent à toute forme de régime monarchique personnel[7]. En 2001 à l’université de Cologne, le colloque « Der Zweite Mann im Staat » dont les actes ont été publiés en 2003, a étendu les conclusions auxquelles étaient parvenus J. H. Elliott et L. W. B. Brockliss à l’Europe de l’Est et à l’ère culturelle germanique. Les organisateurs de ce colloque, Michael Kaiser et Andreas Pečar, ont cependant disqualifié le concept de favori (« Günstling ») car il leur a paru réducteur[8] et trop négativement connoté. Ils lui ont préféré la catégorie, plus vague et étrangère à la pensée moderne, de « zweiter Mann im Staat » (« deuxième homme de l’État ») pour désigner des hommes qui vivent dans la familiarité du prince, possèdent personnellement sa faveur ou sa confiance et sont issus des cercles de la cour ou des rangs des officiers. Il convient de distinguer, selon la nature de l’influence qu’ils exercent sur leur prince, différents types de « deuxième homme » : l’officier supérieur (« leitende Amsträger »), le favori au sens restreint du terme (« Favorit[9] » et non « Günstling ») et le ministre (« Reforminister »). Ces trois types correspondent chacun à des étapes différentes dans la construction de l’État moderne. En 2011 enfin, a paru le collectif Das Grabmal des Günstlings, fruit des travaux menés dans le cadre d’un colloque sur « das Bild des Günstlings ». Les différentes contributions examinent l’iconographie des favoris en France, en Espagne, à la cour du Vatican et dans l’Empire germanique entre les XVIe et XVIIIe siècles. Elles apportent un éclairage original et inédit sur la question du favori dont elles étendent cependant abusivement le concept[10].

Le débat historiographique dont le favori est devenu l’objet depuis les années 1960-1970 repose donc essentiellement sur la définition chronologique et par conséquent terminologique du phénomène. Le favori apparaît comme une figure bifrons qui peut se définir lato sensu comme un phénomène anthropologique quasiment universel, caractéristique de tous les régimes personnels[11] ; stricto sensu comme un phénomène historique à la pertinence restreinte aux monarchies européennes de l’époque moderne. J. H. Elliott et L. W. B. Brockliss ont d’ailleurs préféré forger une expression combinée, le « ministre-favori », pour pallier cette ambivalence sémantique et souligner la nouveauté de ce phénomène historique. I. A. A. Thompson propose quant à lui d’employer en ce sens le terme espagnol plus précis de valido[12]. Le valido, à la différence du privado ou « favori traditionnel », jouit de la faveur personnelle du roi tout en disposant d’une sphère d’action à la fois domestique et politique, tels Olivarès auprès de Philippe IV, Buckingham auprès de Jacques Ier ou Luynes auprès de Louis XIII[13]. Diverses explications – psychologique, institutionnelle, curiale ou politique – ont été avancées pour expliquer l’émergence concomitante de favoris, sur la scène européenne, à la charnière des XVIe et XVIIe siècles. Les historiens ont ainsi argué de la faiblesse des monarques au pouvoir, de la croissance de l’État administratif moderne, de la position du favori qui, placé à la tête des réseaux de patronage, anime la cour et redistribue la faveur royale en resserrant les liens entre le roi et la noblesse : le favori poursuivrait ainsi dans l’ombre une action politique réformatrice fondée sur les principes de la « raison d’État » que le roi ne saurait appliquer lui-même sans susciter l’opposition des grands et sans gâter son image humaniste de bon prince chrétien[14].

