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H. Taine, Les Origines de la France contemporaine

H. Taine, Les Origines de la France contemporaine

Publié le par Marc Escola

Les origines de la France contemporaine. L'ancien régime, La révolution, Le régime moderne
Par Hippolyte Taine

Jean-Paul Cointet (Préfacier), François Léger (Préfacier)

Paru le: 13 octobre 2011
Editeur: Robert Laffont
Collection: Bouquins
ISBN: 978-2-221-12218-1
EAN: 9782221122181
Nb. de pages: 1707 pages

Prix éditeur : 35,00€

      
Dans Les Origines de la France contemporaine, son oeuvre majeure, entreprise au lendemain de la débâcle de 1870, Hippolyte Taine (1828-1893) s'interroge sur les causes profondes qui ont conduit la France à la défaite.

Il a connu quatre régimes politiques : Restauration, monarchie de Juillet, IIe République, second Empire ; un cinquième est en gestation - république ou monarchie - depuis la journée parisienne du 4 septembre 1870. Il a traversé trois révolutions, sans compter d'innombrables journées révolutionnaires, préludes à la Commune. Dans le même temps, le pays a mis en usage quatre Constitutions. Comment expliquer, par l'étude des révolutions survenues entre 1789 et 1804, l'état d'instabilité politique et d'inquiétude sociale dont souffre la France moderne et dans lequel Taine voit un facteur d'affaiblissement graduel ? Tel est le projet de l'enquête à laquelle il entend se livrer.

Quel est le mal ? D'où vient-il ? Le diagnostic posé - la France est malade -, la recherche des causes du mal conduit Taine à y voir avant tout un problème scientifique. Pour lui, l'histoire est un art, certes, mais d'abord une science. Scientifique, le problème est aussi de nature psychologique : il s'agit de comprendre et de tenter de modifier un état mental propre à la France qui la porte à enfanter des principes abstraits qu'elle s'obstine à vouloir faire entrer de force dans la réalité.

À ce niveau, le problème atteint à une dimension politique, celle de l'Etat. Par leur richesse, les Origines se prêtent à de multiples approches critiques. A la fois philosophie politique, histoire psychologique, morale sociale, l'ouvrage entraîne aussi, par sa qualité d'écriture, une critique littéraire. Loeuvre de Taine mène enfin à une réflexion actuelle sur la démocratie. Ce n'est pas son moindre mérite.

 

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Dans le Monde des livres du 24/11/11, on pouvait lire un article sur cet ouvrage, signé par Ph. Raynaud:

1789 en détestation

En France, la contre-Révolution a développé un imaginaire hostile à l'ensemble du monde moderne depuis la Réforme, mais elle s'est avant tout définie par le rejet total de la Révolution - cet événement "miraculeusement mauvais" dont le seul mérite fut de punir la France pour son action au service des Lumières. On comprend donc pourquoi l'ouvrage de Taine sur Les Origines de la France contemporaine, opportunément réédité dans la collection "Bouquins", a pu être loué par un héritier proclamé de la contre-Révolution comme Charles Maurras. Exaspéré par l'instabilité française et effrayé par la Commune de Paris, Taine ne se contente pas de dénoncer la Terreur. Il attaque les principes de 1789 - droits de l'homme et souveraineté du peuple - dont il fait l'origine de tous les débordements ultérieurs. En cela, il rompt avec les précédents historiens libéraux qui, de Mme de Staël à Tocqueville, ont tous reconnu une certaine grandeur à 1789.

L'oeuvre de Taine était d'autant plus précieuse que son auteur venait de la "gauche" et que, comme l'a remarqué Maurras, cela pouvait lui donner auprès de la "France moderne" le crédit que beaucoup refusaient à d'autres auteurs hostiles à 1789 comme Bonald, Maistre ou même le plus modéré Le Play. De là à faire de Taine un héritier direct de la contre-Révolution et un précurseur de l'Action française, il y a néanmoins un pas qu'il serait hasardeux de franchir.

Eloge de l'Angleterre

Il y a certes dans Les Origines, outre l'idée de la continuité fondamentale entre 1793 et 1789, un thème qui évoque les lieux communs de la contre-Révolution : c'est la critique, héritée d'Edmund Burke (1729-1797), du goût des révolutionnaires français pour l'"abstraction", qui les aurait conduits à croire que la société peut être transformée par le règne de la "raison" dès lors qu'on a rompu avec les "préjugés". Mais ce thème, que l'on trouve en fait chez presque tous les critiques de la Révolution, même libéraux, n'est pas à proprement parler contre-révolutionnaire. Chez Taine, il est inséparable de l'éloge, contre la France absolutiste et révolutionnaire, de l'Angleterre libérale, qui a su tout réformer sans abandonner son "ancienne Constitution", et où la liberté politique, qui s'accommode des privilèges et des préjugés, est en fait "le fruit de l'inégalité consentie et du désordre toléré" (Mona Ozouf).

Hormis cela, qui le place en fait dans le camp des libéraux conservateurs, Taine n'a pas grand-chose de commun avec les prophètes de la contre-Révolution. S'il reconnaît le talent de Joseph de Maistre, il voit surtout en celui-ci le défenseur du pape et de l'Eglise catholique, dont la puissance et la fermeture d'esprit sont pour lui une des causes majeures du malheur français, là où l'Angleterre a su se donner une forme de religion compatible avec la liberté de l'individu et l'esprit scientifique. En fait, si on veut lui trouver des prédécesseurs, c'est sans doute de Tocqueville que Taine est le plus proche ; il retrouve, sans le citer, quelques-uns de ses thèmes majeurs, de la continuité entre la centralisation monarchique et l'Etat républicain à la crise de légitimité des ordres privilégiés devenus inutiles, en passant par la peinture acerbe du monde des "philosophes", que l'absence de liberté politique pousse naturellement au rationalisme abstrait.

Eloigné de la contre-Révolution catholique, Taine ne l'est pas moins de l'Action française, qui se veut l'héritière de la France de Louis XIV, là où, pour lui, la monarchie absolue se trouvait au point de départ du processus dont la Révolution fut le résultat fatal. Maurras faisait du "romantisme", d'origine protestante et d'ailleurs étrangère, la matrice de l'esprit révolutionnaire ; or celui-ci est pour Taine le fruit naturel de l'esprit "classique", qui a inculqué aux Français le rationalisme abstrait et leur a ainsi fermé la voie de la science expérimentale tout en les coupant de leurs traditions. De là, une appréciation très différente des causes de la fin de l'Ancien Régime, qui va de pair avec des projets politiques opposés dans leurs buts (Taine ne cherche pas à rétablir la monarchie française, mais souhaite sans trop y croire un régime parlementaire à l'anglaise) et dans leurs moyens (Maurras reproche au "déterminisme" de Taine de sous-estimer les possibilités de l'action volontaire).

Si hostile qu'il soit à la Révolution et, pour finir, à la "gauche", Taine est donc étranger à l'extrême droite comme à la tradition contre-révolutionnaire. Il appartient à la lignée des libéraux conservateurs que leur malheur politique amène finalement à refuser en bloc l'essentiel de la culture politique française, comme si l'histoire de France était tout entière une erreur, et auxquels la gauche dénie toute respectabilité, comme si leur exclusion était la condition pour que la Révolution continue.

LES ORIGINES DE LA FRANCE CONTEMPORAINE d'Hippolyte Taine. Robert Laffont, "Bouquins", 1 708 p., 35 €.

Philippe Raynaud, philosophe