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Nouvelle parution
H. Briscoe, Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes. Portraits au travail

H. Briscoe, Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes. Portraits au travail

Publié le par Marc Escola

Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes - Portraits au travail
Hélène Briscoe


Paru le : 06/04/2010
Editeur : Le Tigre Editions
ISBN : 978-2-357-19014-6
EAN : 9782357190146
Nb. de pages : 62 pages

Prix éditeur : 6,00€

Dans Le Monde des livres du 18/6/10, on pouvait lire ce compte rendu de R. Rérolle:

Paroles saisies, vies saisissantes LE MONDE DES LIVRES | 17.06.10 | 11h26
Pour un petit livre, c'est un tout petit livre : 62 pages, 6 €, couverture élégante, typographie réservée aux lecteurs jeunes ou aux presbytes bien équipés. L'éditeur ? Une maison assez confidentielle, Le Tigre, du nom d'une revue littéraire "quinzomadaire", 12 pages format berlinois. C'est là que sont parus, entre 2006 et 2009, les textes regroupés dans ce recueil. Pas d'illustrations bien sûr, et, pendant qu'on y est, un titre à coucher dehors : Les Directeurs, les ouvriers et les belles sténodactylographes. Sous-titre : "Portraits au travail".

35326566343963613461326136336430?&_RM_EMPTY_ Une sorte de pied de nez à toutes les stratégies marketing. Ni bandeau, ni jaquette, ni photo de l'auteur (hâle discret, demi-sourire modeste), ni titre en relief, ni quatrième de couverture dithyrambique - rien. Juste un livret minuscule, dont on se demande comment il ne glissera pas entre deux rayons, dans les librairies. Mais l'auteur, alors ? Même discrétion : une toute jeune femme, professeure à Rouen, qui s'est choisi un nom de plume, Hélène Briscoe, pour éviter que ses élèves ne la questionnent après l'avoir "googlisée" sur Internet.

A peine ouvert, pourtant, le contenu saute à la figure : des textes de cinq à six pages, introduits par un prénom en gras, suivi d'une profession et d'un âge. Des hommes et des femmes, Lilian, Pierre, Hervé, Marie-Henriette, Christelle ou Nouchka. Ils sont gardien de la paix, prêtre, agent immobilier, modèle ou cuisinier, chauffeur dans une société d'ordures ménagères, expert en bijoux. Des passants - monsieur et madame n'importe qui.

Hélène Briscoe les a rencontrés au hasard, dans la rue. Elle les a interrogés sur leur profession, puis a restitué leurs propos, en prenant garde, explique-t-elle dans un court préambule, de "s'éloigner du portrait journalistique où priment commentaires et descriptions, où ce qui a été dit est réécrit, lissé, voire transformé". Une méthode qui n'est pas sans rappeler celle de Studs Terkel, grand spécialiste américain de l'histoire orale. La parole qui émerge de ces pages est "brute" (les irrégularités de langage n'ont pas été gommées) à ceci près qu'elle a été montée par l'auteur, comme au cinéma. Rien qui n'ait été dit, mais pas forcément dans l'ordre qui fut celui de la conversation. Le résultat est saisissant.

Plus encore que des gens, ce sont des vies qui surgissent. Ou plutôt, la vie elle-même. A travers les réflexions sur le travail, sur la manière de le faire ou de s'en défaire, sur les objets, sur la propriété, le plaisir, le "génie" même, c'est tout un rapport au monde et au temps, toute une humanité qui s'exprime, souvent de manière inattendue et avec la poésie paradoxale de qui n'a pas cherché à en faire. Le plus frappant sans doute étant la manière dont ces passants ressentent à quel point ils sont de passage, justement. A quel point leur fugitive existence ne s'inscrira pas - ni dans les mots, ni dans les esprits, ni dans les choses. C'est dit sans amertume et sans tristesse particulière. C'est comme ça. Le livre d'Hélène Briscoe n'y changera rien : ce ne sont pas des vies singulières qu'il cherche à sauver, mais un peu de vie tout court, avec une force et une présence que bien des romans pourraient lui envier.


Raphaëlle RérolleArticle paru dans l'édition du 18.06.10