            L’étude du cas français s’est faite, le plus souvent, par comparaison avec les deux paradigmes dominants quoique opposés de l’Espagne et de l’Angleterre. Le terme « favori », démarqué du participe passé italien favorito, attesté en ce sens depuis le XVe siècle, s’acclimate à la langue française dans le premier quart du XVIe siècle. Le favori est d’abord le détenteur de la faveur royale. Le sémantisme du terme reste flou car le français ne fait pas de distinction entre les différentes manières d’octroyer ou de posséder cette faveur, là où l’espagnol oppose le valido au privado, l’allemand le Favorit au Günstling voire le Günstling au Begünstigte[15] (« courtisan favorisé »). Il est donc loin d’être aisé de définir, de manière univoque, ce personnage insaisissable. Le favori désigne un personnage politique, un courtisan qui, passé maître dans l’art de « réussir à la cour », est parvenu au terme de son « chemin de fortune ». Cependant, le favori ne dispose, en tant que tel, d’aucune charge officielle qui permettrait de le reconnaître à coup sûr : le « titre » de favori ne s’obtient ni par l’achat d’un office, ni par l’obtention d’une commission[16] : « […] la plus belle charge de la Cour, c’est la faveur[17] » comme l’écrit Robert Arnaud d’Andilly dans son Journal en 1616, c’est-à-dire au période de la réussite des Concini.

Dans La Faveur du Roi, mignons et courtisans au temps des derniers Valois (2001), Nicolas Le Roux montre cependant que, dans la monarchie française, l’économie de la faveur royale change radicalement dans les années 1580 : avec Henri III, la faveur ne désigne plus seulement l’ancienne vertu humaniste qui permet à un souverain de rétribuer à leur juste valeur et selon leurs mérites ses compagnons, mais la grâce absolue qui autorise le souverain à « agrandir », de manière inconditionnée, l’un de ses sujets, le plus souvent issu de la noblesse seconde. La faveur devient dans ce cas un véritable système de gouvernement, voulu par Henri III mais mal accepté par la noblesse. Au sein de ce système politique, le favori – et en particulier les « archimignons » Joyeuse et Épernon – assume différentes fonctions qu’Arlette Jouanna et Nicolas Le Roux ont inventoriées. Instrument d’un mode de gouvernement absolutiste, le favori magnifie le pouvoir royal tout en « contre-buttant[18] » l’influence des grands, qui se veulent, traditionnellement, les conseillers naturels du monarque : le favori sert ainsi une « politique royale d’interférence[19] ». Issus le plus souvent de la noblesse seconde, mais honorés des plus hautes charges par le roi, les favoris permettent, grâce à leurs réseaux de clientèles locales, de renforcer et d’étendre « l’armature provinciale de l’autorité royale[20] ». Ils contrôlent également les réseaux de fidélité et de patronage et assurent ainsi, en redistribuant les libéralités du roi, la soumission de la noblesse à la Couronne[21]. Sous Henri III enfin, les favoris ont assuré un rôle pédagogique et culturel : ils ont contribué, comme en Espagne, à réguler sévèrement l’accès au roi ; ils ont promu, par le raffinement extrême de leur conduite et de leur parure, « un nouveau modèle de comportement noble[22] », inspiré, notamment du néoplatonisme de Castiglione. À ce niveau d’analyse, il n’y a pas lieu de distinguer entre le « mignon » et le « favori ». Les favoris du règne de Louis XIII s’inscrivent dans la continuité des pratiques politiques antérieures. À cette aune, Luynes apparaît bien comme l’un des derniers avatars du « favori renaissant[23] » et la rupture instaurée par le ministériat de Richelieu, qui appartient à la Couronne mais non à la Maison du roi, mérite d’être appréciée dans cette perspective.

