Essai
Nouvelle parution
G. Vigarello, Les métamorphoses du gras. Histoire de l'obésité du Moyen Age au XXe siècle

G. Vigarello, Les métamorphoses du gras. Histoire de l'obésité du Moyen Age au XXe siècle

Publié le par Marc Escola

Les métamorphoses du gras - Histoire de l'obésité du Moyen Age au XXe siècle
Georges Vigarello


Paru le : 04/03/2010
Editeur : Seuil
Collection : L'Univers historique
ISBN : 978-2-02-089893-5
EAN : 9782020898935
Nb. de pages : 362 pages

Prix éditeur : 21,00€


Des formes luxuriantes des Vénus de Titien aux mannequins exsangues du XXIe siècle, de la valorisation des chairs à l'apologie de la maigreur, Georges Vigarello retrace la genèse de l'obsession contemporaine du corps mince et sain, libéré de la pesanteur du gras, et met au jour l'ancienneté de la préoccupation féminine de la minceur-sous de multiples formes au cours des âges.

Des gros en majesté, des gloutons méprisés jusqu'à la stigmatisation récente de l'obésité, la perception du gras n'a cessé d'évoluer: à l'origine symbole d'opulence, de puissance et de prestige, l'embonpoint est ensuite perçu comme un signe de relâchement autant physique que moral, et la société condamne aujourd'hui ce qui apparaît comme un échec inacceptable de la volonté. Le corps humain abrite et reflète les tensions sociales qui opposent pauvres et nantis, puissants et dominés, hommes et femmes... et tend à la société un miroir où forme(s) et poids se révèlent des repères essentiels de la civilisation occidentale.

A travers l'autopsie des corps adipeux, l'inventaire des techniques médicales d'amaigrissement, l'apparition progressive de la balance et des régimes, cette histoire inédite met en lumière la dictature de l'apparence, qui ne semble pas devoir un jour cesser.

Sommaire:

LE GLOUTON MEDIEVAL
LE BALOURD MODERNE
DE LA BALOURDISE A L'IMPUISSANCE, LES LUMIERES ET LA SENSIBILITE
LE VENTRE BOURGEOIS
VERS LE " MARTYRE "

L'auteur:

Directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, Georges Vigarello a notamment publié, au Seuil, l'Histoire de la beauté (2004) qui a connu un immense succès.
Il est également co-directeur de l'Histoire du corps en trois volumes (Seuil, 2005-2006).

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Le site nonfiction.fr a rendu compte de cet ouvrage:

"Qui est gros(se)? Limites et signification de la corpulence", par S. Carof.

Et sur la viedesidees.fr:

"L'obèse entre gloire et opprobre", par T. de Saint-Pol.


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Dans Le Monde des livres du 19/3/2010, on pouvait lire cet article:

"Les Métamorphoses du gras", de Georges Vigarello LE MONDE DES LIVRES | 18.03.10 | 12h27  •  Mis à jour le 18.03.10 | 12h27
Goulus, ventrus et boursouflés, les gros abondent dans l'histoire de la littérature. Le géant rabelaisien Gargantua, enfanté par une Gargamelle gavée de tripailles un jour de mardi gras, ou Sancho Pança, le compagnon ventripotent du Quichotte, insatiable mangeur et maître de la bamboche, restent des figures sympathiques de la gouaille et du bon appétit. Au XIXe siècle, en revanche, le banquier Nucingen des Scènes de la vie parisienne, de Balzac, "homme carré de base et de hauteur", n'inspire respect ni à ses domestiques qui le traitent de "gros éléphant" ni à son épouse qui le qualifie de "grosse souche d'Alsacien".

empty.gif Du Moyen Age aux Lumières, du XIXe siècle bourgeois au XXe siècle rationalisateur, l'obèse n'est pas doté des mêmes qualités ni dénoncé pour les mêmes vices. C'est l'histoire de sa disgrâce progressive que retrace Georges Vigarello. Le chercheur poursuit ici le travail d'une vie, consacré à l'étude du corps, déjà magistralement illustré par l'Histoire du corps qu'il a codirigée au Seuil. Directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (Ehess), Vigarello est l'un des représentants les plus actifs d'une histoire culturelle des représentations et des sensibilités, laquelle a contribué, depuis les années 1970, à renouveler les horizons de la recherche. Cette "archéologie du gros" en est une belle illustration.

Le "glouton médiéval", riche et puissant, jouit d'un prestige certain, lui qui ne souffre pas de la faim. Mais déjà ses excès sont considérés comme suspects et au XVIe siècle, les critiques pointent sur son manque de mesure et d'agilité. L'ivrogne Falstaff de Shakespeare se voit gratifier d'un arsenal de "grosse bedaine", "pâté de foie gras" ou "panse espagnole" par le jeune roi Henri IV. Ainsi enflent les railleries à l'encontre des lourdauds fainéants, au moment où "l'épaississement devient "retard", inadaptation à un monde où l'activité prendrait une nouvelle valeur".

Les progrès de la médecine sont essentiels dans ce processus, car la nature même des tissus adipeux, longtemps assimilés à l'eau et aux gaz, lui échappe d'abord largement. Au XVIIIe siècle, la connaissance médicale s'affine, et "le vieux thème de l'envahissement des matières aqueuses se complique". Le mot "obésité" fait son apparition dans le Dictionnaire de Furetière, en 1701, et le pathologique l'emporte alors. Le siècle des Lumières impose un discours de condamnation du gras. Les financiers bedonnants ont ainsi du mouron à se faire, car à partir du XIXe siècle le gras se rationalise, et c'est une bataille de chiffres qui commence avec les premières pesées systématiques.

L'EFFONDREMENT DES CHAIRS

La tyrannie du svelte et du beau invite désormais les dodus à l'amincissement, à l'exercice et au régime. A "l'effondrement des chairs" (il n'est qu'à penser aux égéries flasques de Rubens), on préfère les corps musclés et élancés, quitte à les contenir dans des corsets. Les affres de la culpabilité deviennent le lot commun des gros, martyrs contraints à maigrir pour répondre aux attentes d'une société qui désigne leur disproportion comme un péché esthétique autant que médical. Etape ultime de la déchéance, le XXe siècle impose une stigmatisation supplémentaire, faisant de la surcharge pondérale une maladie associée à la pauvreté, phénomène dont on aurait aimé toutefois mieux saisir les enjeux.

Et de fait, le processus décrit par Vigarello n'est pas sans ambiguïté, et rarement s'impose un discours unique sur le gras : au Moyen Age, l'austérité reste une valeur fondamentale, en contradiction avec les excès du gourmand, tandis qu'au XIXe siècle, le "ventre bourgeois" résiste aux injonctions de la médecine et des canons esthétiques. Ces passionnantes "métamorphoses du gras" révèlent ainsi la complexité du rapport des sociétés occidentales à la norme : obsédées par les règles et l'uniformité, elles n'en demeurent pas moins fascinées par les marges et par ceux qui osent, tels les gros, rompre les codes du beau et de la normalité.

Les Métamorphoses du gras. Histoire de l'obésité du Moyen Age au XXe siècle, de Georges Vigarello, Seuil, "L'Univers historique", 374 p., 21€.


Claire Judde de LarivièreArticle paru dans l'édition du 19.03.10