Le travail des historiens aura donc débarrassé la figure du favori d’un certain nombre de préjugés, de fantasmes véhiculés et entretenus par la littérature et l’historiographie romantiques. Il n’est pas sûr cependant que l’objet historique ainsi construit trouve son répondant exact dans la littérature, ou plus exactement dans les discours tenus, aux XVIe et au XVIIe siècles, par les contemporains de Concini, Luynes ou Richelieu. En effet, l’invention du concept de « ministre-favori » ou la résurrection du terme « valido » ont surtout tendu à isoler certaines figures marquantes de l’histoire nationale, comme Richelieu ou Mazarin, au détriment d’autres personnages historiques, reversés dans la catégorie des « favoris traditionnels » ou « classiques ». On oppose alors Richelieu à Concini, Luynes ou Cinq-Mars mais les contemporains les appelaient tous indistinctement « favoris » (et non « validos » ou « ministres-favoris ») et rien ne prouve que cet emploi ne se justifie que par les besoins de la polémique. La notion de « ministre-favori » tend à rendre accessoire la dimension « dilective[24] » ou affective, qui caractérise la relation entre le roi et son favori et qui nous semble pourtant centrale à la définition de la notion. À trop vouloir supprimer l’ambivalence sémantique ou la labilité pragmatique de la notion de « favori », les constructions scientifiques des historiens ont fait perdre la continuité et l’unité discursive du phénomène, pourtant patentes à la lecture des textes du XVIIe siècle. L’analyse historique produit des distinctions abstraites, non indigènes à la pensée de l’âge baroque, qui faussent autant qu’elles éclairent la vision du phénomène. Les historiens eux-mêmes n’ignorent bien sûr pas ces limites et, en conclusion du volume The World of the Favourite, L. W. B. Brockliss ouvre la voie à d’autres investigations possibles[25].

Antonio Feros[26] et Curtis Perry se sont engagés dans ces voies de recherches nouvelles, le premier en étudiant le domaine espagnol, le second la littérature anglaise des XVIe et XVIIe siècles. L’intuition de Curtis Perry, qui invite à étudier non pas les représentations littéraires du favori mais tous les « discours » afférents au favori, à une période donnée, dans leur globalité, sans considération a priori des genres institués et sans souci de définition sémantique préalable, nous semble particulièrement féconde. Cette unité des discours qu’il appelle « discourse of favoritism[27] » nous préférerons la qualifier de « fable du favori » en nous référant au sens étymologique du mot « fable » : fabula est, « on dit… », « on raconte…[28] ». Le favori est bien, en ce premier XVIIe siècle, la fable de la cour puisqu’il en est, si l’on veut bien croire Jean-Pierre Camus, la « coqueluche[29] », la vedette, qui oriente et polarise les débats, les rumeurs, les railleries, les conflits.

La méthode qui nous a permis de délimiter notre corpus d’étude est donc à la fois phénoménologique, nominaliste et pragmatique. Phénoménologique, car elle se soucie de préserver l’unité discursive du phénomène qu’elle essaie d’approcher, sans lui imposer de distinctions intellectuelles préconçues ; nominaliste, car elle s’attache à relever et analyser chaque occurrence du mot « favori » dans les discours, sans préjuger de leur éventuel degré de « littérarité »[30] et dans un souci d’exhaustivité. Pragmatique enfin, car l’analyse de la « fable du favori » doit à la fois prendre en compte la valeur sémantique des énoncés mais également leur fonction argumentative : chaque discours s’enracine dans un cadre énonciatif particulier qui lui donne son sens et qu’il contribue à modifier en redistribuant les rôles sociaux. « Les valeurs pragmatiques sont des constructions interactives[31] » qu’il importe d’apprécier justement car l’emploi du terme « favori » se produit, le plus souvent au XVIIe siècle, dans un contexte polémique (au sens large[32]) : il appartient en effet, selon la typologie établie par Catherine Kerbrat-Orrechioni, à la catégorie des « termes relationnels[33] » mais également à celle des « substantifs axiologiques » et sa valeur pragmatique peut parfois inverser sa valeur sémantique originelle[34].Que ce soit dans les libelles ou les romans, l’emploi du terme « favori » n’est jamais innocent ni anodin et il fait l’objet de négociations discursives constantes.

Le choix de l’empan chronologique découle naturellement de ces principes méthodologiques. Bien que le favori s’impose comme un personnage politique incontournable dès la fin du XVIe siècle, il faut attendre la deuxième décennie du XVIIe siècle pour qu’il fasse l’objet d’une véritable élaboration théorique dans les traités et qu’il devienne un personnage littéraire aisément identifiable, sinon déjà topique. La « fable du favori » cristallise donc vraisemblablement sous l’impact d’un événement politique majeur ‑ l’exécution de Concini, favori de Marie de Médicis, en 1617 – qui ouvrit les vannes à un flot de publications sans précédent. Elle subsiste mais s’épuise dans les années 1660, au terme de ce qu’il est convenu d’appeler « l’âge baroque[35] ».

Notre étude comprend deux versants : archéologique et poétique. Il s’agira d’abord, dans un premier chapitre, de dégager la généalogie du favori en le confrontant à d’autres types de personnels politiques mieux attestés par la tradition historique et philosophique (le conseiller, le secrétaire, le flatteur, le mignon de cour notamment). Mais la faveur dont la captation exclusive définit le favori, ne se réduit pas uniquement à une relation de pouvoir. Elle possède également une signification psychologique et mythologique. Le personnage du favori montre donc, dans les textes du XVIIe siècle, des facettes variées car il apparaît non seulement comme un type politique, mais aussi comme un caractère anthropologique distinctif et une figure allégorique de la prudence. Dans les chapitres 2 et 3, nous explorerons l’imaginaire politique ambivalent de la faveur avant d’examiner les différentes théories politiques qui, à l’âge baroque, utilisent la notion de favori comme pierre de touche. Dans les trois chapitres qui ouvrent la seconde partie de notre étude, nous parcourrons, selon un continuum chronologique, les différents genres littéraires que le favori conquiert à mesure que s’écoulent les premières décennies du XVIIe siècle, pour montrer comment les contraintes poétiques propres à chaque genre modèlent le visage du favori. Le dernier chapitre, conclusif, reviendra sur la portée herméneutique globale de la « fable du favori » à l’âge baroque.

La faveur dont jouit, pendant un demi-siècle, la « fable du favori » s’exprime par sa vertu performative et s’explique par sa puissance herméneutique. En prolongeant une hypothèse émise par Curtis Perry dans Literature and Favoritism in Early Modern England, nous avancerons que la « fable du favori » aura fourni aux contemporains de Louis XIII un langage commun pour traiter certaines questions difficiles mais incontournables, pour explorer certaines « zones grises de la culture[36] ». Ces questions ne relèvent cependant pas uniquement de la sphère politique, comme l’implique le travail de C. Perry[37]. Secrétaire des arcana imperii, simulacre de cour, le favori reflète bien la séduction du pouvoir et ses jeux d’influence ; la fable du favori se déploie certes dans ces « années cardinales[38] » où la pensée étatiste triomphe et bouleverse les références de la théorie ou de la pratique politiques, mais elle manifeste avant tout, sous une forme métaphorique et dramatisée, une interrogation sourde et obstinée sur les conditions et les limites de l’agir humain ; elle traduit un souci de comprendre, de manière nouvelle, l’individu aux prises avec le monde, la société et l’histoire. Comme parvenu[39], le favori manifeste la toute-puissance de l’action individuelle mue par la volonté et guidée par la réflexion. Cependant, la trajectoire personnelle du favori semble s’inscrire dans une destinée déterminée, qui trahit l’emprise inexpugnable de la Fortune – que l’on entende par ce mot la Providence ou quelque ineffable « force des choses » ‑ sur les ambitions humaines. Figure bifrons, le favori incarne donc une allégorie de la prudence, assurée ou fourvoyée. Il connaîtra, aux siècles suivants, d’autres avatars : l’aventurier, le parvenu marivaldien, le « self-made man » contemporain… La fable du favori interroge ainsi la pertinence et la relativité de valeurs fondamentales : le mérite personnel et la vertu, la faveur et la valeur. Elle implique une réflexion anthropologique et éthique puisqu’elle sonde les passions politiques, redessine les espaces de l’intimité, les formes de l’affectivité et les contours de l’identité personnelle à une époque où la distinction entre les sphères publique et privée n’est pas acquise. La fable du favori innerve enfin la réflexion historiographique sur « l’absolutisme[40] » et sous-tend la construction du premier champ littéraire : au terme de sa carrière politique, le favori devient, sous l’égide de Mécène, une figure tutélaire de la culture galante.


[1] Voir par exemple l’article de Jan Hirschbiegel : « Zur theoretischen Konstruktion der Figur des Günstlings », dans Der Fall des Günstlings : Hofparteien in Europa vom 13. bis zum 17. Jahrhundert, Jan Hirschbiegel et Werner Paravicini [dir.], Ostfildern, J. Thorbecke, 2004, p. 23-39.

[2] Michael Kaiser et Andreas Pečar, « Reichfürsten und ihre Favoriten. Die Ausprägung eines europäischen Strukturphänomens unter den politischen Bedingungen des Alten Reiches », dans Der Zweite Mann im Staat. Oberste Amsträger und Favoriten im Umkreis der Reichfürsten in der Frühen Neuzeit, Michael Kaiser et Andreas Pečar [dir.], Berlin, Duncker und Humblot, 2003, p. 9-19.

[3] Le rôle du favori est désormais communément conçu par les historiens comme une fonction ou une institution politique et non plus comme une détermination psychologique particulière. La distinction entre « favori politique » et « favori personnel », utilisée, par exemple, par Pierre Chevallier dans sa biographie de Louis XIII en 1979, semble devenue caduque : Louis XIII, roi cornélien, Paris, Fayard, 1979, p. 437-455. La dernière biographie de Louis XIII entérine ce changement de point de vue : voir Jean-Christian Petitfils, Louis XIII, Paris, Perrin, 2008, p. 162-163.

[4] Francisco Tomás y Valiente, Los Validos en la monarquía española del siglo XVII : estudio institucional, Madrid, Instituto de estudios políticos, 1963. Parmi une bibliographie importante, citons les ouvrages suivants, qui ont jalonné la réflexion sur les favoris en Europe à l’époque moderne : Francesco Benigno, L'Ombra del Rey. La lotta politica nella Spagna dei validos, 1598-1643, Catania, C.U.E.C.M., 1990 ; Philippe Contamine, « Pouvoir et vie de Cour dans la France du XVe siècle : les mignons », Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, janvier-juin 1994, p. 542-555 ; Jean-François Dubost, « La prise de pouvoir par Louis XIII », dans La France de la monarchie absolue (1610-1715), Joël Cornette [dir.], Paris, Seuil, 1997, p. 83-100 et Marie de Médicis, la reine dévoilée, Paris, Payot, 2009, p. 475-570 en particulier ; Hélène Duccini, Concini, grandeur et misère du favori de Marie de Médicis, Paris, Albin Michel, 1991 ; John Huxtable Elliott, Richelieu et Olivares, Paris, P.U.F., (1984) 1991 ; Antonio Feros, Kingship and Favoritism in the Spain of Philip III, 1598-1621, Cambridge, Cambridge University Press, 2000 ; Jeffrey S. Hamilton, Piers Gaveston, Earl of Cornwall, 1307-1312. Politics and Patronage in the Reign of Edward II, Detroit, Wayne State University Press, 1988, p. 37-53 en particulier ; Sharon, Kettering, Power and Reputation at the Court of Louis XIII. The Career of Charles d’Albert, duc de Luynes (1578-1621), Manchester, Manchester University Press, 2008; Mathieu Lemoine, La Faveur et la gloire : le maréchal de Bassompierre mémorialiste (1579-1646), thèse de doctorat préparée sous la direction de Denis Crouzet et soutenue à l’université Paris-Sorbonne (Paris IV) en 2008, 2 vol. ; Nicolas Le Roux, « Courtisans et favoris : l'entourage du prince et les mécanismes du pouvoir dans la France des guerres de religion », dans Histoire, économie et société, 1998, 17e année, n° 3, p. 377-387 et « La Maison du roi sous les premiers Bourbons », dans Les Cours d’Espagne et de France au XVIIe siècle, Chantal Grell et Benoît Pellistrandi [dir.], Madrid, Casa de Velásquez, 2007, p. 13-40. Le programme 2009-2010 de l’agrégation d’espagnol a donné lieu à de nombreuses parutions sur le valimiento et l’œuvre de Quevedo. Un récent numéro de la revue Dix-septième siècle est également consacré à cette question (juillet 2012, n° 256).

[5] Jean Bérenger, « Pour une enquête européenne : le problème du ministériat au XVIIe siècle », Annales, Économies, Sociétés, Civilisations, 29e année, n° 1, 1974, p. 166-192.

[6] The World of the Favourite, John Huxtable Elliott et Lawrence W. B. Brockliss [dir.], New Haven, London, Yale University Press, 1999.

[7] Philippe Contamine, « Charles VII, roi de France, et ses favoris. L’exemple de Pierre, sire de Giac (mort en 1427) », dans Der Fall des Günstlings, op. cit., p. 139-162.

[8] Reprenant les conclusions du colloque Der Fall des Günstlings, les deux auteurs considèrent que le favori se définit essentiellement par l’éventualité de sa chute tragique. L’image du favori semble, en outre, irréductiblement associée à celle de Sejanus à l’époque moderne, ce qui renforce sa connotation axiologique négative et rend le terme « favori » impropre à un usage scientifique.

[9] Michael Kaiser et Andreas Pečar, art. cit., p. 13.

[10] Das Grabmal des Günstlings. Studien zur Memorialkultur frühneuzeitlicher Favoriten, Arne Karsten, Anett Ladegast, Tobias C. Weissmann und Laura Windisch [dir.], Berlin, Gebr. Mann Verlag., 2011.

[11] Le favori perd en ce sens toute spécificité historique. La formule de Peter S. Lewis est souvent citée : « En temps de “stabilité” politique, on parle de “ministres”, en temps d’instabilité, on parle de “favoris” », « Être au conseil au XVe siècle », dans Guerre, pouvoir et noblesse au Moyen Âge, mélanges en l'honneur de Philippe Contamine, Jacques Paviot et Jacques Berger [dir.], Paris, Presses de l'Université de Paris-Sorbonne, 2000, p. 461-469, citation p. 468.

[12] I. A. A. Thompson, « The Institutional Background to the Rise of the Minister-Favourite », dans The World of the Favourite, op. cit., p. 13-25, citation p. 14-15.

[13] Voir Sharon Kettering, Power and reputation at the court of Louis XIII. The career of Charles d’Albert, duc de Luynes (1578-1621), op. cit., p. 25 et 235-237.

[14] Lawrence W. B. Brockliss, « Concluding Remarks: The Anatomy of the Minister-Favourite », dans The World of the Favourite, op. cit., p. 279-309.

[15] Jan Hirschbiegel, « Zur theoretischen Konstruktion der Figur des Günstlings », art. cit., p. 23-39.

[16] Nicolas Le Roux, La Faveur du Roi…, op. cit., p. 12.

[17] Robert Arnaud d’Andilly, Journal inédit, Achille Halphen [éd.], Paris, J. Techener, 1857, p. 168.

[18] C’est le terme qu’utilise Eustache de Refuge dans son Traicté de la court qui paraît en 1616-1617.

[19] Nicolas Le Roux, La Faveur du Roi…, op. cit., p. 717.

[20] Ibid., p. 212.

[21] Ibid., p. 418. Les études anglo-saxonnes sur le patronage et les réseaux de clientèles ont modifié considérablement la compréhension du rôle du favori. Voir par exemple : A. Lloyd Moote, Louis XIII, the Just, Berkeley, Los Angeles, London, University of California Press, 1989, p. 89 et Sharon Kettering, Patrons, Brokers and Clients in Seventeenth-Century France, Oxford, Oxford University Press, 1986. Jean-François Dubost peut ainsi écrire que « Tout favori met à profit la relation privilégiée qu’il entretient avec le prince pour devenir l’intermédiaire obligé entre lui et les autres courtisans. Ce rôle d’écran est ce qui rend sa position aussi importante dans une cour », Marie de Médicis, la reine dévoilée, op. cit., p. 481.

[22] Nicolas Le Roux, La Faveur du Roi…, op. cit., p. 271.

[23] Nicolas Le Roux, « La Maison du roi sous les premiers Bourbons », art. cit., p. 35.

[24] C’est l’adjectif employé par Nicolas Le Roux.

[25] Lawrence W. B. Brockliss, « Concluding Remarks : The Anatomy of the Minister-Favourite », art. cit., p. 300‑301.

[26] Antonio Feros, qui entend compléter l’étude du valimiento menée par F. Tomás y Valiente en analysant le rôle de Lerma sous Philippe III, écrit ainsi que : « Although modern historians have tended to value the word “favorite” as a concept without history, whose “essential meaning” did not change during the sixteenth and seventeenth centuries, my analytical perspective is that historians need to contextualize the use and evolution of political terms while trying to understand why changes in meaning took place », Kingship and Favoritism, op. cit., p. 69.

[27] Curtis Perry, Literature and Favoritism in Early Modern England, Cambridge, Cambridge University Press, 2006.

[28] Sur la polysémie de la notion de « fable » au XVIIe siècle, voir Aurélia Gaillard, Fables, mythes, contes : l'esthétique de la fable et du fabuleux (1660-1724), Paris, H. Champion, 1996, p. 11-27.

[29] Jean-Pierre Camus, Iphigène, rigueur sarmatique, Lyon, Antoine Chard, 1626, 2 vol., vol. I, p. 98.

[30] Nicolas Le Roux écrit ainsi, dans l’introduction à son étude du règne d’Henri III : « Un point de départ nominaliste nous fait interroger les textes dans les termes mêmes qu’emploient leurs auteurs, afin de discerner quels personnages sont identifiés par les contemporains comme favoris », La Faveur du Roi…, op. cit., p. 12.

[31] Catherine Kerbrat-Orrechioni, Les Actes de langage dans le discours. Théorie et fonctionnement, Paris, Nathan, 2001, p. 150.

[32] Il faudrait parler de « polémicité constitutive », comme Frédéric Cossuta ou de « polémisme », comme le suggère Gérard Ferreyrolles dans la mise au point qui introduit le numéro de Littératures classiques consacré à La Polémique au XVIIe siècle : Littératures classiques, n° 59, été 2006, G. Ferreyrolles [dir.], introduction p. 5‑27.

[33] Le terme relationnel « possède un sens en lui-même et un référent autonome, mais qui ne peut être déterminé que par rapport à y » : Catherine Kerbrat-Orrechioni, L’Énonciation. De la subjectivité dans le langage, Paris, Armand Colin, (1980) 1997, p. 37.

[34] Ibid., p. 77-78.

[35] Nous employons cet adjectif au sens que lui donne Henry Méchoulan dans L'État baroque. Regards sur la pensée politique de la France du premier XVIIe siècle, Henry Méchoulan [dir.], Paris, J. Vrin, 1985. Il désigne la première moitié du XVIIe siècle, jusqu’en 1660.

[36] « some gray area[s] in the culture », nous traduisons. Voir : Curtis Perry, Literature and Favoritism…, op. cit., p. 129.

[37] Selon Curtis Perry, le « discourse of favoritism » permettrait surtout d’exprimer des arguments politiques dissidents, voire « proto-républicains », et un sentiment d’insatisfaction vis-à-vis de la constitution monarchique dans l’Angleterre du premier XVIIe siècle, avant la révolution de 1649.

[38] Selon Joël Cornette, les « années cardinales » du premier XVIIe siècle sont celles de la « fondation de l’absolutisme » : L’Affirmation de l’État absolu, 1515‑1652, Paris, Hachette supérieur, 4e édition, 2003, p. 200.

[39] Sur l’apparition de ce type social dans la littérature satirique, voir Alain Mercier, Le Tombeau de la Mélancolie. Littérature et facétie sous Louis XIII, Paris, Champion, 2005, 2 vol., vol. I, p. 378.

[40] Le terme d’absolutisme est évidemment anachronique au XVIIe siècle.